Une nouvelle fois, le président de l’Assemblée nationale François de Rugy est sorti de la neutralité liée à sa fonction pour insulter le groupe politique formé par les députés insoumis. Et, plus largement, toutes celles et ceux qui suivent le travail parlementaire qu’ils effectuent dans l’hémicycle. En effet, interrogé par le média en ligne « Brut », voici ce qu’il a déclaré :
La très grande majorité du travail des députés, c’est faire des interventions pour défendre des idées, pour soit critiquer, évidemment, ce que fait le gouvernement ou ce que propose la majorité. C’est ça le cœur du travail parlementaire. C’est pas de faire des happenings, c’est pas de brandir un T-shirt à l’effigie d’un club de football. Ça, tout le monde a compris que c’était d’abord et avant tout pour faire parler de soi, pour des députés qui veulent faire parler d’eux-mêmes. Ils ne veulent même pas faire parler d’un sujet, ils veulent faire parler d’eux-mêmes et créer un buzz médiatique. D’ailleurs, ils donnent à leur intervention ce qu’ils pensent être un grand succès, c’est le nombre de vues sur YouTube. Ce n’est pas l’impact dans la vie quotidienne des gens.
François de Rugy fait ici référence à l’intervention du député insoumis François Ruffin à l’Assemblée nationale, dans laquelle il s’était vêtu du maillot de football du club de l’Olympique Eaucourtois pour attirer l’attention sur la situation tendue des clubs amateurs, qui contraste avec les mannes d’argent qui se déversent sur le football professionnel. La vidéo de son intervention, mise en ligne sur YouTube et Facebook, a dépassé plusieurs millions de vues et reçu un accueil enthousiaste si l’on en juge par les commentaires qu’elle a reçu sur ces deux plateformes.
Mais le président de l’Assemblée n’avait pas apprécié ce « happening » et avait mis une amende de 1 378 euros à François Ruffin qui l’a, depuis, payée. En cause selon de Rugy : un non respect du règlement de l’Assemblée nationale et le port d’un vêtement qui diminuerait la dignité des députés. Les joueurs et joueuses de foot amateurs et tous les bénévoles qui participent à la vie des clubs, soit environ 2,2 millions de personnes selon la FFF (et encore ne parle-t-on que de ceux qui ont une licence !) seront contents de l’apprendre !
Dans cette nouvelle intervention contre les députés insoumis, François de Rugy signale donc trois grands points qu’on peut lister de la manière suivante :
1) L’essentiel du travail des députés, c’est de faire des interventions pour défendre des idées
2) Quand on fait un happening, ce n’est pas pour faire parler d’un sujet, c’est pour faire parler de soi
3) L’impact des interventions des insoumis, c’est des vues sur YouTube et rien sur la vie quotidienne des gens.
Le travail des députés
Concernant le premier point, François de Rugy a raison : l’essentiel du travail des députés est de faire des interventions pour défendre des idées et des propositions. On pourrait ajouter que ces interventions peuvent se faire à l’Assemblée (dans l’hémicycle ou en commissions) ou ailleurs (dans les médias, dans des réunions publiques, sur internet, etc.), même si on comprend que selon lui, cela a l’air de se limiter à la seule Assemblée.
Sur ce point, les députés insoumis sont clairement irréprochables. Alors qu’ils ne représentent que 2,9% du total des députés (17 députés sur 577), les insoumis sont à l’origine de 7,3% des interventions en commissions, de 11,7% des interventions longues en hémicycle, de 6,8% des interventions courtes en hémicycle, de 12,7% des amendements proposés et de 4,1% des propositions de loi. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils travaillent sérieusement ! Et tous les classements de députés leur en rendent d’ailleurs justice.
Le premier point soulevé par de Rugy est donc inopérant pour s’en prendre aux insoumis. Non seulement ils bossent, mais ils bossent plus que les autres en moyenne.
L’utilité des « happenings »
Second point soulevé : quand on fait un « happening », c’est pour faire parler de soi et non pas d’un sujet. Là encore, c’est faux. On l’a parfaitement vu avec l’intervention de François Ruffin : elle portait sur la situation des clubs de foot amateur. Et les retours constatés dans les commentaires le confirment : les gens saluaient cette intervention à la fois sur la forme et sur le fond. De même pour le « happening » panier de courses qui visait à dénoncer la baisse de 5€ des APL par le gouvernement, pour rapporter cela à des choses concrètes. Là encore, cela a permis de parler du sujet et de dénoncer la déconnexion du gouvernement qui ne comprend pas ce que représentent 5€ pour des gens qui en ont besoin. Peut-être que les bousculades pour le Nutella et les couches leur auront ouvert les yeux, mais on en doute.
