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Agir contre les pyromanes et l’ambiance qu’ils créent

Quand j’étais petit, je ne comprenais pas bien pourquoi les adultes faisaient la guerre et laissaient des gens mourir de faim dans la rue. J’espérais qu’on me donne un micro qui me permette de parler si fort que je serais entendu de tous et qu’après, le monde irait mieux. J’avais l’impression que ce que j’avais à dire était tellement du bon sens que si les adultes ne faisaient pas le bien par eux-mêmes, c’était forcément parce qu’ils n’y avaient pas pensé.

Aujourd’hui, je me sens de nouveau comme cet enfant. J’observe mon pays, je vois celles et ceux qui le défigurent, qui obscurcissent son présent et son avenir, et j’ai envie de pousser un cri si fort qu’il soit entendu de tous. Je regarde ce qui se passe, j’écoute ce que disent les gens qu’on voit à la télé et je me dis : « ce n’est pas possible qu’ils soient tous devenus si bêtes ou si inconscients ; s’ils disent ce qu’ils disent et s’ils font ce qu’ils font, c’est forcément qu’ils ne comprennent pas le danger qui plane sur nous ». Et, en vérité, je suis incapable de dire s’ils savent ou non ce qu’ils font, s’ils comprennent ou pas les effets profonds de leurs actes, si c’est de la bêtise notoire ou si c’est volontaire.

« Eux », ce sont toutes celles et tous ceux qui jouent avec le feu. Ce sont toutes celles et tous ceux qui pensent que le monde continue de tourner comme avant. Ce sont toutes celles et tous ceux qui pensent que Marine Le Pen n’arrivera jamais au pouvoir et qui n’envisagent donc pas un seul instant la stratégie à adopter pour qu’elle n’y arrive pas. Ça ne leur effleure pas l’esprit. Ou, quand ça arrive, ils envisagent ça comme une question politico-philosophique intéressante à étudier en soi, pas comme un drame historique.

Les médias

« Eux », ce sont d’abord les médias, qui ont commencé à relayer les thèmes du FN il y a des années. En 1996, Bourdieu, dans Sur la Télévision, écrivait déjà :

Il arrive aussi que les journalistes, faute de garder la distance nécessaire à la réflexion, jouent le rôle du pompier incendiaire. Ils peuvent contribuer à créer l’événement, en montant en épingle un fait divers (un assassinat d’un jeune français par un autre jeune tout aussi français mais « d’origine africaine ») pour ensuite dénoncer ceux qui viennent mettre de l’huile sur le feu qu’ils avaient eux-mêmes allumé, c’est-à-dire le FN, qui, évidemment, exploite ou tente d’exploiter « l’émotion suscitée par l’événement », comme disent les journaux mêmes qui l’ont créé en le mettant à la une, en le rabâchant au début de tous les journaux télévisés, etc. ; et qui peuvent s’assurer ensuite un profit de vertu, de belle âme humaniste, en dénonçant à grands cris et en condamnant sentencieusement l’intervention raciste de celui qu’ils ont contribué à faire et à qui ils continent à offrir ses plus beaux instruments de manipulation.

On voit que les choses n’ont pas changé : Le Point titrait en mai sur « Les Arabes, aux origines de la tragédie d’aujourd’hui » ; L’Express titrait en février sur « La République face à l’islam ». Et ce ne sont là que deux exemples alors qu’il y en a bien d’autres, tous les jours, sur les journaux, à la radio, à la télévision…

À ce lepénisme médiatique sur les thèmes du FN s’est ajouté un lepénisme médiatique « tout court ». Depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011, les médias ont ouvert leurs portes aux dirigeants du Front national. Ils les invitent partout et mettent en avant le FN dès qu’il bouge un doigt de pied. Ainsi Le Monde, tutoyant Le Pen et lui offrant en cadeau des intellectuels ou encore faisant sa propagande entre les deux tours d’une élection ; ainsi Libération, préférant Le Pen à Sarkozy ; ainsi Le Lab, transformant Florian Philippot en socialiste ; ainsi Marianne, faisant des sondages bidons pour titrer sur Le Pen ; ainsi L’Express faisant des choix de photos pour le moins douteux ; ainsi la présentatrice du Grand Journal parlant du « discours de vérité » du Front national ; ainsi, ainsi, ainsi…

