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Crédits photos : Phl59 (à g.), Jiri Hodan (à d.)

Le Brexit, les médiacrates, les marchés, le peuple et la fin du monde

Jeudi 23 juin, les Britanniques votaient pour ou contre la sortie de l’Union européenne (Brexit). Ils se sont exprimés à une claire majorité (51,9%) en faveur de la sortie de l’UE, avec un taux de participation record (72,2%), plus élevé que pour les élections législatives du pays ces vingt dernières années. C’est donc un choix sans appel, même si l’analyse électorale permet de déceler de grandes disparités dans le vote en fonction du lieu d’habitation et de l’origine sociale.

Le Brexit : une surprise prévisible

Je dois dire que le système avait fini par me convaincre que le Brexit n’arriverait pas. De partout j’entendais que les sondages ne donnaient aucun pronostic fiable ou, selon l’expression médiatique consacrée que « le in et le out » étaient « au coude à coude ». Pourtant, tout un tas d’éléments nous étaient donnés à voir pour nous faire penser que le Brexit était impossible : les marchés qui « pariaient » clairement pour le « in », les « bookmarkers » qui pronostiquaient à 76% que le Royaume-Uni resterait dans l’UE et, bien sûr, les micros-trottoirs de « ces Britanniques qui aiment l’UE » et de « ces Européens qui aiment les Britanniques ».

Aussi, quand je me suis réveillé vendredi matin et que j’ai vu mon téléphone encombré de dizaines de notifications de médias m’annonçant que le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne l’emportait, j’ai d’abord été surpris. Puis je me suis dit que nous étions face à une situation historique, un cas jamais vu auparavant : un État membre de l’UE décide de la quitter. En toute honnêteté, je dois dire que c’était le résultat que j’espérais. Non pas parce que je voudrais voir les Britanniques hors de l’UE mais parce que je considère que tout coup porté à l’Union européenne telle qu’elle est est une bonne chose pour les gens du commun. Et l’idée d’imaginer les bureaucrates de Bruxelles avoir des sueurs froides devant cet imprévu qui s’appelle le peuple, et que d’ordinaire ils ignorent, me réjouit profondément.

L’Europe : de l’amour à la détestation

Comment en est-on arrivés là ? Je suis d’une génération qui a été élevée, à l’école, dans l’amour de l’Union européenne. On nous montrait des cartes, on nous montrait des drapeaux, on nous disait que c’était beau, que c’était la fin de la guerre en Europe (et vu qu’on soupait, en Histoire, de la guerre de 1870, de 1914 et de 1939, ça nous parlait sacrément, la paix), on avait l’impression qu’on était une grande équipe, et je me souviens que je me demandais pourquoi on ne faisait pas les Jeux Olympiques sous la seule bannière de l’Union européenne, qui nous aurait placé chaque fois largement en tête de la compétition.

Et puis il y a eu l’euro, les pièces qu’on nous donnaient dans des petits sachets en l’échange de cent francs, avant leur circulation effective. Pour s’habituer. Dessus, il y avait plusieurs symboles par pays. C’était un genre de jeu de deviner d’où venait telle pièce et d’où venait telle autre. On nous incitait fortement à aimer cette monnaie et à vouloir la collectionner. Je crois que tous ceux de ma génération ou presque ont eu droit à ce machin en carton où il fallait mettre les pièces de chaque pays de un centime à deux euros. Et puis ce chiffre, gravé dans nos têtes parce qu’on se disait qu’il fallait le retenir : « six-cinquante-cinq-neuf-cent-cinquante-sept », 6,55957, la valeur en francs d’un euro.

C’était l’époque où, en toute honnêteté, j’aurais répondu à qui m’aurait posé la question que je me sentais plus Européen que Français. Aussi, en 2005, lorsqu’on m’a proposé une « Constitution » européenne, j’étais plutôt enthousiaste. Je me disais qu’enfin on allait être « un peu comme un pays ». J’avais seize ans, et je commençais à m’intéresser à ces choses. Je trouvais qu’il y avait des limites très notables à cette « Constitution » mais je me disais que c’était déjà ça, qu’il fallait commencer par là et puis qu’on verrait après pour améliorer les choses. Bien sûr, je m’aperçois aujourd’hui que c’était une illusion et que seul le rapport de force fonctionne en Europe, mais à l’époque je ne voyais rien de tout ça.

