Grigny, la police et la République : ma réponse à Matthieu Valet

Ce jeudi 10 août, la vidéo d’une intervention de la BAC et de la CSI 91 interpellant deux (ou trois ?) personnes attaquant très violemment le propriétaire d’un scooter est devenue virale sur les réseaux sociaux. Relayée notamment par le porte-parole du syndicat policier SCIP Matthieu Valet et par l’ex-policier Bruno Pommart, deux personnalités très présentes sur les plateaux télé, elle est utilisée pour mettre en cause la volonté des insoumis de dissoudre la BAC et de « désarmer la police ». Matthieu Valet tweete ainsi : « Si la BAC avait été supprimée et la Police désarmée comme le souhaite la LFI, comment aurions-nous fait pour arrêter ces voyous ultra-violents ? ». Bruno Pommart tweete quant à lui : « La réalité du terrain que certains experts de la critique contre la police ne veulent pas voir. (…) Que serait-il passé sans l’intervention de la BAC que certains cherchent à désarmer et à dissoudre ?! »

Mais les attaques contre les insoumis en général, et contre moi en particulier, sont encore montées d’un cran le lendemain. Voici en effet ce qu’a déclaré Matthieu Valet le 11 août 2023 sur BFMTV (à 18h40) : 

« Antoine Léaument, à Grigny, la vidéo que vous avez montré de l’agression abjecte et barbare de ce motard où la BAC, la brigade anti-criminalité, est intervenue avec la compagnie départementale d’intervention de l’Essonne, c’est la 10e circonscription législative de l’Essonne d’Antoine Léaument (sottise 1). Antoine Léaument, avec toute sa clique de camarades, Thomas Portes, Ugo Bernalicis, etc. (sottise 2) sont pour la suppression de la BAC et le désarmement de la police (sottise 3). Mais au lieu de parader avec les délinquants sur certaines photos (sottise 4) ou d’empêcher les policiers de faire des contrôles d’identité (sottise 5) qu’il publie sur les réseaux sociaux, il ferait mieux, monsieur Léaument, d’être aux côtés de ces policiers courageux, déterminés à protéger les victimes et à lutter contre les délinquants plutôt que d’aller avec ceux qui pourrissent notre quotidien (sottise 6). Donc effectivement, Antoine Léaument et la France insoumise démontrent leur méconnaissance et l’absence de contact avec les forces de sécurité intérieure, y compris dans leur circonscription (j’en parle dans sottise 5), pour faire face à des phénomènes très violents et, c’est important de le dire, les violences policières n’existent pas (sottise 7), les policiers sont majoritairement victimes, et surtout pour protéger la veuve et l’orphelin et les victimes, comme la vidéo le démontre aujourd’hui. Et je rappelle que la BAC, comme tous les services de police, c’est 3,01 millions d’interventions par an et c’est 0,05[% de] contestations sur ces trois millions, c’est à dire peanuts. Donc on voit que nos collègues sont courageux, sont motivés, y compris dans les quartiers les plus difficiles où ils tiennent la République à bout de bras (sottise 8) pour que l’État de droit s’applique et que ça ne soit pas l’État d’un autre droit. »

C’est pour y répondre point par point et démonter un à un les mensonges de cette attaque que j’ai décidé d’écrire cette note de blog. 

Sottise 1 : La scène ne se passe pas à Grigny

Première sottise de Matthieu Valet, Bruno Pommart et de tous ceux qui ont relayé cette vidéo sans vérifier l’information : cette interpellation ne se passe pas à Grigny mais à Viry-Châtillon. Les gens comme Matthieu Valet, qui passent trop de temps sur les plateaux télé et pas assez sur le terrain, l’ignorent, mais la Grande Borne n’est pas entièrement sur le territoire grignois. Il y a un petit morceau qui se situe sur la ville de Viry-Châtillon, qui fait partie de la 7e circonscription de l’Essonne dont le député est le macroniste Robin Reda. En l’occurrence, pour qui connaît un peu la Grande Borne, on voit que l’intervention se déroule au croisement entre l’avenue Victor Schoelcher (D445) et la rue Toussaint Louverture. D’ailleurs, compte tenu de l’angle de la prise de vue, il est assez probable que la vidéo ait été prise depuis l’étage du bâtiment abritant le « Fournil de Viry » qui se trouve être une boulangerie portant opportunément le nom de la ville où elle est située, afin que les gens comme Matthieu Valet puissent directement savoir dans quelle ville ils se trouvent sans se faire trop de noeuds au cerveau. 