Les politiciens

« Eux », ce sont aussi les politiciens qui soufflent dans le dos du FN soit par petits calculs soit par inconscience. C’est Nadine Morano qui dit que « la France est un pays de race blanche », parce qu’elle se positionne à l’extrême droite de la droite extrémisée pour peser dans la primaire des Républicains (sic.) ; en somme, elle fait comme Montebourg mais de l’autre côté. Le pire, c’est qu’elle fait ça en se revendiquant de de Gaulle qui a, lui, pendant la guerre, lutté contre les ennemis de la France – c’est à dire contre ceux dont Le Pen père et fille sont les descendants idéologiques et politiques.

« Eux », ce sont aussi ces incapables qui dirigent le pays. Incapables de respecter leurs promesses, incapables d’inverser la courbe du chômage, incapables de faire autre chose que d’imiter les autres (un coup l’Allemagne, un coup les Etats-Unis) et de faire comme Sarkozy, en pire.

C’est Macron, l’oligarque, le banquier, le millionnaire, qui cristallise la haine de ceux qui ont voté Hollande pour « lutter contre la Finance » et qui se retrouvent avec la Finance au gouvernement, qui lutte contre le peuple. Macron, qui dit que « l’élection est un cursus d’un ancien temps », montrant combien il voit la politique comme une activité professionnelle et pas un engagement ; Macron qui dit que « le libéralisme est une valeur de la gauche » ; Macron qui s’en prend aux 35h en disant que c’est « une fausse idée » de dire « que la France pourrait aller mieux en travaillant moins » ; Macron qui défend le moins-disant social et humain et dresse les Français les uns contre les autres en affirmant que le statut des fonctionnaires n’est « plus adéquat » ; Macron l’esclavagiste qui dit au Medef d’embaucher des apprentis parce que « c’est désormais gratuit quand ils sont mineurs ». Quand la gauche fait une politique plus à droite que la droite, comment s’étonner que les repères se perdent et que monte celle qui parle de « l’UMPS » ?

Mais « eux », c’est aussi nous, la gauche radicale, quand nous ne sommes pas à la hauteur de ce que le devoir commande. C’est nous quand nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord pour des questions invraisemblables de places sur des listes électorales. C’est nous quand nous jouons au jeu de « faites ce que je dis, faites pas ce que je fais » sur le cumul des mandats, les petites combines politiciennes, les accords de deuxième tour avant même que le premier ne soit passé. C’est nous quand nous refusons d’utiliser des mots ou des symboles sous prétexte que Le Pen les a utilisés ; ainsi la « nation », le drapeau tricolore ou la Marseillaise. Bientôt il sera interdit de respirer parce que Le Pen l’a déjà fait.

C’est nous quand nous ne sommes pas à la hauteur de notre tâche historique, quand nous refusons de parler de la lutte de l’oligarchie contre le peuple ; quand nous renonçons à utiliser un vocabulaire populiste par peur de choquer des médiacrates ampoulés ; quand le « coup de balai » provoque des critiques parce que « c’est un peu violent quand même » ; quand les nôtres nous accusent de « germanophobie » parce qu’on critique l’antimodèle allemand qui triche, qui ment, qui pollue et qui tue ; quand les médiocres essaient de couper la tête du seul qui dépasse pour essayer de le mettre au même niveau qu’eux, plutôt que de lui donner l’élan dont nous avons tous besoin pour sortir de l’ornière.

