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«Le Monde» comme il va – Par Juliette Prados

Il y a des modes qui ne passent pas. Le Mélenchon Bashing en est une. Vous trouvez que j’exagère, que je suis partiale ? Regardez pourtant les titres de la presse écrite, les intitulés des plateaux télés, écoutez les éditos des radios. Mettez Mélenchon dans une phrase, ça augmentera l’audience. Dites en du mal et vous ferez carrément péter les scores.

Mélenchon fait son travail

Seulement voilà. À cette course à l’échalote, le grand perdant ce n’est même pas Mélenchon… c’est nous ! Quand je dis nous je parle des gens, des lambdas, des lecteurs et des spectateurs, de ceux qui veulent juste avoir des infos et sur cette base se faire leur propre idée.

Ceux là ne sauront pas qu’au mois de juin, Jean-Luc Mélenchon a présenté un rapport sur les mers et océans, salué par l’ensemble de la commission des affaires étrangères. Ni qu’il a plaidé dans l’hémicycle contre la privatisation des transports en Île-de-France. Pas plus qu’ils ne connaîtront son point de vue sur le rapport de la cour des comptes sur le budget de l’État.

C’est pourtant cela qui l’a occupé ces derniers jours. Faire, et brillamment, son travail de parlementaire. Ce pour quoi il a été élu.

«La liberté de la presse s’oppose à la censure, pas à la critique»

Alors parfois on s’agace. Il y a de quoi, non ? Récemment, c’est le journaliste Abel Mestre qui en a fait les frais. Ce qu’on lui reproche ? Que la quasi-totalité de ses articles portent sur les bisbilles internes du mouvement «La France insoumise». Il est d’ailleurs le récipiendaire systématique des « notes internes » et comptes-rendus de réunions confidentielles de la FI. Que l’ensemble de la campagne européenne n’ait été traitée que sous le prisme de la tambouille et jamais en s’intéressant au formidable travail de fond réalisé par les militants et les candidats.

Évidemment, la pique a soulevé une bronca de la part de ses confrères journalistes. Tous indignés. À croire que la liberté de la presse vaudrait tour d’ivoire pour ceux qui en usent. Sauf que la liberté de la presse s’oppose à la censure, pas à la critique. Le droit de critiquer la presse en est même le corollaire. Les médias représentent le quatrième pouvoir. Les citoyens ont le droit d’exiger une information exacte et de qualité.

Or, c’est cette exactitude et cette qualité qui font de plus en plus défaut. Un comble quand ces inexactitudes se retrouvent dans les colonnes d’un journal qui se veut de référence, comme c’est le cas du Monde, où officie justement Abel Mestre.

Un cas concret de Mélenchon Bashing

Alors plutôt que de jeter l’anathème, arrêtons-nous sur un cas très concret : un article publié vendredi 28 juin, et qui s’intitule « Jean-Luc Mélenchon jugé en correctionnelle, nouveau coup dur pour La France insoumise ».

Tout dans cet article pose problème :

Le châpo tout d’abord, qui reprend une information du premier paragraphe « Le leader des Insoumis et des proches ont été cités par le parquet après les perquisitions… ».

C’est faux. À cette heure, ni Jean-Luc Mélenchon ni les personnes citées dans l’article n’ont reçu de convocation. Pas plus que leurs avocats qui n’ont été informés de rien.

Bien-sûr, Le Monde cite les personnes qui expliquent ne rien avoir reçu, mais à aucun moment ne prend les précautions que l’on pourrait attendre d’un journal rigoureux : aucun usage du conditionnel, pas même du futur. C’est un fait. Ils en sont sûrs. Débrouillez-vous avec ça. Quelle est leur source ? Nous n’en saurons rien, même de manière allusive. Ils se bornent à dire qu’il s’agit « d’informations révélées par L’Express et confirmées par Le Monde ».

La porosité justice-médias en cause

Doit-on en être surpris ? Non. En pleine campagne européenne, les mêmes journaux avaient publié de larges passages d’auditions faisant suite aux perquisitions. Que le secret de l’instruction pèse peu face à un scoop on peut, sinon l’excuser, du moins le comprendre. Mais que ce soit la presse qui publie des citations avant même qu’elles soient officielles, ça pose question, non ?

