Assa Traoré à la marche du 8 juillet 2023
Assa Traoré à la marche du 8 juillet 2023

Marche Adama Traoré : qui a trahi la République ?

Ça recommence. Au motif que le chant « tout le monde déteste la police » a été chanté dans la marche pour Adama Traoré quoique nous ne l’ayons pas chanté, au motif que cette manifestation était interdite et qu’elle a quand même eu lieu, voici que ceux qui y ont participé sont à nouveaux sortis du nouvel « arc républicain » qui unit désormais officiellement les macronistes et les lepénistes. On ne sait s’il s’agit de pure politique politicienne (mettre un coup politique à ceux qui luttent contre le racisme, les violences policières, et cibler les députés insoumis), s’il s’agit de pure bêtise et de comportement moutonnier, ou, pire et plus probable, s’il s’agit d’une fusion idéologique entre l’extrême droite lepéniste et le macronisme lepénisé. Je penche pour cette dernière option. Quoi qu’il en soit, compte tenu des critiques formulées, je veux répondre sur le fond en partant de la République comme ligne directrice, comme je l’avais fait dans ma précédente note sur le racisme dans la police que j’invite toujours à lire celles et ceux qui nous critiquent nous plutôt que de traiter ce problème dénoncé par l’ONU

Contre nous, de la tyrannie…

Est-il légitime, quand on est républicain, de participer à une manifestation interdite ? Je fais tout de suite une réponse de normand pour maintenir le suspense : ça dépend des cas. Cela dépend en réalité de deux paramètres simples : premièrement, de l’objectif visé par la manifestation en question ; deuxièmement, du régime politique qui met en place l’interdiction. Si la cause est républicaine et le gouvernement autoritaire, alors, pour un républicain convaincu, la République est du côté de la manifestation interdite plutôt que du côté de celui qui l’interdit – et cela quand bien même le gouvernement interdisant la manifestation aurait constitutionnellement une forme républicaine.

Nombreux sont, dans l’Histoire mondiale et dans l’Histoire nationale, les cas où une manifestation interdite ne choque personne, et où, au contraire, elle force l’admiration. Nombreux sont aussi les cas où cela se produit dans des régimes qui, constitutionnellement, sont des Républiques. Je ne veux pas ensevelir les lecteurs sous les exemples récents où la bonne société se pâme devant la « résistance courageuse » de tel ou tel peuple de tel ou tel pays contre son gouvernement, mais je crois que les exemples ne manquent pas. Il me suffira d’indiquer la seule existence du Venezuela pour qu’on se souvienne d’à quel point, pour certains, les violences policières sont condamnables quand elles se passent chez les autres mais qu’elles n’existent pas quand elles se passent chez nous. 

Mais je veux prendre ici un exemple national éclairant pour le présent, car il dit beaucoup de la République française, dont tout le monde semble oublier qu’elle est née d’une révolution, et donc d’un certain nombre de manifestations interdites. Je veux parler du 17 juillet 1791. Après la fuite raté du roi à Varennes, traître à la patrie qui conspirait avec les monarchies étrangères pour faire la guerre à son propre peuple, des citoyens décident de porter des pétitions pour la République au Champ-de-Mars. Une manifestation pacifique, interdite par le pouvoir en place. Mes amis de l’époque y vont quand même. Ils se font massacrer. La Fayette fait sortir le drapeau rouge de la loi martiale, celui qui permet de tirer dans la foule. C’est un carnage qui fera plusieurs dizaines de morts. La réaction triomphe temporairement, les républicains sont battus ; il leur faudra un an pour redresser la barre par l’insurrection – non autorisée – du 10 août 1792 et proclamer la République un mois plus tard. 

Cet exemple peut vous paraître lointain et trop simple. Il y a d’un côté la monarchie et l’autoritarisme, de l’autre la République et la manifestation pacifique. Si je le choisis, c’est parce qu’il éclaire la Marseillaise. « Contre nous, de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé ». Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’est « l’étendard sanglant » ? C’est précisément le drapeau rouge de la loi martiale, le drapeau rouge qui autorise qu’on tire dans la foule, le drapeau rouge de la répression qu’on appellerait aujourd’hui policière. Notre Histoire républicaine est celle d’une résistance à l’oppression, et c’est pourquoi la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) garantit à son article 2 « la résistance à l’oppression » parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme ». Mieux : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793, celle qui servait de préambule à la Constitution de la 1ère République, expliquait à son article 9 que : « La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent. »

Macron est-il un despote ?