La balance a commencé à nettement s’inverser en 2007, quand Nicolas Sarkozy a fait passer le traité de Lisbonne. Quoique je fusse alors en désaccord avec le résultat, le référendum de 2005 était clair. Pourtant, il a été décidé que le peuple avait voté « oui » quand même et que son « non » était nul et non avenu. J’ai commencé alors à voir le caractère profondément autoritaire de l’Union européenne. Le président Sarkozy qui disait : « la France, tu l’aimes ou tu la quittes » nous avait en plus infligé un « l’Europe tu l’aimes et tu fermes ta gueule ». Violent.

Les choses ne se sont pas arrangées ensuite. J’ai peu à peu découvert que le caractère autoritaire de l’Europe était aussi vrai dans la dimension économique. Dit autrement : une seule politique est autorisée, le libéralisme. Je n’avais pas alors d’idées entièrement arrêtées en matière économique, mais j’en avais en matière politique et je pensais qu’un peuple devait pouvoir choisir démocratiquement d’avoir une économie de type socialiste ou communiste s’il le décidait, ce que les traités (et l’euro en particulier) rendaient impossible. C’est quand j’ai compris que la balance a commencé à peser dans l’autre sens.

On l’oublie, mais après le traité de Lisbonne, nous avons eu droit à la crise des subprimes. À coups de milliards d’euros, les États ont renfloué les banques qui avaient pris des risques inconsidérés. Le peuple payait pour les erreurs des puissants. Mais ce n’était pas fini ! L’Europe ramenait sa science. Elle disait qu’on avait dépensé trop, qu’on était sortis des clous des 3% de déficit budgétaire, que c’était mal, qu’il fallait raboter les retraites des Français. Et puis 3%, c’était encore trop, il fallait la règle d’or ! Les 0,5% maximum de déficit « structurel », même si personne n’était capable d’expliquer ce que « structurel » voulait dire. Voilà qu’arrivait un nouveau traité sur la « stabilité, la coordination et la gouvernance », le « TSCG ». En bref, l’austérité à vie et le libéralisme à fond.

Depuis, il y a eu l’écrasement des peuples européens. Du peuple grec, en particulier. Tsipras a cédé. Il n’aurait pas dû. Il n’avait pas assez préparé les options alternatives ou alors il n’était pas prêt à en subir les conséquences. Quoi qu’il en soit : l’Union européenne a imposé ses décisions par la force en dépit d’un vote populaire qui s’y opposait de manière très claire. Le point de rupture absolu était franchi : l’écrasement pur et simple de la démocratie avait eu lieu.

Bien sûr, croire que tout vient de Bruxelles et de Bruxelles uniquement est une illusion. C’est d’abord l’Allemagne de Merkel qui impose ses décisions, et on a vu quels intérêts servait d’abord l’écrasement de la Grèce. C’est ensuite l’inaction ou la complicité de la France de Sarkozy et Hollande, qui suivent les consignes, qui sont en cause. Si les traités européens agissent comme une camisole de force qui ligote les peuples, il y a bien quelqu’un qui met la camisole. Mais il reste que celle-ci existe et qu’il faut s’en libérer.

La « gueule de bois » des médiacrates, des européistes et des marchés

Voilà comment un citoyen comme moi, plutôt ouvert vis-à-vis de la chose européenne, s’est transformé en un ardent défenseur de la sortie des traités. Ce ne sont pas des « discours populistes » ou des « condamnations un peu rapides » qui m’ont convaincu : c’est l’observation et la réflexion. Pour moi, la souveraineté du peuple est première : ce que le peuple décide passe avant tout. Contrairement à monsieur Juncker, président de la Commission européenne, qui affirme qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique possible contre les traités européens », je considère qu’il ne peut y avoir de traité européen qui interdise des possibles aux choix démocratiques. La même logique de respect de la souveraineté du peuple, me dit qu’il faut un changement de Constitution en France, car j’estime que la Ve République limite les options du peuple face à la monarchie présidentielle. Et au vu de la gestion par le pouvoir de la loi El Khomri, on pourrait même désormais parler d’une véritable tyrannie présidentielle.

