Ce lundi 4 août 2025, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau partage sur X une publication de la police du Val-d’Oise (95), faite deux jours plus tôt, qui indique : « Saisie de 34 plants [de cannabis] de matériel de culture/récolte et d’1kg d’herbe », photos des plans à l’appui. Le ministre écrit : « Bravo aux effectifs de la Police nationale du 95 ».
Derrière ce tweet en apparence anodin se cache en fait une publication parfaitement ridicule. Car se féliciter de la saisie d’un kilogramme d’herbe et de 34 plants de cannabis quand on est ministre de l’Intérieur, c’est un peu comme se féliciter qu’on ait guéri quelqu’un d’une mauvaise grippe pour le ministre de la Santé, ou comme si la ministre de l’Éducation nationale se félicitait que quelqu’un ait eu le bac au rattrapage. Il n’y a en tout cas là rien de bien exceptionnel comparé aux 120 tonnes de cannabis saisies en 2023 tous services confondus (douanes, police, gendarmerie). Rien d’exceptionnel car l’auto-production de cannabis prend une part croissante dans la consommation.
À l’heure où l’OFAST (OFfice Anti-STupéfiants) produit un rapport inquiétant sur la circulation de la cocaïne et des drogues de synthèse en France, l’obsession de Retailleau pour un kilo de cannabis et quelques plans est inquiétante. Car sur la lutte contre le narcotrafic, Bruno Retailleau fait tout à l’envers. De deux choses l’une : soit il ne comprend pas la nature de l’enjeu et les manières de lutter efficacement contre la criminalité organisée, soit il comprend et ne veut pas le faire.
La drogue est un marché capitaliste
Quelle est la situation ? Des groupes de criminels de plus en plus riches, de plus en plus structurés, de plus en plus spécialisés par secteurs (production, import, distribution, vente) et de plus en plus armés et violents. Et de plus en plus de consommateurs.
La drogue est un marché capitaliste comme un autre. À la différence près qu’il n’est pas régulé et qu’on a, par exemple, le « droit » de tuer un concurrent ou un employé. Mais le but des capitalistes de la drogue est le même que ceux du luxe : faire de l’argent. Pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants, il faut donc le penser comme un marché capitaliste dérégulé et agir sur les leviers qui permettent de faire reculer le nombre des échanges. Deux solutions : faire baisser l’offre ou faire baisser la demande.
Or, à l’heure actuelle, toute la politique du gouvernement se concentre sur un seul point : faire baisser l’offre, en espérant un jour capter 100% de la drogue en circulation. Il n’y a pas besoin d’être très intelligent pour comprendre que cet objectif est impossible à atteindre. J’ajoute un chiffre : pour commencer à taper les trafiquants au portefeuille, il faudrait être en capacité de saisir 86% de la drogue importée sur le territoire français. Même cet objectif est inatteignable, quels que soient les moyens qu’on y mette. Pour prendre encore la mesure des choses : le secteur de la vente de stupéfiants ferait vivre 200.000 personnes dans notre pays selon le rapport de l’OFAST. Il y a 250.000 policiers et gendarmes en France. Compte-t-on mettre un policier par trafiquant ?
Je ne dis pas qu’il ne faille pas lutter contre l’offre. Au contraire : nous proposons des moyens pour le faire dans le rapport sur le sujet que nous avons rendu avec mon collègue (macroniste) Ludovic Mendes. Faire baisser l’offre peut faire augmenter les prix et baisser la consommation. Mais la question posée est celle des moyens. Le gros des saisies de stupéfiants est fait par les douaniers. Ce sont eux qui réalisent les saisies records se chiffrant en tonnes pour les meilleures prises. On veut faire baisser l’offre ? Renforçons les douanes. Donnons-leur des scanners.
Il faut faire baisser la consommation par la prévention
Mais surtout, tous les acteurs du secteur le disent : on ne parviendra à rien sans faire baisser la consommation – c’est-à-dire sans agir sur la demande. Et c’est là qu’est effectivement tout l’enjeu de la lutte contre les trafics. Oui, la clé, c’est la baisse de la consommation. Par des politiques publiques de santé, pas par des amendes ou des garde-à-vue. Viendrait-il à l’idée de qui que ce soit de mettre une amende à un alcoolique pour le faire arrêter de boire ? Non.
Ces politiques de prévention et de soin doivent viser trois objectifs :
- Éviter l’entrée dans la consommation
- Faire réduire la consommation de ceux qui consomment
- Sortir de la dépendance ceux qui sont devenus dépendants à une drogue
Stigmatiser et punir comme on le fait actuellement les consommateurs de drogue est inefficace. Cela a pour effet de limiter leur capacité à entrer dans des parcours de soin ou même à oser demander conseil auprès de spécialistes de la santé.
