L’année 2015 se termine. Elle a commencé et s’est achevée dans le sang. Celui du peuple tout entier avec les attaques de janvier et de novembre. La France a été meurtrie dans ce qu’elle a de plus beau : sa culture, son humour, sa jeunesse, son irrévérence. Ce que visaient les terroristes était ce que nous avons de plus cher : la République. C’est-à-dire ici d’abord : l’égalité, la fraternité, la concorde. Tout ce qui fait que notre peuple tient comme un bloc cohérent au-delà de nos différences.
La situation politique
En décembre, la tristesse s’est muée en haine et en colère. Au deuxième tour des élections régionales, le Front national a battu un nouveau record absolu de voix. L’abstention, elle aussi, a été forte. Ces deux éléments sont un signal. Il y a dans notre pays une masse immense de gens qui rejettent le système politique classique et qui veulent « tout faire sauter », pour reprendre les mots de Jean-Luc Mélenchon.
Face à cette situation, le gouvernement continue dans la mauvaise pente qu’il a prise depuis le début du quinquennat de François Hollande. Celle qui le conduit à imiter la politique de Nicolas Sarkozy et, même, à aller encore plus loin que lui dans la destruction des droits du peuple : attaques contre les retraites, dérégulation du travail le dimanche et du travail de nuit, etc. L’apothéose a été atteinte avec l’état d’urgence et quelques annonces piochées dans le lexique du FN après les attaques du 13 novembre.
Assumer notre part de responsabilité
Mais il serait trop facile de ne regarder qu’autour de nous et de ne pas voir la part de responsabilité qui est la nôtre. Il y a eu quatre élections depuis la présidentielle de 2012 : européennes, municipales, départementales et régionales. À chaque échéance, nous avons essuyé des revers pendant que nos ennemis progressaient. Et à l’issue de chaque étape, nous avons tiré un même constat : « il faut faire autrement ». Sans jamais mettre en application l’« autrement ».
Nous nous sommes ainsi condamnés à échouer. De manière assidue, nous avons marché vers l’abîme en sachant pourtant que la route que nous empruntions y conduirait. Cela est d’autant plus grave que dans la période que nous vivons, il ne s’agit pas seulement d’échéances électorales : il s’agit du cours de l’Histoire.
Le vieux monde se meurt. Chacun le sent en son for intérieur. Qu’il s’agisse de la vie politique, de la situation économique, de la géopolitique ou du dérèglement climatique, nous savons que nous allons au devant de dangers qui peuvent être aussi importants que ceux qu’ont connu nos aînés. Et notre camp, celui des humanistes et des progressistes, reste les bras ballants ou, pire, rejoint le vieux monde et ses sables mouvants qui nous aspirent irrémédiablement vers le fond.
Fédérer le peuple plutôt que rassembler la gauche
La stratégie qui vise à rassembler en un bloc une gauche émiettée ne fonctionne pas. D’abord parce que les miettes refusent de se mettre ensemble quand trop d’intérêts particuliers sont menacés. Ensuite parce que même lorsque le rassemblement des miettes est réalisé au prix de longues tractations, le succès n’est pas au rendez-vous. Parce que le gouvernement est décrit médiatiquement comme « la gauche au pouvoir ». Et que lorsque nous disons que nous voulons faire une politique « vraiment de gauche », les gens comprennent d’abord que nous allons faire une politique encore pire que celle du gouvernement.
Nous devons donc faire « autrement ». Cet autrement, c’est celui qu’a proposé Jean-Luc Mélenchon dès la fin de l’année 2014 dans L’Ère du peuple, dont la quatrième de couverture annonce la thèse : « Si les puissants n’ont plus peur de la gauche édentée par Hollande, ils ont plus que jamais peur du peuple ». Fédérer le peuple, voilà quel doit être notre objectif si nous voulons inverser la pente et, de nouveau, être celles et ceux qui écrivent l’avenir. Pour le faire, nous devons mettre en place les conditions culturelles et matérielles qui permettront cette fédération populaire.