Sottise 2 : Les insoumis ne sont pas une clique

Monsieur Valet nous qualifie mes camarades députés insoumis et moi de « clique ». Il cible notamment trois d’entre nous : Thomas Portes, Ugo Bernalicis et moi. Pourquoi choisit-il ces trois-là ? Parce que nous avons mené, avec en outre mes camarades députés Jean-François Coulomme et Elisa Martin, des opérations de surveillance du maintien de l’ordre lors des manifestations contre la réforme des retraites et en particulier observé la manière dont se déployait la BRAV-M à Paris. Nous l’avons fait après que Gérald Darmanin nous a proposé de nous joindre à un équipage de la BRAV-M sur une manifestation, mais nous avions expliqué que nous préférions surveiller les choses depuis le côté manifestation plutôt que depuis le côté répression et que nous n’avions pas l’intention de participer à un plan com’ du ministre de l’Intérieur. Je pense que c’est ce travail de députés dans leur rôle de contrôle de l’action du gouvernement (article 24 de la Constitution) que Matthieu Valet a du mal à supporter et la raison pour laquelle il nous cible tous les trois. Car oui, cela fait bien partie du contrôle de l’action du gouvernement que d’observer comment il utilise la police dans la répression des manifestations.

Mais revenons sur le mot « clique ». Il est évidemment insultant. Le CNRTL précise que c’est un mot familier et péjoratif et en donne la définition suivante : « Groupe de personnes qui se coalisent pour intriguer, nuire à quelqu’un ou quelque chose, par des moyens malhonnêtes ». Il est vrai que les députés insoumis sont un groupe de personnes coalisées, mais il est faux de dire que nous intriguons, que nous voulons nuire à quelqu’un ou quelque chose et que nous utiliserions des moyens malhonnêtes. Ça, c’est ce que fait Matthieu Valet, en transformant nos propos et en nous insultant, mais comme il est seul, on peut difficilement le qualifier de « clique ». Pour notre part, ce que nous faisons, et que cela lui plaise ou non, c’est de défendre nos idées et de les porter dans le débat public, loyalement et sereinement en dépit des critiques, afin que les citoyens puissent prendre des décisions électorales souveraines. Nous ne cherchons à nuire à personne, au contraire : nous défendons des propositions dont nous pensons qu’elles peuvent servir l’intérêt général et le bonheur commun (l’un des objectifs fixés par la Constitution de la Ière République). 

Sottise 3 : Suppression de la BAC et désarmement de la police ?

Matthieu Valet est un habitué des approximations volontaires sur le programme de la France insoumise. Il agit en cela comme un militant politique et non comme un syndicaliste policier qui défend l’intérêt de ses collègues, mais passons. L’idée est toujours la même : présenter la France insoumise comme une organisation politique angélique, amie de la délinquance et de la criminalité, qui nierait les problèmes de sécurité posés dans le pays et souhaitant, dans le fond, une France sans police. 

Tout ceci est évidemment faux. Notre triptyque d’action en matière de sécurité c’est : « Prévention, dissuasion, sanction ». Pas « Angélisme, inaction, laisser-faire ». Oui, il est vrai que nous proposons le démantèlement de la BAC, mais c’est pour la refondre dans une police de proximité qui intègrerait les effectifs des polices municipales et qui serait placée sous l’autorité fonctionnelle du maire mais sous l’autorité hiérarchique du préfet. Nous proposons que cette police de proximité compte 40 000 effectifs, soit davantage que les BAC (7 000) et les polices municipales (24 000) additionnées. Nous proposons d’en changer les missions pour en faire des « gardiens de la paix » plutôt que des « forces de l’ordre ». 

Ce démantèlement des BAC ne peut s’entendre correctement sans deux autres mesures : premièrement, la légalisation du cannabis ; deuxièmement, le redéploiement de la police judiciaire. Les BAC, en effet, sont employées pour beaucoup dans le démantèlement de points de deal de drogue, particulièrement de cannabis, qui se reconstituent généralement quelques rues plus loin ou reviennent au point initial après quelques temps. Nous pensons, nous, que la légalisation du cannabis est un moyen à la fois de mettre les dealers au chômage, de faire une politique nationale de prévention en traitant la consommation de cannabis comme un problème de santé publique plutôt que de sécurité publique, et, enfin, de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État en contrôlant la vente (comme cela est fait pour le tabac ou l’alcool) afin d’utiliser cet argent, précisément, dans la prévention. Cela doit être associé, à nos yeux, au renforcement d’une police judiciaire en charge des enquêtes au long-cours visant à démanteler les réseaux de trafic de drogue, d’êtres humains, d’armes et des flux financiers qui permettent de blanchir l’argent du crime. Nous ne sommes pas angéliques, au contraire ! Nous voulons frapper la criminalité là où cela lui fait le plus mal : chez les gros bonnets. 

