C’est un témoignage important : un CRS gradé explique dans le JDD, sous couvert d’anonymat, la manière dont il perçoit l’usage qui est fait de la force publique depuis les attentats de janvier 2015. En lisant ses mots, on comprend que le gouvernement joue avec le feu et mène une dangereuse stratégie de tension que dénonce également Jean-Luc Mélenchon depuis plusieurs mois.
Le témoignage du CRS
Un CRS gradé a décidé de témoigner par ras-le-bol contre les donneurs d’ordres. Pour lui, le gouvernement est dans une stratégie de tension qui se fixe deux objectifs : premièrement, faire des images pour le 20h et ainsi donner une impression de fermeté ; deuxièmement, pourrir le mouvement en concentrant autant que possible le discours médiatique sur « les violences » plutôt que sur le fond de la loi et les raisons de l’opposition au projet.
« Ici, on interpelle juste pour les images du 20 Heures, pour faire croire qu’il y a de la fermeté de la part du gouvernement. (…) Une manifestation qui se passe bien, on parle du fond. Quand vous avez des casseurs, on se focalise sur les violences et les vitres cassées. »
Le CRS explique ainsi deux écueils. D’abord l’échec de la stratégie dite « de la nasse », qui consiste en théorie à couper un groupe violent du reste des manifestants en encadrant ce groupe, mais qui peut aussi prendre avec elle des personnes pacifiques ; c’est ce qui s’est passé le 1er mai à Paris, plusieurs manifestants exprimant leur impression de s’être retrouvés « dans une souricière ». Ensuite, l’absence de recours à la prévention lorsqu’un groupe violent est repéré et ne s’est pas encore joint au cortège principal ; c’est ce qui s’est passé à Paris le 9 avril dernier.
Résultat : une tension qui augmente de part et d’autre des boucliers anti-émeutes. Côté manifestants, on ramasse son compte de gaz lacrymogène et de coups de matraque à chaque manifestation ; côté forces de l’ordre, on applique les ordres ineptes qui viennent d’en haut et on subit en retour l’exaspération face aux « violences policières ». La situation est d’autant plus dangereuse que les forces de maintien de l’ordre sont surexploitées par le gouvernement depuis les attentats de janvier 2015. Et des signes inquiétants de fatigue et de lassitude se font sentir alors qu’approche l’Euro de football en juin, qui va à nouveau nécessité une forte mobilisation des effectifs.
Ce que dit Jean-Luc Mélenchon sur le sujet
Jean-Luc Mélenchon ne dit pas autre chose depuis des mois. Il l’a d’ailleurs redit de nouveau le 1er mai 2016 sur France 3. On y retrouve tous les éléments mis en avant par le CRS quelques jours plus tard : la dénonciation de la pratique médiatique qui consiste à ne montrer que des images violentes, l’échec de la stratégie de la nasse, la critique des ordres du ministre de l’Intérieur et, enfin, la surexploitation des forces de sûreté publique depuis les attentats de janvier. Tout y est (voir la séquence en entier sur le thème de 6:49 à 12:12).
Voici ce que dit Jean-Luc Mélenchon dans cet entretien :
Jean-Luc Mélenchon (JLM) : « Je vous mets en alerte contre la violence. On doit dire d’abord, comme l’avait dit le syndicaliste policier, Monsieur Delplace : “un policier qui frappe un homme à terre, ou qui tire quelqu’un par les cheveux, ou qui fait un tir tendu se déshonore”. Mais à l’inverse, les nôtres, en aucun cas ne doivent s’associer à ces violences. En aucun cas. Nous n’avons aucune gloire à tirer du fait qu’un policier soit grièvement blessé par une pierre. Aucune gloire. Ça me fait mal au cœur pour lui comme pour le môme qui a perdu son œil. »
Francis Letellier (FL) : « Mais alors comment on fait le tri ? Vous, vous étiez dans les manifestations. Vous avez vu, c’est difficile quand même de faire le tri, de savoir d’où viennent ces casseurs. »
JLM : « Non monsieur, ce n’est pas difficile. C’est une erreur et une malveillance absolue du haut commandement de la police. Parce que lorsqu’on enferme… »
FL : « C’est grave ce que vous dites. Ce sont des accusations graves parce que lorsque vous dites ça, vous pointez du doigt aussi le ministre de l’Intérieur… »
JLM : « Je ne pointe du doigt QUE le ministre de l’Intérieur. Ces hommes que vous voyez avec leur uniforme sont des hommes qui obéissent. Et encore heureux qu’ils obéissent. Mais quand vous enfermez toute une population sans issue pour sortir comme ça a été fait place de la Nation, quand vous barrez un pont et que vous permettez aux casseurs d’être tranquilles pendant plus d’un quart d’heure sans en intercepter un seul, alors vous provoquez de manière délibérée la violence. Et quand vous avez des milliers d’heures de travail non payées à des policiers exténués par l’état d’urgence et cette mobilisation permanente, vous poussez ces hommes jeunes à être excédés. Moi je suis pour la tranquillité publique. Je suis absolument contre toutes ces violences. »
(…)
JLM : « Je vous parle d’une situation grave. Au rythme où on va, quelqu’un va mourir. Au rythme où on va, quelqu’un va mourir, parce que la violence est à chaque manifestation un peu plus élevée. D’un côté, des charges de plus en plus violentes. Je demande que le ministre de rappelle des règles : pas de tirs tendus, pas d’utilisation de flashball pendant les manifestations, pas de présence de la BAC pendant les manifestations. La BAC n’est ni équipée ni organisée pour ça. Deuxièmement, nous, nous sommes capables de dire, et nous ne cessons de répéter, et je demande à mes amis de répéter : pas de violences. Sinon, mes amis, regardez-moi : de quoi parle-t-on aujourd’hui ? Est-ce qu’on parle de la puissance des 500 000 personnes manifestant contre la loi El Khomri ? Non, on ne parle que d’une chose : de la violence. »
La stratégie gouvernementale de violence filmée doit s’arrêter
On le voit : le CRS qui témoigne dans le JDD et Jean-Luc Mélenchon soulèvent les mêmes questions. La violence non maîtrisée vient d’abord des donneurs d’ordres. Ils jouent une stratégie de division et de tension permanente qui ne peut que finir par un drame.
Heureusement, l’immense majorité du peuple n’est pas dupe sur ce qu’on pourrait appeler cette « stratégie gouvernementale de la violence filmée ». Ainsi, la lutte organisée et pacifique contre la loi El Khomri se maintient et monte en puissance : le blocage des ports et raffineries commence à faire sentir ses effets puisque le carburant commence à manquer ; les routiers ont obtenu une victoire sur leurs heures supplémentaires mais continuent la mobilisation ; de nouvelles journées de grèves et de manifestations sont appelées le 26 mai et le 14 juin ; loin d’avoir tué la lutte, comme l’espérait le gouvernement, l’utilisation du 49.3 pour faire passer en force la loi a renforcé la volonté de lutter contre elle.
Ni la brutalité du 49.3 ni la violence en marge des manifestations, qui est le fait d’une minorité que les médias et le gouvernement se plaisent à mettre en avant, ne feront reculer la détermination du grand nombre à obtenir le retrait de la loi El Khomri. Espérons seulement qu’il ne sera pas déjà trop tard lorsque Valls et Hollande le comprendront.