Mais bien sûr, la médiacratie ne l’entend pas de cette oreille-là. Vouloir sortir de l’Europe, c’est mal, c’est un recul, c’est la victoire des populismes, c’est « les extrêmes » qui se réjouissent, c’est à peu près tout ce qu’on veut qui donne l’idée qu’on n’est vraiment plus très loin de la fin du monde. Je n’ai pas envie ici d’entrer dans le détail d’une analyse des discours médiatiques, comme je le fais souvent dans les articles que j’écris, mais je veux parler tout de même de cette sensation diffuse qui ressort des commentaires que j’ai pu entendre à la télé, à la radio ou lire dans les journaux.

À ma jubilation de voir un coup porté à l’Union européenne répondait la « gueule de bois » (lu dans Le Monde) de la médiacratie et celle de quelques politiciens européistes qui s’en prenaient soit au choix du peuple britannique, soit à Cameron qui avait fait « une erreur » en proposant un référendum. Ils sont tellement dans leur bulle, tous, qu’ils ne se rendent même plus compte des aberrations qu’ils sortent : c’est donc « une erreur » de donner la parole au peuple. Je suis de ceux qui pensent que ce n’est jamais une erreur, que ça ne peut l’être en aucun cas, et que la seule erreur appartient au camp qui n’a pas réussi à convaincre, non au peuple qui a voté en conscience.

Autre joie pour moi, mais véritable catastrophe pour les médiacrates : la chute des marchés. Bien sûr, si je me réjouis pour l’instant du fait que quelques gros bonnets ont perdu en un seul jour plusieurs milliards d’euros, je n’oublie pas que c’est la plupart du temps le peuple qui finit par payer les pots cassés des marchés (c’est au moins déjà le cas pour les petits porteurs). Mais pour l’instant, je ne boude pas mon plaisir. Le CAC 40 s’est effondré, perdant plus de huit points. Parmi les valeurs les plus touchées par ce krach, les bancaires : -20,57% pour la Société Générale, -17,40% pour la BNP, -15,48% pour AXA, -14,00% pour le Crédit Agricole.

J’ai fait le calcul de la fonte de valeur boursière survenue en un jour sur ces banques : 6,025 milliards d’euros pour la Société Générale, 10,345 milliards d’euros pour la BNP, 8,088 milliards d’euros pour AXA, 3,500 milliards d’euros pour le Crédit Agricole. Total : 27,958 milliards d’euros envolés en un seul jour. Pour vous donner une idée, le smic annuel brut étant à 17 600 euros, cela représente 1 588 522 années de smic brut disparues en un jour. Une autre comparaison ? Le RSA mensuel étant à 524,68 euros soit 6296,16 euros par an, cette fonte de valeur boursière représente 4 440 484 années de RSA. En 2015, 1 920 000 personnes en bénéficiaient ; en un jour, la fonte des valeurs bancaires représente autant que plus de deux ans de RSA pour l’ensemble des bénéficiaires.

Ce que le Brexit nous apprend

Cette chute brutale donne une indication : quand un État membre sort de l’UE, la sanction des marchés est immédiate. Bien sûr, le Royaume-Uni a des spécificités, et d’abord une importante : par la place boursière de Londres transitent 37% des échanges financiers mondiaux. Autre spécificité : l’intégration « à la carte » du Royaume-Uni dans l’UE et en particulier sa non-utilisation de l’euro. Mais tout de même, le fait persiste : une sortie de l’Union d’un État membre a des conséquences immédiates d’une violence inouïe et dont la médiacratie bisounours de « l’Europe-c’est-la-paix-l’amour-et-la-solidarité » n’a pas encore parfaitement pris la mesure.

Il faudra analyser en profondeur les conséquences de court, moyen et long terme de cette sortie du Royaume-Uni de l’UE. Il faudra en noter les modalités pratiques, les problèmes rencontrés et les solutions apportées. Alors que l’Union européenne confirme de plus en plus son caractère autoritaire, la sortie de cette structure est une option à préparer sérieusement si l’on veut pouvoir appliquer une politique qui ne correspond pas aux souhaits de Bruxelles et, par extension, de l’Allemagne de la CDU-CSU (c’est à dire, si l’on va jusqu’au bout de cette première extension : de la politique des fonds de pensions qui paient les retraites par capitalisation d’un peuple allemand vieillissant).