Reste la question du désarmement de la police. Nous proposons, il est vrai, de désarmer la police dans les opérations de gestion des manifestations. Pas de morts, pas de mutilés, pas de blessés graves par des tirs de LBD si on les supprime de l’arsenal utilisé par la police. Nous voulons travailler à la désescalade dans les manifestations. On nous dit à juste titre qu’il existe des groupuscules violents. Personne n’a dit que nous n’enlèverions les boucliers et les casques pour s’en protéger. Mais notre but à nous est de les arrêter et de les traduire devant les tribunaux, pas de les mutiler pour réaliser on ne sait quel objectif si ce n’est celui de la terreur. D’autant que les blessés, mutilés et tués des manifestations n’ont pas toujours été des personnes violentes : quel risque faisait courir Zineb Redouane aux policiers depuis son balcon à Marseille ? Aucun. Et pourtant elle est morte. Pour rien. Ce n’est pas notre vision de la police. Ce ne devrait d’ailleurs être celle de personne dans ce pays. Est-ce à dire que nous voulons désarmer toute la police ? Non. Nous voulons simplement que la police armée soit celle d’unités aux missions spécifiques. J’ajoute un dernier point pour la réflexion : alors que dans la vidéo de Viry-Châtillon l’un des jeunes hommes au moins semble armé, les policiers interviennent sans faire usage de leur arme à feu et maîtrisent les individus. Voilà ce qu’on appelle une intervention réussie et, d’ailleurs, assez impressionnante de sang-froid et de courage. Personne, chez les insoumis, ne dira le contraire. 

Sottise 4 : je n’assigne personne à la délinquance

Matthieu Valet m’accuse de « parader avec les délinquants sur certaines photos ». En cause, une photo prise dans ma circonscription à Saint-Michel-sur-Orge avec des jeunes du quartier du Bois des Roches et abondamment relayée par des comptes d’extrême droite auxquels doit être abonné le policier des plateaux télé. Il faudrait des heures pour raconter en détail cette histoire et je vais essayer de la résumer, mais la manière dont en parle Matthieu Valet est la même que celle de l’extrême droite : il s’agit d’assigner des jeunes gens à la délinquance. 

Il existe dans ma circonscription un phénomène qui existe dans de nombreux quartiers populaires de France et qui est jusqu’à présent considéré essentiellement comme une succession de faits divers : les rixes. C’est pourtant à mes yeux, et aux yeux d’un certain nombre de mes camarades, de médias et d’associatifs qui travaillent dessus un sujet de société qui doit être traité comme tel. Le travail réalisé par Adama Camara et StreetPress est notamment d’une grande utilité pour avancer dans la reconnaissance de ce problème. Qu’est-ce que les rixes ? Des batailles ultra-violentes entre jeunes de quartiers qui s’affrontent, la plupart du temps pour des sujets dérisoires ou dont on a souvent oublié l’origine exacte. Mais ces batailles atteignent désormais un point de non-retour puisque de très jeunes gens sont mutilés et même tués. Dans ma circonscription, deux jeunes sont morts très récemment à cause de ces rixes. Je les prends donc très au sérieux. Et j’essaie de comprendre comment des jeunes qui habitent à quelques centaines de mètres les uns des autres et partagent en réalité beaucoup de choses peuvent en venir ainsi à vouloir s’entretuer et à vivre eux-mêmes dans la peur de mourir s’ils viennent à passer au mauvais endroit ou à croiser la mauvaise personne. 

Pour comprendre, il faut parler. Et pas seulement des rixes. De tout le reste. De ce qui ne va pas dans le pays, dans la ville, dans le quartier. De ce qui va, aussi, et qui embellit le quotidien. Il faut, pour une personne comme moi, député de la République, apparaître comme n’appartenant ni à un camp ni à l’autre pour pouvoir parler avec tout le monde et être un trait d’union entre des jeunes de quartiers qui n’envisagent parfois que la violence comme mode de règlement des conflits. Cet équilibre n’est pas facile à trouver, et les réseaux sociaux y tiennent une place particulière. Il se trouve que quand la discussion a commencé avec ces jeunes de Saint-Michel-sur-Orge, je n’étais pas vraiment le bienvenu. Ils trouvaient que je passais trop de temps avec les jeunes de Sainte-Geneviève-des-Bois, que j’étais « de leur côté » plutôt que du leur. Nous avons parlé, longuement, deux heures je crois. J’ai expliqué que je n’étais d’aucun côté, que j’étais le député de tout le monde. On a parlé de bien des choses : de la politique, de la police, de ce qu’on peut faire pour le logement ou pour les salaires. 

