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Pour « Le Monde », Corbyn, Sanders et Iglesias sont voués à l’échec (et Mélenchon est Voldemort)

Voir aussi : Grèce : « Le Monde » dédiabolise les néonazis d’Aube dorée

« Un coup de rouge à l’Ouest ». C’est ainsi qu’Alain Frachon titre sa chronique dans Le Monde du vendredi 18 septembre 2015. Un jeu de mots pourri comme on les affectionne d’habitude chez Libération, qui laisse entrevoir qu’on va parler de pinard. Mais non. On parle de Jeremy Corbyn, récemment élu à la tête du parti travailliste sur une ligne politique de gauche radicale. On parle de Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate aux Etats-Unis, qui se qualifie lui-même de « socialiste » (au sens historique évidemment). On parle de Pablo Iglesias, leader de Podemos en Espagne. En revanche, Mélenchon est ici Voldemort, pour ceux qui connaissent Harry Potter, c’est-à-dire « celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom », quand bien même tout le monde l’a en tête quand on parle de Corbyn, Sanders et Iglesias dans un même papier.

Le Monde méprise la gauche radicale

Que dit ce papier ? Ni plus ni moins que la démocratie n’a pas de sens face à la « réalité économique » et que, tôt ou tard, tous ces dirigeants politiques – qui sont grosso modo des « utopistes » pour l’auteur (même s’il n’utilise pas le mot) – vont devoir manger leur chapeau et mettre en place la-seule-politique-possible. C’est à dire celle que le journal Le Monde répète en boucle, quoi que cette seule-politique-possible ait montré son ineptie en matière de réduction de la dette, de réduction du déficit, de réduction du chômage et de maintien d’un niveau de service public élevé en matière d’éducation, de santé et de sécurité, etc.

Alors Alain Frachon détaille le programme de Corbyn, qualifié de « programme travailliste des années 70 »[1] : « renationalisation d’une partie de l’économie ; désarmement nucléaire ; prise de distance avec l’OTAN et l’Union européenne ; critique au Kärcher de la politique étrangère américaine ». Bon. Y a-t-il là-dedans quelque chose qui vous semble utopique, à vous ? À moi, non. Mais apparemment, ça n’a pas de sens pour Alain Frachon, auteur de cinq livres dont un seul ne contient ni « Amérique » ni « Etats-Unis » dans le titre.

Ailleurs, il met en avant les points communs de cette « nouvelle gauche »[2] : une « critique raisonnée du libre-échange », une logique d’accueil des réfugiés, une ligne « anti-interventionniste en politique étrangère », une croyance « dans la capacité de l’État à gouverner l’économie au plus près – révolution économique et globalisation des échanges nonobstant » (vous sentez la moquerie ?) et « Last but not least, elle a le pape François à ses côtés, en pourfendeur du capitalisme financier », ajoute celui dont le seul livre qui ne parle pas des USA est un « Atlas des religions ».

Le Monde méprise le peuple

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Mais Alain Frachon ne méprise pas seulement la gauche radicale : il méprise aussi le peuple. Ainsi, il écrit : « Est-ce que cette gauche de la gauche séduit sur son programme ? Des militants sûrement. Mais les électeurs ? Ce qui attire ces derniers, c’est moins le kit idéologique que ses porte-parole ». Ben voyons. Mais qu’ils sont cons, les électeurs : juste parce que les mecs parlent bien, ils vont voter pour eux, mais ils se foutent de savoir ce qu’ils racontent. Alain Frachon ne doit pas être très rassuré avec cette histoire de revenu maximum, de 14 tranches d’imposition pour faire payer ceux qui ont plus, et d’autres choses qui doivent lui donner des sueurs froides la nuit, alors il doit préférer penser que les gens vont être « raisonnables » et continuer à mourir de faim en silence, plutôt que de penser qu’ils veulent vraiment partager les richesses.

Fin analyste, Alain Frachon se demande : « Mais pourquoi [la gauche de la gauche] rencontre-t-elle un début de succès seulement maintenant plutôt qu’au lendemain de 2008 ? ». Et bien oui, c’est vrai ça ! C’est une bonne question quand on a un salaire confortable et un emploi au Monde où on peut dire ce qui nous passe par la tête ! Pour lui, la crise est finie et tout va bien. Mais pour ceux qui ont perdu leur emploi, pour ceux qui ont dû vendre leur maison, pour ceux qui sont les victimes d’un système qui les exploite, pour ceux qui votent le retour aux 39 heures payées 37 avec le couteau du licenciement sous la gorge, pour tous ceux-là : les battus, les spoliés, les humiliés, la crise est loin d’être finie et elle s’aggrave chaque jour. Et n’en déplaise à Monsieur Frachon, quand on parle de partage des richesses et de destruction de l’oligarchie, les gens comprennent très bien de quoi on parle – le fait que ce soit en plus bien dit, c’est en quelque sorte le temps des cerises sur le gâteau.