Le Brexit représente une opportunité inouïe. Celle de pouvoir étudier in vivo, ce qui se produit concrètement lorsqu’un État membre sort de l’Union européenne. Voilà les médiacrates pris à leur propre piège : contrairement à ce qu’ils annonçaient, la fin du monde n’a pas eu lieu. Vendredi soir, le soleil s’est couché. Et il s’est levé à l’heure prévue le lendemain matin. On peut donc sortir de l’UE sans provoquer de cataclysme autre que ceux qui se produisent sur les marchés. C’est dire quels portefeuilles et quels intérêts sont d’abord visés par la sortie d’un État de l’Union européenne ; c’est comprendre, aussi, pourquoi ceux qui protègent médiatiquement ces intérêts le font.

La sortie du Royaume-Unie de l’UE confirme une tendance déjà observée avec la crise des dettes souveraines : le sort de l’Union européenne intéresse de près les marchés, et leur riposte en cas de sortie d’un État membre est instantanée. Deux oppresseurs des peuples fonctionnent ici main dans la main : l’UE et les marchés. Qui veut appliquer une politique de souveraineté populaire doit donc penser de manière globale, sans quoi il se condamne nécessairement à une souveraineté partielle. Pour preuve : le Royaume-Uni a décidé, dans la foulée de sa sortie, d’injecter 250 milliards de livres sterling, soit 326 milliards d’euros, dans les marchés financiers pour éviter leur effondrement. À quel moment le peuple britannique a-t-il voté cette disparition massive d’argent public dans le trou noir des marchés qui vont l’engloutir ? Jamais. Voilà le Royaume-Uni libéré de l’Europe, mais prisonnier des marchés. Pris au piège d’une pensée partielle, d’une « sortie libérale » qui survient au pays de la City où les échanges financiers sont rois.

Cet événement est un puissant outil d’éducation populaire qui donne à voir l’étendue de la camisole de force qui ligote les peuples. Celle-ci prend corps dans l’Union européenne, mais l’Union européenne n’en est qu’une aspérité. Ironiquement : elle en est la plus visible et la plus compréhensible quoi qu’elle soit bureaucratique et complexe. La camisole de force est plus large : elle inclut les marchés. Car c’est pour eux que l’Union européenne turbine.

Sortir des traités européens et se libérer des marchés : la souveraineté populaire jusqu’au bout

Une politique de souveraineté populaire totale doit donc inclure la sortie des traités européens tout en préparant la sortie des marchés financiers et du capitalisme mondialisé. Si l’un ne va pas sans l’autre, alors la libération ne peut être que partielle. Si l’on se libère de l’Union sans se libérer des marchés, on troque des tyrans bureaucrates contre des tyrans oligarques. C’est de tout le système à la fois qu’il faut se libérer. Et le Brexit ouvre dans ce domaine un espace d’imagination politique sur le pensable et le possible, mais aussi un espace d’analyse des forces politiques en France entre celles qui veulent nous laisser prisonniers des marchés et de l’UE, celles qui veulent nous libérer de l’un mais pas de l’autre et celle, unique, qui veut nous libérer des deux à la fois.

Cette dernière porte un nom. Elle s’appelle : « La France insoumise ». Ce nom s’inscrit dans une devise qui résume son programme : « La France insoumise, le peuple souverain ». L’un ne va pas sans l’autre. Pour que le peuple soit souverain, il faut que la France soit insoumise (à Bruxelles et aux marchés) ; pour que la France soit insoumise, il faut que le peuple soit souverain. C’est dans la force de l’un que réside la puissance de l’autre. C’est pour cela qu’il faut que la souveraineté du peuple soit aussi large que possible. C’est pour cela qu’il faut passer à une 6e République plus démocratique, qui favorise l’initiative et le contrôle populaires permanents. En d’autres termes : sortir des traités européens, faire la 6e République et partager les richesses, c’est réaliser un seul et même programme qui s’appelle la souveraineté du peuple.

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