Bref : là où Matthieu Valet voit irrémédiablement des délinquants, je vois, moi, des citoyens qui se sentent abandonnés par les institutions de l’État. Alors comment fait-on pour améliorer les choses sans jamais se parler ? Comment fait-on pour changer le rapport distendu entre police et population dans les quartiers s’il n’existe que sur la base de rapports de forces violents ou, au minimum, brutaux ne serait-ce que dans les mots. Il n’y a chez moi aucun angélisme. Je suis juste un député de terrain qui essaie de comprendre ce qu’il faut faire et dire publiquement pour faire mieux et améliorer les choses. Je ne suis pas là pour choisir un camp : je suis là pour servir l’intérêt général. Quand les policiers interpellent des individus violents qui essaient de voler un scooter, je suis du côté des policiers, pas des violents, parce que ce sont eux qui servent ici l’intérêt général ; quand des policiers tiennent des propos ou ont des comportements racistes qui me sont rapportés en nombre, je suis aux côtés de ceux qui les subissent parce qu’alors ces policiers desservent l’intérêt général. C’est aussi simple que cela. Et d’ailleurs, les jeunes de quartier avec qui je discute plutôt que de les mépriser et de les insulter ont la même présence d’esprit : en dépit de toutes les violences et les humiliations qu’ils subissent venant de policiers, ils ne mettent pas tout le monde dans le même sac. Ils affirment que dans la police, il y a des bons et des mauvais policiers, qu’il y en a des « méchants » et des « gentils », comme me l’a dit un jeune homme de 13 ans qui veut lui-même devenir policier. Ils me disent, aussi, ces jeunes, les noms des policiers « méchants ». Et peut-être que ce qui inquiète Matthieu Valet et ses collègues, c’est qu’il y a maintenant dans la 10e circonscription de l’Essonne un député assez attentif aux jeunes pour faire remonter à la hiérarchie les noms de ceux qui confondent leurs opinions racistes avec les propos que doivent tenir publiquement des policiers de la République française. Qui sait ?

Sottise 5 : je n’empêche pas les policiers de faire des contrôles

Celle-ci est celle qui, en toute honnêteté, me fait le plus rire. L’histoire provient d’une vidéo qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et dans laquelle on me voit me diriger vers des policiers qui viennent effectuer un contrôle de jeunes du quartier de Saint Hubert à Sainte-Geneviève-des-Bois. Le jeune homme qui filme dit : « On est en sécurité, on envoie monsieur le député » et la vidéo indique « Pour éviter le contrôle, on envoie Mr le député en première ligne » avec quelques smileys amusés derrière. Évidemment, l’extrême droite l’a abondamment relayée. 

Que s’est-il réellement passé ce jour-là ? J’avais une heure de libre après plusieurs rendez-vous en circonscription et j’ai décidé d’aller faire un tour à Saint Hubert, quartier populaire de Sainte-Geneviève-des-Bois, pour discuter un peu avec les jeunes du quartier. Pour qu’on comprenne bien mon intention, la voici. Pendant la campagne législative, j’ai fait beaucoup de porte-à-porte dans les quartiers populaires de ce qui n’était pas encore ma circonscription et j’ai à cette occasion énormément discuté avec les jeunes. Beaucoup d’entre eux me disaient : « on vous voit là parce que c’est les élections mais on ne vous verra plus après ». Je leur ai promis de les faire mentir, et je me tiens à ma promesse. Quand j’ai le temps, quand je le peux (car je fais beaucoup de choses dans mon mandat et mes statistiques de présence à l’Assemblée en attestent), je vais dans les quartiers de ma circonscription passer un peu de temps avec les jeunes et simplement discuter. Certains me diront peut-être que ce n’est pas le rôle d’un député. Je m’en contrefiche. C’est ce que je conçois, moi, comme étant mon rôle. Aux yeux de ces jeunes et des habitants, j’incarne une institution qui est d’habitude un peu lointaine. Avec moi, avec ces simples discussions, elle prend au moins un visage. C’est déjà ça. Et précisément, cela permet de parler de politique. Comment est-on censés lutter contre l’abstention si on ne parle pas avec ceux qui s’abstiennent pour en comprendre les motifs ? C’est en tout cas ma conception de la politique : parler, débattre, convaincre. Et c’est ce que je faisais ce jour-là. 

