Je ne confesse pas le racisme : je le combats – Réponse au Figaro

« À la Fête de l’Huma, l’insoumis Antoine Léaument confesse son racisme » : voici comment le journal Le Figaro, par un visuel sur les réseaux sociaux et un article au titre similaire, tente de me salir en tordant ce que j’ai dit à la Fête de l’Humanité. 

D’où part cette Fake News du Figaro ? D’une intervention que j’ai faite sur le stand de la France insoumise dans le cadre d’un débat intitulé : « L’antiracisme au cœur de l’émancipation ». Qu’ai-je dit ? Rien de très exceptionnel pour qui s’intéresse un peu aux luttes antiracistes et, plus largement, aux luttes collectives contre tous les systèmes de domination. 

J’ai dit, et je le réaffirme, qu’il existe deux formes de racisme.

Le racisme actif 


La première est ce qu’on peut appeler le racisme « actif ». Il renvoie à une adhésion volontaire et réfléchie à une hiérarchisation des êtres humains en raison de leur couleur de peau, origine ou religion. Ce racisme assumé a ses théoriciens, comme Gobineau, qui se fonde sur des distinctions physiques et phénotypiques, pour affirmer qu’il existerait des « races supérieures » et des « races inférieures » (Cf. Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, 1855). Gobineau parle ainsi de « race noire (…) [qui] gît au bas de l’échelle », tandis qu’il affirme que « toute civilisation découle de la race blanche ». Ces propos sont odieux. Mais ce qui l’est encore plus, c’est qu’une proportion non négligeable d’individus les tiennent pour vrais et s’en réclament.

Cette conception hiérarchisée des individus en fonction de leur couleur de peau, de l’origine, ou encore de la religion est précisément ce qui est au fondement du racisme. C’est sur ce racisme que s’appuie l’esclavage, c’est-à-dire littéralement la transformation en choses de nos semblables en raison de leur couleur de peau. C’est sur ce racisme que s’appuie la colonisation et sur celui-ci que certains, aujourd’hui encore, s’appuient pour parler des prétendus « apports civilisationnels » qu’elle aurait permis. C’est sur ce racisme encore que s’appuie la Shoah, c’est-à-dire là encore la négation absolue de l’humanité de nos semblables, leur déshumanisation par le camp (à ce sujet, lire les mots indépassables de Primo Levy dans Si c’est un Homme) puis son assassinat par la transformation du progrès technique en outil d’extermination de masse.

Ce qui rend ce racisme « actif », c’est son affirmation, sa théorisation, sa mise en système et, malheureusement, sa mise en pratique violente dans des agressions comme on a pu en voir cet été à échelle de masse au Royaume-Uni. Ce racisme doit être combattu par la force de la loi quand il s’exprime dans l’espace public, qu’il s’agisse de propos, d’actes ou de violences. Une société républicaine comme la nôtre, qui affirme que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » depuis 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ne peut tolérer la mise en cause de ces principes. Elle ne peut pas davantage tolérer la mise en cause de sa devise qui met l’Égalité et la Fraternité au rang de ses valeurs fondatrices. 

Quelle est la part de gens qu’on pourrait qualifier d’« activement racistes » dans la société française ? Il faut avoir l’honnêteté de dire que c’est difficile à estimer. Les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) semblent montrer qu’il s’agit d’une minorité d’individus. Ainsi, à la question « êtes-vous raciste vous-même ? » seuls 2% des interrogés s’estiment « plutôt raciste » tandis qu’une large majorité (60%) se dit « pas du tout raciste », le reste (38%) se déclarant « un peu » ou « pas très » raciste. Autre chiffre de cette même enquête :  7% des Français affirment qu’il y aurait « des races supérieures à d’autres » tandis que 92% disent que « les races humaines n’existent pas » ou que « toutes les races se valent » (sic.) À partir de ces chiffres, et quoiqu’ils soient sujets à de gros biais méthodologiques (de sous-déclaration par exemple), on peut donc estimer – et c’est heureux ! – que le racisme « actif », entendu comme une adhésion consciente et volontaire à un système de hiérarchisation des êtres humains, semble être un phénomène plutôt minoritaire dans la société. D’ailleurs, et il faut s’en féliciter, 77% des Français affirment dans cette même étude qu’« une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France ». 

