Mélenchon à #TPMP, Delapierre à #ONPC : « le message, c’est le média ».

Avant-propos (en italique) pour les non-twittos.

Pour celles et ceux qui ne sont pas sur Twitter, j’imagine que le titre que j’ai choisi pour cet article est un peu énigmatique. J’explique donc tout de suite de quoi il retourne au niveau des « sigles » que j’y utilise au début. « #ONPC » et « #TPMP » sont, sur Twitter, les « hashtags » (j’explique cela juste après) de deux émissions télévisées, respectivement : « On n’est pas couché » (France 2) et « Touche pas à mon poste » (D8). Les hashtags (les mots précédés de ce petit « # ») sont des outils de référencement qui permettent aux twittos (les utilisateurs de Twitter) de donner de la visibilité à leurs propos ; en effet, quand on clique sur un hashtag, on voit les tweets (les messages) de toutes les personnes qui ont utilisé cet outil de référencement. L’avantage de Twitter étant qu’il n’est pas besoin d’y être inscrit pour voir ce qui s’y dit, je propose à celles et ceux qui ne connaissent pas d’aller regarder que ça donne avec #ONPC ou encore avec #Delapierre.

Cette première partie du titre étant éclaircie, vous aurez maintenant tous compris que je vais parler d’émissions de télévision. Cela dit, il y a une deuxième partie à ce titre, et je suis sûr qu’il y a parmi les lecteurs et lectrices de ce blog quelques puristes de la sémiologie qui se sont dit : « Ah ! La citation est mauvaise ! ». Là aussi, je dois expliquer : la deuxième partie du titre de cet article est effectivement une citation erronée de Marshall McLuhan qui a en fait écrit : « le message, c’est le médium ».

Pour donner une définition simple, le médium est l’intermédiaire entre deux autres éléments (en général, on connaît le médium qui lit l’avenir et qui est supposément un intermédiaire entre le monde réel et le monde des esprits) ; par exemple, si j’écris une lettre à mon amoureuse, le médium est une feuille de papier et le langage écrit ; quand vous regardez Jean-Luc Mélenchon à la télévision, l’élément qui sert d’intermédiaire entre vous deux est précisément le poste de télé (et tout ce qui va avec : caméras, micros, etc.). Or, vous serez d’accord pour dire qu’il y a une différence (sur la forme mais aussi sur le fond) entre ce qu’on peut exprimer avec une feuille de papier et ce qu’on peut exprimer avec une caméra. C’est là précisément ce que voulait dire McLuhan : l’outil qui sert d’intermédiaire (ou de médium) entre deux individus (ou plus) conditionne le message qu’ils se passent. Pour prendre un exemple très concret : au téléphone avec un ami, il vous arrive de vous couper mutuellement la parole, mais il est impossible de couper la parole aux invités d’un plateau télé (sauf si on est sur le plateau en question, auquel cas on n’est plus devant la télé).

Ceci posé, les puristes se disent toujours que j’aurais dû mettre la citation exacte. J’ai décidé de ne pas le faire pour 2 raisons : 1) le mot « média » parle à tout le monde et ce n’est pas forcément le cas du mot « médium » ; 2) cela me permettait de faire l’innocent pour amener un petit paragraphe sur McLuhan (dont je n’aurais jamais appris l’existence si je n’avais pas eu la chance de faire les études que j’ai faites) et cela me faisait plaisir de pouvoir en parler un peu à celles et ceux qui ne le connaissaient pas.

Ces différents éléments posés, il est maintenant temps d’entrer dans le vif du sujet : une étude comparée de deux émissions télévisées dans lesquelles sont récemment intervenues deux personnalités du Parti de Gauche. En effet, nous avons connu une semaine doublement exceptionnelle d’un point de vue médiatique : jeudi 30 mai 2013, Jean-Luc Mélenchon était le premier invité politique de l’émission « Touche pas à mon poste », présentée par Cyril Hanouna sur la chaîne D8 et, samedi 2 juin 2013, François Delapierre était pour la première fois invité de l’émission « On n’est pas couché », présentée sur France 2 par Laurent Ruquier. Dans les deux cas, il s’agit d’émissions dites « de divertissement » (contrairement à « Des paroles et des actes » (DPDA) qui se veut une émission politique). J’aimerais essayer ici de tirer quelques conclusions ce ces deux « premières fois ».

Jeudi 30 mai 2013 : Jean-Luc Mélenchon à « Touche pas à mon poste » (TPMP).