Peu importe, l’événement permet d’en remettre une couche sur les perquisitions. Rappeler au passage la fameuse scène « La République c’est moi ». Vous ne l’avez pas vu ? Impossible. Elle a tourné en boucle pendant des semaines et encore aujourd’hui. 1m30 sur des heures de perquisitions. C’est tout ce qui restera. Et ce sur quoi il faudra être éternellement jugé. Ah oui parce que moi aussi j’ai un scoop, quelque chose que Le Monde ne dit pas : Les auditions en question se sont faites exclusivement sur la base des images tournées par… Quotidien ! Et non sur les seuls témoignages des personnes présentes comme semble l’affirmer l’article. Décidément, entre la justice et les médias, la porosité est extrême.

Venons-en aux auditions, donc. Au cœur de l’affaire. A la lecture de l’article, on apprend que

Les agents avaient quitté les lieux sous les quolibets des militants (…). Certains d’entre eux, dont les visages ont été affichés sur les réseaux sociaux par les élus LFI, avaient été très affectés par la suite, se voyant prescrire plusieurs jours d’incapacité totale de travail (ITT). « Cette affaire a eu des répercussions graves sur le plan psychologique pour les enquêteurs, qui sont avant tout des êtres humains, explique David Lepidi, l’avocat de plusieurs policiers et gendarmes présents ce jour-là. Ce procès va mettre en lumière les difficultés que subissent les membres des forces de l’ordre et les souffrances que cela peut engendrer chez eux. »

Voilà donc le cœur de l’affaire. Les agents se sont sentis affectés. Et le journaliste qui rapporte ces faits ne livre aucune critique ! Nous parlons là de professionnels des forces de l’ordre ! Mais alors que dire de toutes les personnes dont le seul crime est d’avoir un jour travaillé comme assistants de Jean-Luc Mélenchon qui se sont retrouvées réveillées par des policiers en arme au petit matin ? Que penser de ma collègue E., qui s’est retrouvé projetée au sol et en a eu des étourdissements durant plusieurs jours ? Le Monde, s’il tenait à faire un papier sérieux, devrait à minima préciser que trois personnes ont déposé plainte suite à cette perquisition pour violences policières. Et que la justice semble moins pressée de le faire fuiter à la presse.

Messieurs les journalistes, pensez-vous comme ces policiers que c’est dur d’avoir sa tête sur les réseaux sociaux ? Mais n’est-ce pas dur pour Muriel R., qui n’a rien d’un personnage public, de voir étaler dans la presse une convocation au tribunal dont elle n’a même pas été informée ? Et que Le Monde présente comme reposant sur l’ouverture d’une porte « malgré l’interdiction des enquêteurs » alors qu’aucun enquêteur ne lui a interdit quoi que ce soit ? Et quid de Jean-Luc Mélenchon ? Serait-ce une robot, une statue de pierre dont on peut se permettre de rediffuser en boucle 1m30 de colère et disserter ensuite pendant des heures sur ses « outrances » ?

Le buzz contre l’information

Que celui qui m’assure ne s’être jamais mis en colère devant un contrôle injustifié, une amende abusive ou même, tiens, un contrôle fiscal me jette la première pierre.

Un jour quelqu’un m’a dit : le problème ce n’est pas que Jean-Luc Mélenchon se soit mis en colère, c’est que ça ait été filmé.

Je ne pense pas. Le problème, ce n’est pas que ça a été filmé. C’est que ça a été diffusé. Rediffusé. Re re diffusé. En boucle. Sans remise en contexte. Juste pour faire de l’audience, du buzz, du show. Si les images sont si choquantes, si « elles ne montrent pas l’exemple » comme me l’a dit un jour une journaliste TV, pourquoi alors les avoir montrées si souvent ?

Les journalistes de presse écrite n’aiment pas qu’on compare leur travail à celui des chaînes d’info. Ils se drapent de leur dignité pour dire que eux, quand même, ils font de l’information sérieuse. Seulement voilà, qu’apporte l’information sur la convocation de Jean-Luc Mélenchon et les autres avant même qu’elle ne soit effective, sinon une nouvelle occasion de critiquer sa ligne, sa stratégie, et dire que « décidément ça va mal », en citant évidemment de courageux anonymes. Alors sachez-le. Ça va bien. Il suffit d’éteindre la télé et de ne pas ouvrir le journal. Et se concentrer sur nos tâches.

Jeter parfois un coup d’œil quand même, pour apprendre que le parquet de paris a décidé de classer sans suite la procédure pour faux témoignage contre Patrick Strzoda, directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, dans l’affaire Benalla. Normal, ça n’est jamais qu’une affaire d’État…

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