J’en reviens aux fondamentaux car c’est bien de cela dont on parle aujourd’hui. Est-on plus républicain quand on est un républicain de la 5e République ou de la 1ère ? Le comité Vérité et Justice pour Adama et les insoumis défendent une vision de la République qui garantit les libertés publiques et individuelles ; ceux qui s’opposent à nous défendent une version de la République qui les limite et les menace durement. J’affirme pour ma part que quand un gouvernement est autoritaire, qu’il menace les libertés publiques et individuelles, qu’il se place du côté des racistes plutôt que des antiracistes, il sort du champ républicain et ceux qui se dressent face à lui au nom de ces valeurs sont ceux qui méritent de porter le nom de « républicains ». 

Il ne suffit pas qu’une règle soit constitutionnelle pour être juste ou républicaine, il faut qu’elle soit réellement juste ou républicaine pour l’être. Ainsi, le 49.3 est constitutionnel mais pas républicain, car il détruit l’expression de la souveraineté populaire par ses représentants. L’utilisation des forces de police pour la répression d’une manifestation pacifique et antiraciste n’est quant à elle ni républicaine ni constitutionnelle puisque l’article 12 de la Déclaration des DDHC de 1789 dit : « La garantie des Droits de l’Homme et du Citoyens nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Je répète : « la garantie des Droits de l’Homme et du Citoyen », pas la répression de ces droits. 

Qu’est-ce qu’une manifestation ? C’est l’expression pacifique et démocratique d’une colère ou d’un mécontentement. C’est une forme ultra-républicaine de mobilisation qui fait passer une revendication par le rassemblement visible du peuple plutôt que par la violence. C’est d’ailleurs un droit constitutionnel garanti, par la jurisprudence, dans l’article 11 de la DDHC : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Un droit d’ailleurs précisé en 1793 – et de quelle manière ! – par l’article 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la 1ère République : « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. – La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme. » Pour un républicain de la 1ère République, une manifestation pacifique ne peut être interdite et celui qui le fait est un despote. Pour un républicain comme moi, Macron est despotique dans la forme pourtant constitutionnellement républicaine de son pouvoir. 

Les pyromanes de l’appel au calme

L’expression pacifique, démocratique et républicaine d’une colère populaire contre les violences policières et le racisme dans la police a donc été interdite. Mais dans la marche pour Adama Traoré, la République et ses principes sont du côté de ceux qui y participent plutôt que de ceux qui l’interdisent. Car la République est à la fois du côté de ceux qui se battent contre le racisme (article 1 de la DDHC), contre l’autoritarisme du gouvernement (article 2 de la DDHC), contre la répression policière (articles 9 et 12 de la DDHC) et qui le font dans la forme pacifique de la manifestation (article 11 de la DDHC). 

Et c’est la raison pour laquelle dans son discours Assa Traoré a déclaré à plusieurs reprises : « Aujourd’hui, le peuple français a gagné ». Car oui, marcher pacifiquement pour toutes ces valeurs et en dépit de l’interdiction prononcée par un gouvernement que la Constitution de la 1ère République qualifie de « despotique », c’est une victoire du peuple français. Celui qui, de 1789 à 2023, écrit sa propre histoire et non celle des rois, avec de nouveaux symboles que sont non le drapeau blanc mais le drapeau tricolore, non « Montjoie Saint-Denis » mais « Liberté, Égalité, Fraternité », non « Domine, salvum fac regem » mais « La Marseillaise ». Oui, Assa Traoré a raison quand elle dit qu’une marche antiraciste interdite et qui a quand même eu lieu dans le calme est une victoire du peuple français. Car une fois encore, la violence gratuite était du côté de la BRAV-M qu’il faut décidément dissoudre pour rétablir un ordre réellement républicain. De leur côté, les organisateurs n’ont cessé d’appeler au calme et à maintenir le caractère rigoureusement pacifique de la marche.