Quelques jours auparavant, il y avait eu une personne blessée à la cuisse dans le quartier par un tir d’arme à feu. J’avais donc envie de savoir comment allaient les jeunes et comment ils se sentaient par rapport à cet évènement tragique. On en a parlé, un peu. Et puis la discussion a dérivé vers d’autres sujets. On a parlé beaucoup de la réforme des retraites, c’était à la fin du mois de mai et on était alors dans l’épisode des casserolades. Ils m’ont demandé si c’était foutu. J’ai dit que tant qu’on se battait, rien n’était jamais foutu et que même si Macron avait remporté une victoire temporaire, on continuerait à se battre pour la retraite à 60 ans. On a parlé aussi du niveau des salaires et de l’augmentation du SMIC. Et puis on a parlé aussi de la police. C’était avant la mort de Nahel. Là, le sujet, c’était que depuis le coup de feu et la personne blessée à la cuisse, la police venait faire des contrôles trois ou quatre fois par jour. Des contrôles qu’ils me décrivaient comme humiliants et brutaux : on les plaquerait contre le mur des barres, avec palpations de sécurité, contrôles d’identité, fouille des effets personnels, propos pas vraiment républicains. Je mets au conditionnel, parce que c’est leur parole contre celle des policiers, mais je vois mal pourquoi ils inventeraient des histoires sur le sujet. Je leur demande s’ils ont filmé quelque chose. Ils me disent que non, qu’ils ont déjà essayé, mais que s’ils filment, les policiers leur prennent le téléphone et que ça coûte cher. Je leur dis que c’est illégal et qu’ils ont le droit de filmer. Je leur conseille d’ailleurs d’essayer de le faire, ou au moins d’enregistrer les échanges s’ils le peuvent, car je leur dis que c’est une protection dans les affaires qui opposent leur parole contre celle des policiers. Puis ils me disent : « Mais vous savez quoi, monsieur le député, ça fait un moment qu’ils ne sont pas venus là donc restez une heure encore et vous allez voir c’est quasiment sûr qu’ils vont arriver ». Et ça n’a pas loupé. 

Arrivent, donc, une trentaine de policiers. Et pas n’importe lesquels. À moins que j’aie mal vu l’écusson, il s’agissait de la CRS 8. J’étais vraiment surpris parce que je pensais cette unité alors déployée à Mayotte sur l’opération Wuambushu. Je m’avance vers les policiers non pas pour empêcher quoi que ce soit mais pour me présenter. Je m’avance les mains dans les poches non par provocation mais parce que je cherche mon badge de député que j’ai en réalité laissé dans la voiture. C’est à ce moment qu’un jeune homme filme et dit « on est en sécurité, on envoie monsieur le député », ce qui pour des personnes d’extrême droite veut dire que je protège des délinquants, mais qui pour moi m’inquiète dans ce que cela signifie du rapport que les jeunes ont vis-à-vis de la police : à leurs yeux, l’insécurité vient d’elle, et il ne s’agit pas d’une question de délinquance, mais d’une question républicaine, justement. 

Ai-je empêché le contrôle ? Absolument pas. J’ai laissé faire les policiers sans faire de commentaires. J’ai seulement posé des questions aux responsables de l’opération qui étaient, eux, de la BAC. Je leur demande pourquoi ils viennent faire ce contrôle. On me répond que c’est « une opération de sécurisation du quartier ». Je dis qu’a priori j’étais là et que je n’ai pas vu de danger particulier. Ils me répondent que ces opérations ont lieu parce qu’il y a eu un coup de feu et qu’ils recherchent des armes. Je leur dis que je comprends et que ça fait sens. Ils contrôlent, donc : papiers, palpations, fouilles des sacs, etc. Globalement dans le respect. Les jeunes sont d’ailleurs amusés de la différence d’ambiance entre ce contrôle et les autres. Un policier me dit que j’empêche de faire le travail correctement. Je lui demande dans quelle mesure ma présence l’empêche de faire son travail et lui dis qu’étant là avant son arrivée pour discuter avec les jeunes, c’est plutôt lui, présentement, qui m’empêche de faire mon travail. Il me dit que ce n’est pas le lieu pour m’en parler. Je lui propose donc de prendre un café. Il me dit qu’il n’a pas envie de boire un café avec moi. Je lui propose d’échanger nos contacts pour nous voir et avoir son point de vue sur la situation. Il refuse. De là à dire que ce ne sont pas les insoumis qui n’aiment pas la police mais une partie de la police qui n’aime pas les insoumis, il n’y a qu’un pas. Voilà au passage une réponse à Matthieu Valet pour ce qui concerne les « contacts avec les forces de sécurité intérieure » dans ma circonscription : les fois où j’en ai eu sur le terrain, ils ont parfois été cordiaux, parfois non… en réalité ça dépend de la personne sur laquelle on tombe, mais je suis pour ma part toujours d’un grand respect dans les échanges.

