immigration tentes
Crédit photo : Laurent Caron (Instagram : @laurentcaron_photography / Twitter : @lcaronphoto)

Immigration : l’inhumanité du capitalisme contre l’unité du peuple

Après un an de galère pour le remettre en route, je suis heureux que mon blog soit de nouveau opérationnel (et je vous invite d’ailleurs à vous abonner à ma Newsletter). Car je peux vous y parler d’une chose qui m’a marqué.

La scène s’est produite le 20 juin 2023, date de la journée mondiale des réfugiés. Un jour où l’on devrait normalement s’interroger sur leur sort, sur les raisons qui les poussent à quitter leur pays, sur les moyens de les accueillir dignement. Mais non. Pas sous Macron et Darmanin. Car ce 20 juin a été celui de la violence et de la répression contre des gens qui ont déjà subi l’enfer de la migration, frôlé la mort à de nombreuses reprises, perdu certains de leurs amis et quitté leur famille – peut-être pour toujours. 

Une intervention policière brutale

Il est 20h environ ce 20 juin quand les forces de police interviennent pour « déloger » quelques centaines de mineurs non accompagnés, exilés de leur pays, de la place du Palais Royal où ils venaient d’installer des dizaines de tentes, avec l’aide notamment de l’association Utopia. Pourquoi s’étaient-ils installés ici ? Pour marquer le coup après s’être fait déloger de l’endroit où ils étaient auparavant : une école abandonnée dans le 16e arrondissement de Paris. Ce n’était pas l’idéal, car normalement l’Aide sociale à l’enfance (ASE) est censée loger ces mineurs. Mais ils avaient fait comme ils avaient pu, avec l’aide des associations, et ils ne dérangeaient personne là-bas, sinon quelques racistes qui ne supportent pas que la misère s’installe au cœur de l’arrondissement le plus bourgeois de Paris. 

La scène est d’une rare violence. Je n’y étais pas au début, car j’étais en séance à l’Assemblée nationale sur le projet de loi concernant les douaniers. Mais j’ai vu les images et on m’a raconté : les gens délogés comme de vulgaires cartons de déménagement, attrapés brutalement, jetés sur le sol et frappés ; les tentes éventrées pour éviter qu’elles soient de nouveau utilisées, les denrées alimentaires péniblement accumulées par les associatifs piétinées sur le sol. Du gâchis, du gaspillage, et surtout, surtout, une violence inutile.

Vers minuit et demi, après la séance, j’arrive sur place. On me dit que l’opération est presque terminée. Je vois une arrestation violente. Puis le chaos des tentes. Je vois des gens perdus et en colère. Je franchis les nasses policières pour me faire une idée globale de ce qui se passe. Je vois qu’on pousse certaines personnes vers une bouche de métro, d’autres vers la rue de Rivoli. Quelques minutes plus tard, la police découvre que le dernier métro est déjà parti, alors tous ceux qui y étaient encore refluent vers le point de départ. Après avoir cherché à évacuer cette place, voici qu’on y nasse de nouveau les gens. L’absurdie. 

Les bénévoles et les mineurs non accompagnés ramassent les tentes encore utilisables. Ils ont l’accord pour le faire des commissaires de police présents sur place. Au milieu de la nasse, je vois une bénévole et un mineur non-accompagné essayer de démêler deux tentes attachées par une ficelle. Puis je vois cinq policiers arriver, un meneur parmi eux. Lui veut provoquer des incidents. Il bouscule la jeune femme et le jeune homme, puis met son pied sur l’une des tentes pour empêcher qu’elle soit récupérée. Pourquoi ? Dans quel but alors que les choses, en dépit de tout, étaient en train de se calmer ? Je fais le naïf, je lui dis : « Monsieur, votre pied est sur la tente, vous voyez bien qu’il est impossible de la récupérer ». Il reste silencieux et fermé, refuse de croiser mon regard. Je me saisis de la tente pour la libérer, son pied se soulève enfin. 