Créer les conditions culturelles de la victoire
Les conditions culturelles, d’abord. Elles sont la clé. Sans elles, aucun espace de lutte progressiste et humaniste ne peut émerger et devenir majoritaire dans notre pays. Nous devons nous battre sur le terrain des idées. Nous devons, à chaque fois que cela est possible, donner notre lecture du monde quand une autre lecture nous est opposée. Mais nous devons faire encore mieux ; nous devons nous appuyer sur des évènements qui permettent de mettre en débat nos thèmes dans toutes les sphères de vies de nos compatriotes : au travail, à la maison, dans les soirées, à l’université, au club de sport, au bar, à toutes les machines à café où l’on cause. Partout. Si cela vous semble hors de portée, réfléchissez au nombre de fois où vous avez parlé du Front national ou de ses thèmes dans le mois qui vient de s’écouler. C’est possible. Nos adversaires y parviennent. Nous devons nous aussi y arriver pour les faire reculer.
Sue ce plan, il y a des raisons de se réjouir de ce qui a été réalisé au cours de l’année 2015. La séquence Air France a été un exemple en la matière. Nous avons saisi un thème, seuls contre toute l’oligarchie économico-politico-médiatique qui nous ordonnait de condamner « la » violence, et nous avons tenu bon : nous avons dénoncé l’autre violence, celle du patronat voyou qui veut licencier dans une entreprise qui réalise des bénéfices record. Et pendant quelques jours ou quelques semaines, nous avons occupé tout l’espace disponible, c’est-à-dire toutes les machines à café, les verres qu’on boit avec les ami.e.s et les repas en famille.
Autre bon point dans le domaine de la bataille culturelle : nous avons cessé d’abandonner à l’adversaire le champ de bataille numérique. Un peu partout ont commencé à fleurir de multiples initiatives, dont le succès montre que nous avons un espace à (re)conquérir. Cela prendra du temps. Mais au moins, nous avons intégré cet espace dans le champ de notre lutte. Il y a encore quelques mois, nous regardions, dépités, ce que faisaient nos adversaires sur la sphère numérique ; aujourd’hui, nous combattons. Des initiatives réussies comme « Faisons les poches aux 500 familles » ou « Le Fil d’actu » ont émergé et continuent leur travail. Il y a du chemin à parcourir pour atteindre le niveau de nos adversaires comme « La Gauche m’a tuer » ou Soral et Dieudonné. Nous y parviendrons. Ce n’est qu’une question de temps et de volonté.
Inventer les moyens matériels du combat
Les conditions matérielles, maintenant. Elles sont extrêmement difficiles à définir. Mais une chose est certaine : il faut que les individus qui souhaitent agir puissent avoir à disposition un moyen d’échanger ensemble, de se rencontrer et de s’organiser d’un point de vue pratique. Je sais d’expérience que les meilleures initiatives du point de vue des stratégies de lutte sont le fruit d’heureuses (et souvent hasardeuses) rencontres humaines. Il faut donc faciliter autant que possible la prise de contact entre celles et ceux qui veulent agir. C’est la condition première pour pouvoir agir et pour pouvoir le faire en réseau organisé.
Cela est évidemment difficile à mettre en place. L’idéal serait qu’une plateforme nouvelle le permette. Pour l’instant, dans une large mesure, les rencontres s’organisent principalement en passant par des réseaux d’interrelation ou des réseaux sociaux – Facebook et Twitter, en particulier. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devons franchir un cap et permettre à celles et ceux qui souhaitent agir de trouver aussi facilement que possible d’autres personnes qui le veulent également. À mon sens, cela passe par la création d’un site mêlant d’une part la publication de contenus défendant nos thèmes et nos valeurs et d’autre part par une capacité d’action de chacun des visiteurs du site, qu’il s’agisse de commenter, de proposer, de débattre ou de contacter les autres participants. Nous verrons si cela est réaliste et réalisable, mais il faut y travailler.
Préparons la fin du vieux monde
2015 s’achève. 2016 commence. Nous devons faire de cette année une double révolution. Une révolution politique en cessant de s’acharner dans la voie qui mène à l’abîme et en s’engageant dans celle qui, peut-être, nous permettra de redresser la barre ; une révolution stratégique en pratiquant rigoureusement les méthodes de bataille culturelle qui fonctionnent le plus efficacement et en développant les outils qui nous permettront de nous mettre en réseau. Je crois que c’est en agissant ainsi et en agissant ainsi seulement que nous pouvons reconquérir le terrain perdu et empêcher la catastrophe qui s’annonce irrémédiablement si nous ne faisons rien.
Le vieux monde se meurt. C’est une certitude désormais. Le tout est de savoir si nous voulons être emportés avec lui ou être celles et ceux qui lui donneront le coup de grâce. Mon choix est fait. J’espère que le vôtre aussi.[divider]
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