Les vues sur YouTube et la vie quotidienne
Troisième point soulevé : l’impact des insoumis, c’est des vues sur YouTube et pas de changements dans la vie quotidienne. Sur ce point, il faut répondre en deux temps.
D’abord à propos des vues sur YouTube (et on pourrait ajouter Facebook, Twitter, etc.). Monsieur de Rugy pense probablement que « les vues » sont une donnée vague et intangible. Il se trompe. Les vues sont des gens. Pas des robots, pas des aliens : des gens. La France insoumise a sur ce point une pratique qui détonne avec les habitudes ronronnantes du Palais Bourbon : elle fait sortir les débats hors de l’Assemblée, hors du site internet de l’Assemblée et hors de LCP. François de Rugy, en tant que président, devrait se réjouir du fait que le travail parlementaire sorte du seul hémicycle et puisse toucher une large audience. Au lieu de cela, il oppose son mépris pour cette forme nouvelle d’intervention parlementaire, qui lie les députés et le peuple qui les a élus. Mais peut-être est-ce parce qu’il ne supporte pas que ce soit handicapant pour ceux qui ne le font pas et qui subissent la comparaison avec les insoumis ?
Ensuite à propos de changer la vie quotidienne des gens. Monsieur de Rugy tombe mal. La vie quotidienne des gens change à cause de la majorité. Cela se constate déjà par des baisses de revenus sur la fiche de paie de janvier tandis que les ultrariches voient leurs impôts diminuer. Si c’est comme cela que le président de Rugy veut changer la vie des gens, grand bien lui fasse : lui et son parti « En Marche » se prendront raclée sur raclée aux élections. Mais je veux aller plus loin.
Car les insoumis proposent des lois pour faire changer la vie des gens positivement. Un jour par an, ce groupe peut faire des propositions de loi qui sont alors étudiées en hémicycle (oui, vous avez bien lu : un jour par an seulement). On appelle cela une « niche parlementaire ». Il se trouve que ce jour-là était le 1er février dernier. Qu’ont proposé les insoumis ? De reconnaître les conséquences du burnout comme maladies professionnelles (ça aurait fait faire des économies à la Sécu), de faire un référendum sur le CETA (traité de libre-échange avec le Canada antidémocratique, antisocial et anti-écologique), de rendre gratuits les premiers mètres cubes d’eau indispensables à la vie (pour boire, se laver), de mettre en place de manière expérimentale les récépissés de contrôle d’identité pour éviter les contrôles au faciès, de créer un droit à l’euthanasie et au suicide assisté pour une fin de vie digne et choisie.
Voilà qui aurait pu changer concrètement la vie des gens. Qu’a fait le groupe « En Marche » dont monsieur de Rugy est issu ? Il a tout refusé en bloc, dans un incroyable sectarisme qui a fait honte jusque chez ses propres militants. Qu’a fait monsieur de Rugy en particulier ? Il n’a pas mis une seule fois les pieds dans l’hémicycle de la journée ! Il est beau, le donneur de leçons ! Qu’ont fait les insoumis ? Ils ont défendu pied à pied leurs propositions et ont mis en place une page dédiée sur leur site internet pour que les gens puissent au moins savoir que ces propositions avaient été faites. Ils ont réalisé un fil d’actualité de la journée pour que les gens puissent suivre à distance. Ils ont fait une émission en direct de l’Assemblée en invitant des associations à participer pour parler de ces propositions. Mais sans doute pour monsieur de Rugy tout cela n’est-il que des « vues sur YouTube » et non pas du travail parlementaire tourné vers le peuple dont les parlementaires tirent leur légitimité.
François de Rugy outrepasse sa fonction
Au total, ces nouvelles insultes sont donc hors de propos et infondées. Le plus ironique est sans doute d’ailleurs qu’elles aient été proférées sur un média en ligne qui va faire des vues sur YouTube, Facebook et Twitter, preuve que celui qui tient ces propos ne croit lui-même pas à ce qu’il est en train de dire. Mais plus largement, ces sorties récurrentes de François de Rugy interrogent sur sa capacité à assumer réellement son rôle de président de l’Assemblée. Ce titre lui confère une paye plus avantageuse que ses collègues, un logement de fonction luxueux (l’Hôtel de Lassay), une équipe pléthorique et de nombreux avantages matériels ou symboliques. Mais il ne lui confère en rien un droit de jouer au maître d’école avec les députés et de dire ce qui est bien ou mal. Comme le lui avait déjà dit Jean-Luc Mélenchon à l’occasion d’un rappel au règlement en hémicycle, il est « primus inter pares », premier parmi ses pairs, pour présider les débats et veiller à leur bonne tenue. C’est tout. Il n’a donc pas à donner son avis sur les techniques de combat politique adoptées par les députés. Il sort de son rôle en le faisant. Monsieur de Rugy ferait bien de s’en rappeler.