Bref, ce jour-là, je n’ai pas empêché les policiers de faire leur travail. Ils sont venu, ils ont contrôlé, ils sont partis. Fin de l’histoire. J’aurais préféré des relations plus cordiales avec les policiers, mais je ne suis pas maître de cette partie-là de l’échange. J’ai fait, en tout cas, ce que j’avais à faire de mon côté pour engager une discussion et pas un affrontement. Libre à chacun de saisir ou non les mains tendues. 

Sottise 6 : je suis aux côtés des « policiers courageux qui protègent les victimes »

Dans son intervention, Matthieu Valet me donne un précieux conseil : « Il ferait mieux, monsieur Léaument, d’être aux côtés de ces policiers courageux, déterminés à protéger les victimes et à lutter contre les délinquants plutôt que d’aller avec ceux qui pourrissent notre quotidien. »

Aveuglé par sa haine des insoumis, Matthieu Valet n’est plus capable de regarder les choses en face. Les insoumis, comme l’immense majorité des citoyens de notre pays, sont aux côtés des policiers quand ils protègent les victimes et luttent contre les délinquants. Je redis ici que dans l’opération de police à Viry-Châtillon (et non Grigny) où les policiers interceptent des jeunes violents et – semble-t-il – armés, en train d’essayer de voler un scooter, je vois une intervention proportionnée, efficace et, même, assez impressionnante dans sa rapidité et sa précision. Je doute que qui que ce soit trouve quelque chose à y redire. 

Monsieur Valet me fait sans doute ce reproche parce qu’il estime qu’émettre la moindre critique sur la police, c’est déjà franchir la barrière de la délinquance. D’ailleurs il le dit, et on y reviendra : « les violences policières n’existent pas ». Mais je vais le dire crûment : qui protège ceux qui sont victimes de la police ? Qui est à leurs côtés à ceux qui n’ont jamais leur place sur les plateaux télé pour raconter les violences, les humiliations ou les propos racistes qu’ils subissent. J’aimerais, un jour, qu’une chaîne d’info en continu invite des jeunes de quartiers populaires toute une journée pour raconter ce que sont ces humiliations et ces propos, ce que c’est que de se faire contrôler sans arrêt, de subir les insultes, les remarques, les provocations, les coups, ce que c’est de devoir marcher un kilomètre de plus juste pour éviter une voiture de police et le contrôle qui va nécessairement aller avec si on passe à proximité, ce que c’est, en résumé, d’avoir peur de « la police qui protège » parce que quand c’est vous, votre impression est qu’elle ne protège pas, et que vous pouvez en être sa victime. 

Ce qui fait l’inanité du propos de monsieur Valet, c’est qu’il est caricaturalement monolithique et monochromatique : la police ferait tout bien car elle serait composée de petits anges, et tout ce qui est en face de la police serait le mal absolu. Il sait que c’est faux, tout le monde sait que c’est faux, mais il s’en fiche, il continue à simplement passer la brosse à reluire. Il devrait pourtant relire (ou découvrir) les mots de Beaumarchais qui servent de devise au journal Le Figaro : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». Il est vrai que je blâme beaucoup et que je pointe davantage ce qui dysfonctionne que ce qui fonctionne, dans la police. C’est parce que j’ai l’objectif de « faire mieux » que ce qui se fait en ce moment, et que pour cela, il faut être capable de pointer du doigt ce qui ne va pas tout en proposant des solutions pour améliorer les choses. Mais on voit que quand je fais un éloge, il a plus de poids que ceux de Matthieu Valet. Car venant de moi, on sait que je ne laisse rien passer de ce qui ne va pas, et que donc, à l’inverse, quand je dis ce qui se passe bien, on peut me faire davantage confiance sur le sujet qu’à une personne incapable d’émettre la moindre critique sur quoi que ce soit. Monsieur Valet n’est pas capable « d’éloge flatteur » parce qu’il est incapable de « blâmer » ; c’est ce qui nous différencie lui et moi et qui fait que son conseil est inepte car il reviendrait à me rendre incapable même d’émettre des avis positifs sur l’action de police qui puissent être entendus par nos concitoyens. Pour le dire autrement : on n’aime pas vraiment la police quand on n’est pas capable de dire ce qu’elle fait de travers, de même qu’on n’aime pas vraiment la police quand on n’est pas capable de dire ce qu’elle fait bien. Je cherche, comme d’autres, le juste milieu. Au moins ai-je pour moi la certitude que c’est une méthode d’action plus efficace que celle de monsieur Valet. 