Le Monde protège l’oligarchie

Et le pire, c’est qu’il ne fait même pas mine de l’ignorer. Répondant à sa propre question, Alain Frachon explique : « La gauche de la gauche croît sur la colère sourde mais réelle que suscite un capitalisme globalisé où la croissance depuis plus de trente ans a fait exploser les inégalités. Des sociétés où 10% de la population concentrent 50% de la richesse nationale ne vont pas gentiment se reconnaître dans des partis de centre-droit ou de centre gauche. Elles vont, très largement, voter iconoclaste ». Oui, oui, vous avez bien lu : « iconoclaste ». Le même qui vient de dire qu’on n’en avait rien à foutre du programme se rend soudain compte que les inégalités et la volonté de rétablir la justice sociale peuvent être un moteur du vote. Et le même qui dit que ça ne va franchement pas dans cette société où les inégalités sont criantes trouve ça « iconoclaste » de vouloir les réduire. Mais après tout, peut-être que lui fait partie des 10% les plus riches et n’a pas grand intérêt à ce qu’il y ait plus de justice sociale.

Heureusement croit Alain Frachon, son portefeuille est sauf car, dit-il : « Au pouvoir, la gauche radicale doit se colleter avec une réalité économique qui, pour elle comme pour les autres, révèle alors toute sa complexité[3] et, souvent, son autonomie par rapport à l’État. Promesses, lyrisme de “grand soir” et démonstrations musclées de volontarisme politique trouvent vite leurs limites ». Et monsieur Frachon d’utiliser la virevolte de Tsipras comme un exemple de l’impossibilité de changer le monde. Et monsieur Frachon de dire que Iglesias soutient Tsipras dans cette virevolte. Et monsieur Frachon d’essuyer tranquillement les grosses gouttes qui perlaient sur son front à l’idée de devoir partager son argent avec d’autres qui en ont moins que lui.

Un plan B en Europe

Donnons-lui un point : il est vrai que rien n’est possible pour changer le monde si l’on n’accepte pas dès le début la possibilité de devoir rompre avec l’ordre établi, quelles qu’en soient les conséquences. C’est le sens du plan B porté par Jean-Luc Mélenchon et qu’ont rejoint des anciens ministres des Finances de leur pays comme Yanis Varoufakis (Grèce), Oskar Lafontaine (Allemagne), Stefano Fassina (Italie) ou encore la présidente du Parlement grec Zoe Konstantopoulou. Du cas grec, nous tirons les leçons. Et nous préparons des solutions alternatives que n’a pas osées Tsipras : monnaies parallèles, transformation de l’euro en monnaie commune (plutôt qu’en monnaie unique), sortie de l’euro… Plusieurs propositions sont déjà sur la table. Mais toutes visent à une chose que n’imaginent pas possible Le Monde et Alain Frachon : appliquer jusqu’au bout nos programmes « iconoclastes », qui sont uniquement des programmes d’intérêt général contre la spoliation du peuple qu’organise l’oligarchie.

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[1] Petite digression nécessaire : vous remarquerez que lorsque le programme de la gauche radicale n’est pas qualifié d’« utopiste », on lui prête alors un certain « archaïsme ». C’est le cas ici. Pour Alain Frachon, les années 70, ce sont celles de ses vingt ans. Mais il oublie sciemment de dire que le programme appliqué actuellement par Hollande, par Merkel et par toute la clique des autres, c’est celui de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui a été mis en place dans les années 70. En disant cela, Alain Frachon fait mine d’ignorer que le programme présenté par la gauche radicale aujourd’hui n’a rien à voir avec le programme des années 70, ne serait-ce que parce qu’il place désormais au cœur de son analyse la crise écologique. Ce que ne fait toujours pas le programme néolibéral, qui pille et qui exploite jusqu’à l’os les travailleurs et la nature.

[2] Tiens, c’est bizarre, elle est « nouvelle » maintenant. La cohérence au sein d’un même texte n’est pas un préalable pour devenir journaliste.

[3] Car, c’est bien connu, la « réalité économique » n’est pas complexe quand on n’est pas au pouvoir.

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