Je sais ce que veut dire un tel comportement. Quand aucun ordre n’est donné et que, de son initiative, un policier agit comme cela, on sait tous ce que ça signifie. Qu’il y a dans la police des éléments qui n’y ont pas leur place parce qu’ils ne sont pas capables de mettre de côté leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions. Et quel genre d’opinion ! J’aimerais que les policiers républicains chassent ce genre de brute de leurs rangs, dénoncent ouvertement leurs collègues anti-républicains, n’aient pas peur des représailles en retour. Je sais que beaucoup ne supportent plus ce genre d’agissements. Ce n’est là qu’un petit morceau de brutalité, pas le plus visible, pas le plus violent, mais je l’ai vu de mes yeux… et je trouve qu’il en dit tellement d’un coup sur l’inhumanité dans laquelle on nous enferme peu à peu dès qu’on parle de « migrants » (je préfère le terme « exilés »), qu’il valait la peine d’être raconté. 

Je poursuis sur l’opération policière. La nasse s’ouvre finalement. Elle déverse ses occupants au compte-goutte : dix par dix, les mineurs non-accompagnés et les associatifs sont invités à sortir par la rue de Rivoli en direction de l’Hôtel de ville. Pourquoi dix par dix ? On ne sait pas. Les gens se regroupent sur un trottoir. De temps à autre, on voit des policiers courir d’un coup. Tout cela donne une impression de chaos et de désorganisation dont je me dis qu’on aurait largement pu l’éviter en combattant fermement les quelques racistes qui ont poussé à l’expulsion de l’école abandonnée du 16e arrondissement. Mais on n’en est plus là.

L'immigration n'est pas une statistique mais une réalité humaine

Des jeunes exilés m’interpellent. « Monsieur, pourquoi on nous fait ça ? ». Je réponds que je n’en ai pas la moindre idée. J’ai l’écharpe tricolore à l’épaule, ils pensent que j’ai des informations mais je n’en ai pas. Je leur dis que je ne suis pas d’accord avec ça, que je trouve ça anormal. L’un d’entre eux me dit : « S’ils savaient ce qu’on a enduré, ils ne nous traiteraient pas comme ça. Moi j’ai traversé sept pays, j’ai passé un mois dans le désert et neuf jours au milieu de la mer. Je pensais que quand on arriverait ici, nos malheurs seraient finis. Je pensais que la France, c’était le pays des Droits de l’Homme. J’ai quitté mon pays parce qu’il n’y a plus rien là-bas. Je veux aider ma famille. Mes parents vont mourir sinon. ».

Antoine Léaument discute avec un mineur non-accompagné de Guinée.
Crédit photo : Laurent Caron (Instagram : @laurentcaron_photography / Twitter : @lcaronphoto)

Mon coeur se serre. Nous, les insoumis, nous répétons à longueur de temps que l’immigration, ce ne sont pas des chiffres dans des tableaux mais des êtres humains avec une vie brisée. En voilà une devant moi, de vie brisée. Et la honte m’étreint. Pour moi aussi, la France, c’est le pays des Droits de l’Homme (et du Citoyen !) – je saoule d’ailleurs assez tout le monde avec ça pour qu’on le sache. Et je me dis qu’on en est loin, du pays des droits. Je le dis à ceux qui ne le sauraient pas, mais pour le monde entier, la France, c’est ça. La Chine nomme même notre pays : « Fàguó », « guó », ça veut dire « pays », « Fà », ça veut dire « la Loi ». La France, pour les Chinois, c’est le « Pays de la Loi ». Et donc le pays des droits que la Loi garantit. C’est un honneur et une fierté d’être cela aux yeux du monde, et il faut savoir en être digne ! 