Je le dis à ceux qui nous ont fait la leçon une semaine durant et qui me liraient : vous n’avez cessé de nous dire d’appeler au calme mais vous interdisez une manifestation pacifique et démocratique. Allez, un peu de courage : dites-nous ce que vous voulez vraiment ! Qu’on arrête d’être des opposants ? Qu’on s’agenouille devant sa magnificence le roi Macron ? Qu’on ferme nos bouches ? Qu’on rentre à la niche ? Dites-le-nous avec des mots simples et clairs, qu’on voit qui est républicain et qui ne l’est pas. Certains d’entre vous disent même désormais qu’il faut rendre inéligible l’un des nôtres qui a le seul tort réel d’être un opposant. Vous voulez quoi ? Le parti unique ? Et c’est nous qui sortons de l’arc républicain ? On croit rêver ! 

Quand une manifestation visant à exprimer de manière pacifique et démocratique une colère qui s’est exprimée les jours précédents dans des formes violentes est interdite, quel est le message envoyé ? Que même les formes démocratiques et républicaines ne conviennent pas au parti de l’ordre. Comment appeler au calme si l’expression calme et contenue de la colère n’est même pas possible ? Quelle est la voie de sortie pacifique et démocratique puisque de toute façon, quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, rien ne sera entendu. La vérité, c’est que les incendiaires, les pyromanes, ceux qui jettent de l’huile sur le feu n’étaient pas dans cette manifestation : ils étaient dans leurs bureaux ou sur des plateaux, et c’étaient ceux qui l’ont interdite et qui soutenaient son interdiction. Assa Traoré et le collectif qu’elle anime fait bien plus partie de l’arc républicain que Macron et Ciotti qui salissent chaque jour l’idée républicaine en la souillant des mots et des pratiques de l’extrême droite. 

Police et République

J’en viens aux quelques mots sur lesquels on nous fait encore une polémique stupide. Il s’agit du chant « tout le monde déteste la police ». Qu’on nous fasse une polémique sur ça maintenant alors qu’il n’y a pas une manifestation récente où cela n’a pas été chanté montre le caractère profondément communicationnel de l’opération. Ce chant est même devenu international, puisqu’il a au moins été chanté en Allemagne et en Grèce. On préfèrerait que la langue française rayonne dans le monde pour d’autres raisons que celle-ci, mais sous Macron, c’est comme ça, ce qui fait connaître notre pays à l’étranger, c’est la répression policière de toute opposition. 

Je précise une bonne fois pour toute. Non, nous ne détestons pas la police. Mais oui, nous détestons les violences policières et le racisme dans la police. Dire cela, c’est être républicain. Dire cela, c’est dire que nous voulons une police totalement républicaine, où le racisme n’existe pas et où il est combattu comme un délit puisque c’en est un. Dire cela, c’est dire que si nous consentons au fait que la police détienne le monopole de la violence physique légitime dans la société, nous exigeons en revanche que cette violence soit toujours nécessaire et proportionnée pour exister. Dire cela, c’est vouloir la République jusqu’au bout et précisément dans l’appareil étatique qui s’assure du respect de la loi. 

Et voilà la raison pour laquelle alors que certains chantent que « tout le monde déteste la police », vous ne verrez jamais un député insoumis reprendre ce chant. Oui, nous en avons gros, très gros sur la patate vis-à-vis de la manière dont est utilisée la police dans notre pays. Mais nous pensons qu’il faut combattre les effets de système et donc d’abord combattre ceux qui donnent les ordres. « Tout le monde déteste Macron et Darmanin », ça j’aurais pu le chanter, car c’est très républicain de détester des despotes et de vouloir les dégager par les urnes. Mais pour la police, nous avons un programme complet, pour tout revoir de la cave au grenier. J’en ai dit quelques mots dans ma note de blog, en traitant en particulier de la question de la lutte contre le racisme dans la police. Nous dira-t-on bientôt que lutter contre le racisme, c’est sortir de l’arc républicain ? Possible. La pente vers la lepénisation des esprits étant prise avec une telle rapidité chez les macronistes, on n’est plus à l’abri de grand chose en matière d’idioties. Mais pour ce qui nous concerne, nous continuerons à porter les valeurs républicaines de Liberté, d’Égalité et de Fraternité qui sont l’alpha et l’oméga de notre programme de gouvernement. Et ce ne sont ni les insultes ni les interdictions anti-républicaines de manifester qui nous feront taire. L’insoumission n’est pas qu’un mot pour faire joli : c’est un mode de pensée et d’action. Profondément républicain.

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