Sottise 7 : les violences policières existent et elles sont mortelles

Monsieur Valet est un provocateur quand il dit que « les violences policières n’existent pas ». Il sait pertinemment qu’il provoque en disant cela. Il le fait pour cela. Pour enflammer, pour embraser : Monsieur Valet est un pyromane qui accuse les autres de vouloir mettre le feu. 

Oui, les violences policières existent. Elles sont de plus en plus chiffrées et documentées. En manifestations, il s’est agi d’yeux crevés, de mains arrachées, de personnes dans le coma, de morts. Et dans d’autres opérations, il s’est agi aussi de blessés graves et de morts. Avant la mort de Nahel, le nombre de morts sur des opérations qualifiées de « refus d’obtempérer » interpellait déjà ceux qui font attention à l’action policière. C’est à propos d’un refus d’obtempérer où la passagère du véhicule s’était faite tuer (la passagère !!!) que Jean-Luc Mélenchon avait dit : « La police tue ». Mais on oublie qu’il n’avait pas dit que cela. Voici sa phrase complète : « La police tue et le groupe factieux Alliance justifie les tirs et la mort pour ‘refus d’obtempérer’. La honte, c’est quand ? ».

Les violences policières existent, et elles portent les noms des victimes. Nahel est l’une d’elles. Hedi est l’une d’elle. La liste des noms des victimes ne cesse de s’allonger. Et à chaque fois, on se dit que ça aurait pu être évité, qu’il faut revoir l’armement, qu’il faut revoir la formation, qu’il faut revoir le recrutement, qu’il faut revoir les missions. Je ne dis qu’une seule chose ici pour ce qui concerne les opérations qu’on appelle improprement de « maintien de l’ordre » : c’est un métier, avec une formation spécifique. Qu’on envoie faire du maintien de l’ordre des gens du RAID ou de la BAC n’est pas normal parce qu’ils ne sont pas formés pour faire ce genre de missions spécifiques. Que l’appareil policier « normal » pour ce genre de mission soit débordé signale assez bien que la cause du débordement est d’abord politique et pas purement d’opposition matérielle de forces de police face à un peuple en colère et qui n’en peut plus de se faire marcher dessus par le pouvoir. Oui, les violences policières existent et les policiers qui sortent du cadre légal d’intervention doivent être individuellement sanctionnés pour ça, mais il ne faut pas non plus perdre de vue que les violences policières existent parce que les donneurs d’ordres politiques, et en premier lieu le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, donnent des consignes, des missions et des armes qui sont violentes contre le peuple. On peut faire autrement. On peut « faire mieux ». Mais pour cela, il faut accepter de regarder le problème en face et de le traiter. 

Sottise 8 : À propos de la République et des quartiers

Matthieu Valet l’affirme : « Nos collègues sont courageux, sont motivés, y compris dans les quartiers les plus difficiles où ils tiennent la République à bout de bras pour que l’État de droit s’applique et que ça ne soit pas l’État d’un autre droit ». Pour lui, c’est la police seule qui désormais « tient la République à bout de bras » dans les quartiers populaires. Et il affirme cela sur la seule base d’une intervention réussie de la BAC et de la CDI 91 à Viry-Châtillon. Sans eux, dit-il en substance, pas d’État de droit d’Hans Kelsen, seulement l’état de nature (et donc la violence) de Thomas Hobbes. Enfin, je traduis, bien sûr. 

Commençons par dire que Matthieu Valet ne comprend pas ce qu’est la République, sinon il ne la résumerait pas à l’État de droit, mais on y reviendra. Je trouve beaucoup trop intéressant de commencer par parler, justement, de l’État de droit ! Qu’est-ce que l’État de droit ? C’est l’opposition à l’arbitraire. C’est la limite de la puissance publique par les règles de droit. C’est donc précisément ce que refuse Matthieu Valet pour la police ! Oui, l’État de droit, c’est crucial en effet ! Il repose sur trois grands piliers : l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs et le respect de la hiérarchie des normes. En théorie, la France est un État de droit. En pratique, la séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs ont sacrément du plomb dans l’aile quand un pouvoir exécutif peut faire passer ses budgets par 49.3 ; en pratique, l’égalité devant la loi a du plomb dans l’aile quand on prend 10 mois de prison pour avoir volé une canette de Red Bull mais que la délinquance en col blanc reste largement impunie. Et puis, surtout, l’État de droit est sacrément mis à mal et en danger quand des policiers factieux demandent une loi différente pour eux et quand ils refusent de se soumettre à l’autorité politique… après avoir pourtant servi docilement les demandes de répression émanant de ce même pouvoir politique lors du mouvement social contre la réforme des retraites. Voilà, ce qui menace vraiment l’État de droit dans notre pays.