Je demande à ce jeune garçon d’où il vient. « De Guinée ». Plusieurs à côté de lui disent « moi aussi ». Il n’est pas le seul, en effet. En ce moment, un certain nombre de jeunes gens arrivent de Guinée. Et comme j’avais regardé ce qui s’y passait pour comprendre il y a quelques semaines, je lui parle de son pays. Je lui dis : « Ah ! La Guinée où les puissances étrangères pillent le bauxite de votre sous-sol ! ». Je lui parle aussi du port de Conakry, capitale du pays, et je lui dis : « C’est un Français qui a le port en concession je crois non ? C’est lequel, Bouygues ou Bolloré ? ». « Bolloré ! », il me répond. Voilà, c’est lui. Bolloré qui vampirise l’argent des Guinéens et qui a une chaîne de télé pour se plaindre en continu de l’immigration qu’il provoque, lui. On ne peut prendre au sérieux un homme qui se plaint des conséquences dont il chérit les causes.

Inhumanité du capitalisme et unité du peuple

Cette petite scène montre toute la violence et l’inhumanité du capitalisme. Qu’est-ce qui provoque l’immigration des Guinéens ? La rapacité du capitalisme, qui pille, qui vole, qui exproprie, qui spolie le plus ceux qui ont le moins le pouvoir de se défendre. Parmi les capitalistes qui y participent en Guinée, il y a au moins un Français et il s’appelle Bolloré. Il utilise ensuite ses médias de communication pour nous faire détester ceux qui arrivent sur notre sol par sa faute. Parce qu’il a besoin que ça continue. « Gens du peuple, détestez-vous les uns les autres afin que je puisse conserver mes profits », voilà la logique de Bolloré.

Les capitalistes n’ont pas d’autre logique que celle du profit. La planète ? On s’en fout ! L’humanité ? C’est pas le sujet. L’intérêt général ? Laissez-nous vivre dans nos yachts et nos jets privés et contentez-vous de payer l’addition sociale et écologique. 

En parlant avec ce jeune homme, je me dis que l’extrême droite entrerait en bug instantané si elle traitait la question de l’immigration autrement que par la haine. Si elle la traitait, admettons, par le bout de l’humanité et de la raison. En Guinée, le taux de chômage ou d’inactivité des jeunes de 15 à 24 ans est de 60%. Les jeunes quittent leur pays parce qu’ils ont l’impression de ne plus y avoir d’avenir. Ils le font pour aider leur famille, en particulier leurs parents. Pour trouver un travail ailleurs et envoyer un peu d’argent au pays. C’est un arrachement, c’est un déchirement, parce que figurez-vous que les Guinéens sont en tout point semblables aux Français : ils aiment leurs parents et le pays où ils ont grandi. Ils aimeraient bien ne pas avoir à le quitter. Mais c’est ça ou crever de faim. Alors ils se disent que peut-être, ailleurs sur Terre, il y a un endroit où on peut au moins ne pas mourir et aider ceux qu’on aime depuis là-bas.

Guinéens, Français, et tous les autres d’ailleurs, nous avons un ennemi commun : le capitalisme. C’est lui qui est responsable de la misère du peuple. Car il n’y a qu’un peuple humain vivant sur une planète, la Terre. Il y a des pays et des nationalités, bien sûr, mais l’unique responsable de la misère dans tous ces pays et quelles que soient les nationalités qui le subissent, c’est un système d’exploitation et de domination qui s’appelle : « le capitalisme ». Ce système a un besoin vital de la division du peuple. Et tout est bon pour lui : la nationalité, la religion, la couleur de peau, le genre, l’orientation sexuelle… Bref, tout ! Tout ce qui empêche l’unité du peuple est son allié. Tout ce qui introduit des failles dans cette unité est vital pour lui, car dès lors que se formerait une unité populaire contre lui, son sort serait immédiatement scellé.

Le grand nombre, c’est nous : le peuple. Il existe une majorité populaire, dans notre pays comme dans chaque pays, pour mettre à bas le capitalisme. À condition de ne pas tomber dans le piège de la division tendu par les capitalistes. Ce piège, c’est celui que tend l’extrême droite en général et le RN ou Reconquête en particulier. Ils sont les meilleurs alliés de l’ennemi capitaliste, parce qu’ils entretiennent la haine du peuple contre le peuple. Ils le font en se basant sur un sentiment humain qui est : la peur de l’inconnu et du nouveau. Ce qu’on ne connaît pas fait peur. Il est facile de faire peur avec des Guinéens ou avec n’importe quel peuple étranger. Facile tant qu’on nie leur humanité. Facile tant qu’on fait autre chose que montrer d’abord ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous différencie (je ne dis pas « divise », car rien ne nous divise si ce n’est l’extrême droite qui en fait une stratégie au service du capitalisme et des milliardaires de ce monde). 