J.-L. Mélenchon à  » Touche pas à mon poste » sur D8 le 30/05/2013 by Parti de Gauche

TPMP est une émission de divertissement présentée du lundi au vendredi par Cyril Hanouna. L’objet est d’y parler de la télévision, de ce qui fait le « buzz » et de ce qui ne le fait pas, le tout en enchaînant vanne sur vanne avec un humour un peu potache et parfois scatologique (les participants sont ainsi de grands fans de la chanson : Quand il pète, il troue son slip). Jamais, ô grand jamais, on ne veut parler de politique dans cette émission (parce que, tout le monde le sait : c’est chiant, la politique). L’invitation faite à Jean-Luc Mélenchon constituait donc une grande première et il s’agissait d’un défi à la fois pour les présentateurs de l’émission et pour le coprésident du Parti de Gauche, qui a accepté de le relever avec intérêt et curiosité.

Quand cette invitation a été connue, on a senti comme un frisson contagieux parcourir quelques camarades du PG : « Que va faire Jean-Luc dans une émission pareille ? En plus, Cyril Hanouna a dit qu’on ne parlerait pas de politique ! A quoi ça sert d’y aller si c’est pour ne pas parler de politique ? Ça y est, cette fois c’est foutu : Jean-Luc a pété les plombs ».

Je caricature un peu, je l’avoue, mais certains ont quand même tremblé des genoux. Et puis, petit à petit, un dialogue s’est mis en place entre les « pour » et les « contre ». Côté « contre », les arguments et les questions se concentraient grosso-modo sur 3 éléments : 1) pourquoi aller dans une émission où le concept est de ne pas parler de politique ? ; 2) cette émission est « dangereuse » : ils vont essayer de faire passer Jean-Luc Mélenchon pour un clown ; 3) ça nous discrédite : la politique, c’est du sérieux. Voilà, je crois, l’essentiel des questions et des éléments qui étaient avancés.

Du côté de ceux qui étaient « pour », les arguments se portaient sur d’autres points : 1) c’est une émission populaire et très regardée (1 million de téléspectateurs), nous avons donc la possibilité de faire passer un message à un grand nombre de personnes qui ne nous écoutent pas forcément sur d’autres canaux ; 2) c’est précisément parce qu’habituellement on n’y parle pas de politique qu’il faut saisir la chance qui nous est faite de pouvoir introduire du contenu de ce type là où il n’y en a pas d’habitude ; 3) c’est mal connaître Jean-Luc Mélenchon que de croire qu’il va se laisser marcher sur les pieds ; 4) il y a un petit sociocentrisme bourgeois à refuser que le coprésident du Parti de Gauche aille dans ce type d’émission et, si on veut vraiment une Révolution citoyenne, il faut aller parler partout où l’on peut parler à des citoyens.

Voilà, je crois, l’essentiel des échanges qui ont eu lieu entre les camarades. La conclusion des discussions a presque toujours été : « on verra bien », ce qui était la seule conclusion sensée à laquelle on pouvait arriver avant que l’émission n’ait été diffusée. Et au final, une fois celle-ci regardée, je crois que les avis ont tous convergé dans le même sens : c’était un excellent choix d’accepter l’invitation et Jean-Luc Mélenchon aurait eu tort de ne pas y aller… cela d’autant plus qu’une intermittente du spectacle a profité de la présence du coprésident du Parti de Gauche pour interrompre l’émission et dire un mot sur les baisses de salaires imposées par le groupe Canal+ depuis qu’il a racheté D8.


-25% de salaire pour les intermittents de D8 by Parti de Gauche

Je parle de ces débats internes à notre parti parce qu’ils m’apparaissent à postériori comme révélateurs de la spécificité de « Touche pas à mon poste » et du caractère exceptionnel qu’y constituait la présence d’une personnalité politique. En fait, avant que l’émission n’ait été diffusée, chacun sentait qu’il allait se jouer ici quelque chose de spécifique qui tenait à la nature même du média : plus ou moins consciemment, chacun se demandait quel serait, au final, le message envoyé par Jean-Luc Mélenchon aux téléspectateurs, et si le coprésident du Parti de Gauche aurait prise sur le déroulement de l’émission. Le lien était par conséquent déjà fait, dans les têtes, entre le message et le média et tous craignaient que le second rende le premier parfaitement inaudible.

Fort heureusement, il n’en a rien été et j’aimerais ici essayer de comprendre ce qui s’est passé concrètement à TPMP. Pour ce faire, il nous faut d’abord faire un détour par la construction médiatique de l’identité de Jean-Luc Mélenchon : dans la quasi totalité des médias (je n’exagère pas : les exceptions sont rarissimes), le coprésident du Parti de Gauche est présenté comme un grand méchant qui ne parle pas mais « crie », « tempête », « tonne », « éructe », etc. J’en rajoute ? Si c’est ce que vous pensez, je vous propose de regarder les 20 premières secondes de lancement de l’émission « Des paroles et des actes », que j’insère ci-dessous. Dans ce court laps de temps, le coprésident du Parti de Gauche est présenté comme une personne violente (« il tonne », « il en rajoute dans l’invective »), malpolie (rappelons ici qu' »éructer » veut dire « roter ») et dont on doute à la fois de sa volonté de changer les choses (« veut-il réellement gouverner ? ») et de sa capacité à gouverner la France (« peut-il réellement gouverner ? »).