Graphiques avec les chiffres
Source : Centre d’observation de la société

Il faut néanmoins moduler cette idée avec d’autres chiffres, plus inquiétants. Ainsi, les agressions racistes sont quant à elles en augmentation : le ministère de l’Intérieur enregistrait, en 2022, plus de 12 500 crimes et délits à caractère raciste, un chiffre en hausse depuis 5 ans. Et encore : ces chiffres excluent toutes les plaintes qui n’ont pas été déposées pour des actes ou des propos à caractère raciste ayant été commis dans notre pays. Ils sont pourtant estimés à un million chaque année. Un phénomène massif, qui impose de ne pas seulement penser le racisme comme le fait d’individus « activement racistes », mais bien comme un phénomène d’ampleur qui touche toute la société française et, donc, qui fait système.

Le racisme systémique


Car pour lutter contre le racisme sous toutes les formes qu’il peut prendre, il est essentiel de comprendre que lutter contre ses formes actives ne suffit pas et qu’il faut aussi lutter contre son caractère systémique. En effet le racisme, au même titre que le patriarcat ou le capitalisme, doit être compris comme un système de domination produit et reproduit par notre société. C’est ce que j’avais affirmé à la tribune de l’Assemblée nationale en mars 2024 lors d’un débat sur une proposition de loi dont l’unique objectif (mal rempli, d’ailleurs) était de lutter contre les formes actives de racisme pour lesquelles une plainte a été déposée (et qui laissait de côté, donc, le million d’actes racistes annuels estimés dans notre pays).

Qu’est-ce que le racisme systémique ? La sociologue à l’EHESS Éléonore Lépinard en donne une définition qui résume assez bien les choses : « L’expression “racisme systémique” permet de pointer la façon dont le racisme s’actualise de manière diffuse dans les relations sociales, sans pour autant que cela soit orchestré par un État qui adhérerait à une idéologie raciste et sans s’en tenir aux seuls actes ou propos violents commis par des personnes activement racistes. » Pour le dire autrement : étant individuellement pris dans un système de domination qui nous englobe et nous formate, nous pouvons à notre corps défendant participer à produire ou reproduire ce système de domination. 

Faisons un pas de côté pour mieux le saisir. Le mouvement #MeToo a été le moment d’une explosion de témoignages de femmes victimes au cours de leur vie d’agressions sexistes et sexuelles. Il a été aussi, pour beaucoup d’hommes, le moment d’une prise de conscience du caractère systémique des violences sexistes et sexuelles et, pour ceux qui sont allés le plus loin dans la réflexion, d’un système de domination global des hommes sur les femmes qui s’appelle le patriarcat. Le choix même de l’expression #MeToo, c’est à dire « moi aussi », montrait combien il est quasiment impossible d’être une femme sans avoir subi, au moins une fois dans sa vie, une agression sexuelle ou un propos sexiste. Impossible d’y échapper : d’un seul coup, c’était une collègue, une amie, une cousine, une copine, une ex-copine, une mère, une nièce qui témoignait du mal qu’elle avait subi. Et d’un seul coup, les agresseurs avaient les visages banals du voisin, de l’oncle, du grand-père, d’un ami qu’on n’aurait jamais soupçonné, etc. Systémique. Inévitable. Sauf à détruire le système patriarcal lui-même. Ainsi, chaque année en France, 217.000 femmes sont victimes de viols, tentatives de viols ou d’agressions sexuelles et 321.000 sont victimes de violences sexistes, sexuelles ou psychologiques commises par leur conjoint ou ex-conjoint.

L’exacte même logique s’applique au racisme. Il faudra, peut-être, un mouvement #MeTooRacisme pour que la société française en prenne la mesure et l’ampleur. Pourtant les chiffres existent. 91% des personnes noires ont ainsi été victimes au moins une fois dans leur vie de discrimination raciale. 25% affirment que c’est « souvent » et 44% « de temps en temps ». 42% des musulmans et jusqu’à 60% de femmes portant le voile affirment avoir subi une discrimination en raison de leur religion au cours de leur vie. Là encore, ces phénomènes sont massifs. Ils font système. Et c’est bien ce système de domination raciste qu’il s’agit de combattre, au même titre que le patriarcat, si l’on veut travailler à l’unité du peuple français. Mais aussi si l’on veut faire reculer l’extrême droite, qui s’appuie sur ce terreau raciste pour se développer comme le montrent par exemple les travaux du sociologue Félicien Faury dans son livre Des électeurs ordinaires