Les chiffres sont mauvais : 50% des Français ont déjà consommé du cannabis, 10% ont déjà consommé de la cocaïne, 10% ont déjà consommé de l’ecstasy. Nous ne sommes plus au niveau où il s’agit d’une marge de la société. Il faut donc prendre le problème sérieusement : faire baisser la consommation exige de changer de modèle. Il faut de la prévention, comme on l’a fait pour l’alcool et le tabac avec succès : la consommation diminue. C’est ce que propose le rapport sur la lutte contre le trafic de stupéfiants que nous avons rendu avec mon collègue (macroniste) Ludovic Mendes. Faire baisser la demande est la clé de tout. C’est ce que nous mettons au centre de nos propositions.
Il faut légaliser le cannabis
Mais ce n’est pas tout. Il faut légaliser le cannabis. Car à l’heure actuelle, c’est la prohibition qui crée du danger : parce qu’elle enrichit les trafiquants, parce que la consommation n’est pas encadrée, parce qu’elle mobilise déraisonnablement des forces de police et justice. Oui, il faut légaliser le cannabis. Non, la consommation n’augmentera pas À CONDITION de mettre en place des puissantes politiques de prévention. L’exemple du Quebec est là pour le montrer : légère hausse de consommation, puis forte diminution.
La légalisation du cannabis c’est :
- taper les trafiquants au portefeuille
- faire rentrer 3 milliards dans les caisses de l’État
- créer une filière économique (notamment agricole)
- créer 40.000 emplois légaux
- faire des politiques de prévention
- libérer des moyens de police et de justice
Oui, le cannabis est une drogue, comme l’alcool ou le tabac.. Mais sur qui compte-t-on le plus pour faire des politiques de prévention au moment de la vente, notamment chez les jeunes majeurs ? Sur les dealers ou sur l’État ? Ma confiance va clairement à l’État.
Par ailleurs : non, on n’essaie pas une autre drogue quand on a pris du cannabis. En fait, c’est aussi la prohibition qui fait peser ce risque. Car les dealers se sont lancés dans… les offres promotionnelles ! Ils proposent, justement, de passer d’une drogue à une autre. C’est logique. Selon les chiffres qui nous ont été communiqués en audition, le gramme de cocaïne se vend 60€ et crée une forte dépendance tandis que le gramme de cannabis se vend 8€ et en crée moins. Pour un même poids, la rentabilité est plus forte pour les trafiquants.
Mais revenons à la légalisation. La libération de moyens qu’elle représenterait permettrait de concentrer les forces de police, de gendarmerie et de justice sur le démantèlement des réseaux et des trafics. Mais aussi de redéployer les moyens sur d’autres tâches utiles.
Blanchiment, corruption, trafic d’armes : il faut mettre le paquet
Enfin, il faut mettre le paquet sur trois points. La lutte contre le blanchiment, la lutte contre la corruption, la lutte contre le trafic d’armes. Car ce sont là des points majeurs pour la lutte contre les trafics de stupéfiants.
Sur la lutte contre le blanchiment, il faut une montée en formation et en moyens humains et techniques. À noter : ce blanchiment passe parfois par des réseaux similaires à ceux de la fraude et de l’évasion fiscales, comme on nous l’a dit en audition. Il y a matière à agir.
Sur la lutte contre la corruption, il faut d’abord des formations OBLIGATOIRES de tous ceux qui sont visés. Et des moyens de « se rendre » quand on s’est fait entraîner petit à petit et qu’on est prêt à aider les forces de sûreté moyennant réduction de peine.
Sur la lutte contre le trafic d’armes, il faut là encore mettre les moyens humains pour démanteler les filières et saisir les armes en circulation. Ce devrait être à mon sens la priorité d’un ministre de l’Intérieur. Mais on en est loin.
Il faut des logiciels fonctionnels pour la police et la justice
Dernière chose : il faut des LOGICIELS de base efficaces dans la police et dans la justice. Car les logiciels de rédaction des procédures pénales d’un côté (Scribe-XPN) comme de l’autre (Cassiopée) sont INOPÉRANTS ! Comment bosser sans ces outils DE BASE ? Je rappelle qu’avec mes collègues insoumis, nous avons déposé une proposition de résolution pour faire la lumière sur la GABEGIE autour du logiciel de rédaction des procédures pénales de la police. 15 à 20 millions d’euros donnés à Capgemini.Toujours pas de logiciel.
Bref : il faut faire tout l’inverse de ce que fait Bruno Retailleau. S’attarder sur 34 plans de cannabis et 1kg d’herbe quand la cocaïne arrive par conteneurs entiers et des filières structurées est au mieux une gageure au pire un acte ridicule.
Il est plus que temps d’avoir une politique puissante de lutte contre la criminalité organisée et la lutte contre le trafic de stupéfiants. Et cela exige une seule chose : une politique basée non sur le sensationnel des chaînes d’info. Mais sur le travail et la raison.