Ayant déjà eu l’occasion de montrer dans deux autres articles (voir ici et ici) quelles formes pouvait prendre cette « diabolisation mélenchonienne » dans la presse écrite et à la télévision, je ne reviendrai pas en profondeur sur ce sujet. Ce qui m’intéresse ici, c’est que les personnes présentes sur le plateau de TPMP ne questionnaient pas cette « légende médiatique » et la prenaient telle quelle, montrant notamment des images vues et revues où Jean-Luc Mélenchon « clashait » tel ou tel journaliste.

Sauf que voilà : dans une émission de divertissement et tout particulièrement dans TPMP, « clasher », faire de bonnes vannes et être un peu sanguin est perçu de manière positive. L’émission toute entière est fondée sur des échanges vifs et cassants faits avec humour, sans volonté de nuire à la personne qui se trouve « victime » du bon mot, contrairement à d’autres émissions dites « politiques » où il peut parfois y avoir une volonté de « détruire » littéralement un « adversaire » en essayant de le pousser dans ses retranchements (pour celles et ceux qui ont vu ces émissions, c’est par exemple le cas des échanges vifs qu’on a pu voir entre Aymeric Caron et Jean-Luc Mélenchon à ONPC, ou encore entre Jacques Attali et le même Jean-Luc Mélenchon à DPDA). Par conséquent, le coprésident du Parti de Gauche, qui aime beaucoup les bons mots et les bonnes vannes, était parfaitement dans son élément à TPMP… Tant et si bien qu’il est soudain apparu comme quelqu’un d’extrêmement sympathique.

Etonnant, n’est-ce pas ? Et bien en fait… pas tant que ça ! C’est précisément ici qu’on comprend pleinement l’intérêt de l’expression de Marshall McLuhan, « le message, c’est le média » : à DPDA, à ONPC ou à TPMP, il y a un seul et même Mélenchon, qui agit toujours plus ou moins de la même manière, même s’il est peut-être parfois un peu plus sur ses gardes dans certains cas que dans d’autres ; pourtant, en fonction de l’émission que l’on regarde, ce Mélenchon peut être perçu tout à fait différemment : du « grand méchant Mélenchon » présenté dans DPDA au « Mélenchon sympa » de TPMP, en passant par le « Mélenchon parfois sympa, parfois pas » d’ONPC.

On le voit : le contexte – le média, le médium, l’émission… tout ceci est ici très proche – influence fortement la perception que nous avons de la personne qui parle, et donc la perception que nous avons de son message. En d’autres termes, la boucle étant bouclée, on vérifie l’idée que le message est bien dépendant, à la fois dans son énonciation et dans la compréhension qu’en a le récepteur, du canal par lequel il passe et, mieux, de l’utilisation qui est faite par tel ou tel individu ou tel ou tel groupe d’individus du canal considéré : avec un même média physique (la télévision), on s’aperçoit soudain qu’il existe de nombreux médias réels (les émissions) possibles et donc de nombreux messages possibles. De fait, selon que Jean-Luc Mélenchon est présenté par un média comme méchant ou gentil, sérieux ou plein d’humour, la perception que les spectateurs (téléspectateurs, auditeurs de radio, lecteurs de presse papier) en ont se trouve sensiblement modifiée et, conséquemment, la lecture du message qu’il essaie de faire passer se trouve également modifiée. Ce qui tombe bien, c’est que le passage de François Delapierre deux jours plus tard à ONPC a permis de montrer toute l’importance que revêt le média dès lors que le message que l’on essaie de faire passer est politique.

Samedi 1er juin 2013 : François Delapierre à « On n’est pas couché » (ONPC).


François Delapierre dans ONPC sur France 2 by Parti de Gauche

S’il est très connu chez les sympathisants du Front de Gauche, François Delapierre est encore une « nouvelle tête » pour le monde médiatique et le grand public. Pour dire les choses plus simplement : en l’invitant à la télé, on n’est pas tout à fait sûr de faire de l’audience. En proposant à François Delapierre de participer à l’émission, ONPC a donc fait un pari (tout comme TPMP avec Jean-Luc Mélenchon)… qui s’est avéré payant, puisque l’émission a été suivie en moyenne par 1,76 millions de téléspectateurs, soit 24,7% de parts d’audience (devant TF1).