Voilà ce que je je voulais vous dire aujourd’hui, et voilà pourquoi je suis bien content de pouvoir écrire ici de nouveau. Ça me manquait d’avoir un tel lieu d’expression, pour pouvoir dire les choses de manière plus posée que dans une vidéo. 

Leur monde et le nôtre

Il ne me reste qu’à vous raconter comment cette soirée s’est finie (car il y a encore une belle surprise capitaliste !). Après avoir tergiversé longuement, les policiers ont finalement reçu l’ordre de nous accompagner vers la place de la Bastille. Entre 1h et 2h du matin, voici donc que nous partions en manifestation non-déclarée ! Les jeunes exilés chantaient : « Liberté, Égalité, Fraternité » (je ne vous raconte pas comme j’étais ému). À 2h du matin dans les rues vides de Paris, la scène devait être surprenante pour ceux qui tombaient par hasard sur un tel cortège.

Le chemin nous faisait passer devant la Samaritaine. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un grand magasin parisien racheté par le milliardaire Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde – c’est à dire le plus détestable. Tout à coup, on voit les policiers courir. Puis, arriver d’on ne sait où, des vigiles. La scène est incroyable mais on ne comprend pas ce qui se passe. Voici que les vigiles font, à la place des policiers, un cordon pour empêcher qu’une rue soit franchie. On ne comprend ni d’où ils sortent, ni ce qu’ils font là. Je découvrirai le lendemain qu’ils étaient là pour protéger un évènement organisé par LVMH et pour lequel tout le Pont-Neuf de Paris avait été occupé pour l’occasion. Le capitalisme, c’est aussi la privatisation de l’espace public. Imaginez la scène ! 300 mètres à peine séparent à cet instant la misère du monde et la richesse indécente qui se vautre dans un luxe inutile. Combien d’argent pour une telle soirée ? Combien chaque exilé, chaque associatif et chaque policier présent ce soir-là aurait touché si on avait divisé en parts égales l’argent parti en champagne et en petits fours à 300 mètres d’où nous étions ? Toute la violence et la brutalité du capitalisme étaient ce soir-là contenues dans une invraisemblable coïncidence géographique et temporelle.

Vers 2h10, on a fini par arriver place de la Bastille. Nouvelle attente. Jusqu’à 3h du matin. À 3h, le feu vert est enfin donné par la préfecture de police pour laisser les jeunes gens s’installer dans un petit parc à 30 minutes de là pour manger et dormir. Jusqu’à… 6h30. Autant dire ne pas dormir et se préparer à repartir aussi sec. Voilà comment les pouvoirs publics gèrent cette question : par l’absurde. Absurde pour les exilés, absurde pour les associatifs, absurde pour les policiers auxquels on demande de faire ça plutôt que de lutter contre les criminels. Mais un jour viendra, je l’espère, où nous parviendrons à rassembler politiquement la majorité populaire de notre pays pour lutter ensemble contre les vrais criminels de ce monde : les capitalistes qui accaparent la richesse, détruisent la planète et abîment l’humanité. Nous n’exercerons pas contre eux la violence et la brutalité qu’ils ont exercé contre nous ; car contrairement à eux, nous ne sommes pas inhumains. Non, nous leur demanderons simplement de partager leur richesse. Et s’ils ne le font pas de leur plein gré, nous les y contraindrons non pas par la violence physique mais par la fermeté de la loi et par la rigueur de la justice. Tout simplement. Car comme le dit si bien la chanson : « Si les corbeaux, les vautours, un de ces matins disparaissent, le soleil brillera toujours ». Nommer nos adversaires, les combattre : voilà le moyen de se donner, en France et dans le monde, un avenir en commun.

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