Mais la République, en France, c’est bien plus que le seul État de droit. Ça l’est, bien sûr, mais pas seulement. La République, c’est un programme politique contenu dans la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Et, dans les quartiers populaires, cette devise est largement mise à mal. Où est la Liberté quand les moyens donnés à l’école la rendent défaillante et qu’elle ne permet pas pleinement l’émancipation ? Où est l’Égalité quand ce qui prévaut c’est le sentiment d’être traité différemment du reste du pays, à la fois dans les moyens mis en oeuvre et dans les manières de parler de là où on habite (et ce n’est pas qu’un sentiment) ? Où est la Fraternité quand une partie de votre pays vous renvoie l’image que vous êtes un poids pour lui et que, d’une certaine manière, si « les quartiers » n’existaient pas, tout irait mieux ? La vérité est que ce sont les habitants des quartiers eux-mêmes qui font vivre les valeurs de la République. Face au dénuement, la réponse première est celle de la Fraternité et de la solidarité : dans les quartiers, on se sert les coudes parce que c’est une question de survie. Et dans des endroits où l’on est sans cesse rabaissé par des institutions qui devraient au contraire nous aider à nous élever, on a assez fortement ancré en soi l’idée de ce qu’est l’Égalité et, aussi, de ce que sont les inégalités. 

J’ajoute qu’on ne tient pas non plus la République à bout de bras quand on est soi-même responsable d’une partie de son recul. Ainsi, les violences policières dont je parlais plus haut ne commencent pas au tir à l’arme à feu ou au LBD. Elles commencent dès la première insulte, la première micro-agression qui sort du cadre républicain. Quand des jeunes gens me racontent que des policiers les traitent de « Kebab », s’arrêtent en voiture pour critiquer leur coupe de cheveux ou leur tenue vestimentaire puis repartent, leur disent des choses comme « ferme ta gueule tête de chien » ou « tu veux qu’on t’en*ule ou quoi ? », ce n’est pas la police républicaine et c’est aussi une violence policière. Verbale, mais violente. Quand il y a des contrôles d’identité répétés et qu’on renvoie à des jeunes l’image qu’ils ne sont pas tout à fait ou pas pleinement Français, on abîme aussi la République. Il ne s’agit pas de dire ici que tous les policiers sont coupables de cela ; il s’agit de dire que ceux qui le sont font beaucoup de mal à la République en niant l’égalité entre les citoyens. Et que c’est à la fois une responsabilité individuelle des policiers quand ils sortent du cadre républicain en étant insultants, mais aussi des missions qui leur sont confiées et qui, à mes yeux, sortent également de ce cadre.

Je veux aussi ici dire enfin une dernière chose, puisqu’il est question de Grigny (même si je répète que l’opération de police dont on parle se passait à Viry-Châtillon). Dans cette ville, ceux qui travaillent à mes yeux le mieux à faire vivre la République, ce sont le maire Philippe Rio et son équipe municipale dans laquelle se trouve ma brillante suppléante Anaïs Köse. Ils déploient depuis plusieurs années des politiques publiques pour que les mots « Liberté, Égalité, Fraternité » ne soient pas des mots en l’air. Des politiques publiques autour de l’accès à l’éducation, au sport, à la culture, à des transports de qualité, à l’amélioration des logements. Philippe Rio donne à la fois de la fierté et du pouvoir d’achat aux Grignois et même aux Essonniens en mettant en place des politiques publiques ambitieuses comme l’installation d’une centrale géothermique qui diminue les factures d’énergie et est un facteur de rayonnement de la ville. Et d’ailleurs, Philippe Rio fait tellement vivre la République à Grigny qu’il a décidé de la placer en son coeur en donnant ce nom, « République », au nouveau quartier qui est sorti de terre et qui sera le centre-ville d’une ville qui n’en avait pas encore vraiment, éclatée entre la Grande Borne et Grigny 2. Dans ce quartier, trois rues portent trois noms magnifiques. L’une s’appelle « Liberté », l’autre « Égalité », la dernière « Fraternité ». Philippe Rio : voilà quelqu’un qui, pour moi, tient la République à bout de bras dans une ville difficile mais magnifique d’humanité, qui souffre d’une mauvaise image mais qui, je crois, peut être aussi un modèle de ce qui se fait de mieux et de plus ambitieux au service de la République. Et si je peux y contribuer à ses côtés par mon action de député, je crois que j’aurai fait du mieux que je pouvais pour servir, avec lui, l’intérêt général – c’est-à-dire, dans le fond, la République elle-même. 

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