Pour entrer efficacement dans le vif du sujet (« le message, c’est le média »), il me semble important de nous pencher d’abord sur ce qui s’est passé médiatiquement pour François Delapierre au cours des derniers mois : s’il était invité régulièrement sur des plateaux  de télévision (BFM, Public Sénat, etc.) et de radio (Europe1, RTL, etc.), ces invitations se sont multipliées après le « salopards » exprimé à l’endroit des 17 ministres de l’eurogroupe dont Pierre Moscovici fait partie.

Si je prends le temps de m’arrêter sur ce point, c’est parce qu’il me semble qu’il y a des leçons à en tirer sur le fonctionnement des médias. De tous côtés, nous subissons régulièrement des attaques quant au langage « cru et dru » que nous avons choisi d’employer sur la scène publique : « ‘salopards’, c’est pas un peu violent ? », « ‘coup de balai’, c’est horriblement populiste ! », « mais qu’est-ce que c’est que ce tweet de Mélenchon ? », etc. Dans le même temps, plus nous employons ce vocabulaire fleuri, plus les médias qui nous critiquent nous invitent, généralement pour nous demander si on ne regrette pas et si on n’y va pas quand même un peu fort. Paradoxe. L’idée est de nous faire rentrer dans le rang, dans le parler châtié, dans la langue qui ne choque personne et qui se trouve être souvent de bois… Mais l’idée est aussi de faire de l’audience : chacun espère une « nouvelle colère de Mélenchon contre les journalistes » pour pouvoir en faire quelques gros titres et vendre du papier, du son ou de la télévision à peu de frais. Le capitalisme a ses règles que la raison ignore.

Ces éléments posés, on comprend mieux pourquoi François Delapierre a été invité à « On n’est pas couché » : il est ce qu’on appelle médiatiquement une « figure montante », et il est toujours économiquement intéressant d’être « l’émission qui a révélé Machin au grand public ». Pourtant, dans le même temps, François Delapierre reste pour l’instant une « nouvelle tête » pour les médias de grande écoute, si bien qu’à ONPC, il semble qu’ils n’aient pas vraiment su comment le présenter. Pour une fois (et c’est là quelque chose de tout à fait étonnant), l’émission est passée très vite sur les habituelles bêtises du « bras droit de Mélenchon » et du « vous ne regrettez pas le ‘salopard’ ? » pour se concentrer pendant près d’une heure sur le livre de François Delapierre : La Bombe de la dette étudiante. En somme, pendant près d’une heure, on a pratiquement arrêté de parler de la forme de notre discours pour se concentrer sur son fond.

Il s’est alors produit quelque chose d’étonnant (qu’on n’a connu récemment qu’au « Médiapart live » qui avait vu Jean-Luc Mélenchon et Pascal Durand débattre sur la VIe République) : on a eu une émission avec un contenu politique de très haut niveau. Sur cette base, un consensus presque général s’est dégagé sur le plateau autour des analyses de François Delapierre sur la dette étudiante : tout le monde s’est trouvé d’accord pour dire que l’éducation ne devait pas être une marchandise et pour affirmer que l’augmentation des frais d’inscription était un scandale qui remettait en cause l’accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur. Sur Twitter aussi, on a pu voir des téléspectateurs apparemment pas sympathisants du Parti de Gauche dire que l’argumentaire déployé par François Delapierre était convaincant. Bref : quand on nous permet de développer nos propositions sans nous couper en nous demandant de nous excuser à propos de ceci ou cela, il se trouve que chacun peut s’apercevoir que nous avons des choses à dire sur de nombreux sujets et que ce que nous disons n’est, au fond, pas si insensé que cela.

Bien sûr, certains se disent sans doute qu’il y a une différence notoire de « tempérament » entre François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon et que c’est là que se trouve le fond de la question. J’invite ceux-ci à regarder d’un bout à l’autre le Mélenchon calme et posé du « Médiapart live » dont je parlais plus haut ; je les invite, à l’inverse, à regarder un Delapierre remonté comme une pendule à France 24. Dans les deux cas, le dispositif médiatique joue un rôle extrêmement puissant sur le message qui passe ; la différence de « tempérament » n’a donc que bien peu de choses à voir dans tout ceci. D’ailleurs, rapporter ainsi les choses aux personnes plutôt qu’aux formats des émissions est un travers médiatique qui voudrait que le médium soit systématiquement exempté de critiques et que les problèmes se trouvent uniquement du côté des invités plutôt que des présentateurs. La comparaison que j’ai menée ici entre le passage de Jean-Luc Mélenchon à « Touche pas à mon poste » et celui de François Delapierre à « On n’est pas couché » aura, je l’espère, démontré le contraire.

 

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