Je ne confesse pas le racisme : je le combats


Venons-en à ce que j’ai dit à la Fête de l’Humanité. J’ai expliqué tout ceci. J’ai fait le distinguo entre « racisme actif » et « racisme systémique ». Et j’ai appelé chacun à regarder en lui-même la part de préjugés sexistes et racistes qu’il pouvait véhiculer avec lui sans que cela fasse de lui pour autant un sexiste ou un raciste actif. C’est tout l’enjeu de la compréhension des processus de domination comme, précisément, des systèmes : les actes et propos sexistes, les actes et propos racistes peuvent être commis aussi par des militants qui luttent pour abolir le patriarcat ou le racisme. Et des choses qui peuvent paraître anodines comme demander à quelqu’un « c’est quoi ton origine ? », sans être une question posée par quelqu’un d’activement raciste, permet pourtant la reproduction d’une frontière imaginaire dans le peuple, car la personne à qui vous posez la question l’a déjà entendue 50 ou 100 fois dans sa vie, tout en constatant qu’on ne la posait pas à ses amis qui ont une autre couleur de peau. 

Aussi, j’ai pris un cas personnel, pour faire comprendre combien tout ceci peut s’insinuer en nous à notre corps défendant. J’ai expliqué le « sentiment d’insécurité » totalement irrationnel que les médias et les politiques d’extrême droite, de droite, et malheureusement aussi de gauche m’avaient appris à avoir en faisant le lien entre les « quartiers populaires » et « l’insécurité ». J’ai expliqué aussi comment ce sentiment passe – parce qu’on nous apprend à « penser » comme cela, et que c’est précisément ce qu’il faut déconstruire – par la couleur de peau. C’est ce que résume bien Linda Hamilton Krieger, professeur de droit passée par Stanford, Berkeley et Harvard : « les stéréotypes peuvent opérer implicitement en infléchissant le jugement social d’un décideur même si, consciemment, il en rejette les a priori et même s’il est pleinement convaincu que la “race” ou l’“ethnie” n’ont pas d’existence réelle ». Ce phénomène, des enquêtes scientifiques l’ont montré empiriquement, par exemple avec les travaux de H. Andrew Sagar et Janet Schofield, qui ont fait la démonstration que le comportement d’enfants se chamaillant en classe était jugé différemment selon la couleur de peau (« taquin » ou « joueur » quand l’enfant est blanc ; « agressif » ou « méchant » quand l’enfant est noir). Et c’est bien contre ces préjugés et stéréotypes incrustés en nous, à notre corps défendant, qu’il faut précisément lutter.

Je n’ai donc pas « confessé mon racisme » à la Fête de l’Humanité. Ce que j’ai dit et affirmé, c’est au contraire quelque chose qui me rattache à l’universalisme républicain et à l’antiracisme qui doit nécessairement l’accompagner. Nous sommes tous des êtres humains et, par conséquent, nous sommes tous faillibles et influençables, surtout quand nous naissons à l’intérieur de systèmes de domination qui nous précèdent de plusieurs siècles. Mais précisément, ce qui fait la beauté de notre humanité et ce qui fait la force de l’idéal républicain et humaniste c’est de considérer que, si nous sommes égaux en droits, nous sommes aussi égaux dans notre capacité à écrire une voie unique pour nous-mêmes dans ce que l’on appelle l’existence. L’être humain est auteur et acteur de son histoire. Par la connaissance et la réflexion, il peut s’émanciper de systèmes de domination millénaires et combattre ce qui en lui l’y rattache. Mais il peut faire aussi le choix funeste d’y céder et de s’enfermer dans la facilité des certitudes établies. J’essaie, pour ma part, de comprendre autant que faire se peut ces systèmes de domination, afin de m’en émanciper pour participer le moins possible à leur reproduction. J’essaie, aussi, – et c’est l’objet de cette note – d’expliquer ce que j’en ai moi-même compris pour permettre à d’autres de faire de même. Autrement dit, et pour être parfaitement clair, je ne confesse pas le racisme : je le combats. Le Figaro ferait bien d’en faire autant plutôt que de travailler activement à sa (re)production.

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