Les (pseudo-)intellectuels et les artistes

« Eux », ce sont aussi ceux qui sont qualifiés d’« intellectuels » mais qui ne sont souvent que des « fast-thinkers », payés pour débiter des âneries sur un plateau de télévision, à la radio, où dans les colonnes des journaux. Ainsi l’infâme Zemmour, qui a dit qu’on pouvait envisager de déporter cinq millions de musulmans, qui a menti en continu sur les chiffres de l’immigration, mais qui a continué à être invité sur tous les plateaux de télévision ou presque. Intellectuel ? Où ça ? Médiacrate, oui, pensée prémâchée et mensongère, oui, portevoix permanent de Marine Le Pen, oui, mais intellectuel, où ? Quand ? Qu’est-ce qu’il a déjà dit d’intelligent, Zemmour ?

Et encore Éric Zemmour, de même que Michel Hoellebecq, sont-ils perçus comme des gens en dérive à l’extrême droite. Mais quand ce sont les pseudo-intellectuels réputés « de gauche » qui s’y mettent ? Quand Sapir et Onfray osent proclamer de concert que les programmes économiques de Le Pen et Mélenchon sont similaires[1], de qui font-ils la publicité ? Quand ils invitent les gens à penser que Le Pen a un programme social, que font-ils ? Qui aident-ils ? Quand ils disent qu’il faut un « front de libération nationale » unissant Le Pen et Mélenchon, que font-ils sinon dire qu’on peut faire des choses avec le FN ? Quand Onfray affirme que Marine Le Pen n’est pas raciste alors que la nationalité se base pour elle sur le droit du sang, que fait-il ? Quand il invite à s’abstenir alors que Le Pen est forte quand l’abstention est forte, que fait-il ? Que font ces gens ?

« Eux », ce sont encore toutes celles et tous ceux qui ne disent rien, qui laissent faire tant qu’ils peuvent continuer à vendre leurs livres, leurs chansons, leurs films, que sais-je encore. De Sartre, on retient cette phrase qui invite les intellectuels et les artistes à l’engagement : « parler, c’est agir ». On oublie en revanche souvent celle-ci : « se taire ce n’est pas être muet, c’est refuser de parler, donc parler encore ». Pourquoi n’y a-t-il qu’un Lordon dont la voix porte assez pour répondre sur le fond à Sapir ?

Où sont passés les intellectuels ? Où sont les artistes engagés ? Pourquoi se taisent-ils ? Quand les indignations morales viennent de médiacrates sur le déclin comme Eric Naulleau ou Jean-Michel Aphatie, on est en droit de se demander ce que font les autres, universitaires, artistes, intellectuels réels qui se taisent ou ne parlent pas assez fort. Peut-être y a-t-il enfin un début de frémissement, comme je veux le croire avec cette tribune publiée dans Le Monde : « Intellectuels de gauche, réengagez-vous ! ». Certes, cette tribune commet la double erreur de cristalliser le débat sur « la gauche » et d’affirmer qu’il faut arrêter de parler « de nation, de peuple, de souveraineté » pour pouvoir parler « de classes, d’exploitation, de violence, de répression, de domination »[2], mais elle a le mérite d’être autre chose que du silence, ce qui est déjà beaucoup compte tenu du mutisme général.

Agir

Cela fait un moment que je voulais écrire cet article. Et depuis le moment où j’en ai ressenti le besoin, tant de choses se sont encore passées. C’est Morano qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Macron en a encore rajouté et puis ça a coulé, comme un flot. D’une certaine manière, il m’a fallu tout ça pour pouvoir écrire ; il a fallu que l’indignation laisse place à la révolte pour que les mots sortent enfin.

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Face à l’ambiance pourrie qui règne, on se sent désarmé, on ne sait pas quoi faire pour agir. Pourtant on est nombreuses et nombreux à ne plus supporter cette ambiance et à vouloir agir, j’en suis sûr. Je suis sûr que je ne suis pas le seul à avoir ce sentiment de désarroi et d’impuissance, et j’espère que cet article sera, à sa façon, une invitation pour d’autres à entrer en révolte. Vous pouvez d’ailleurs utiliser l’espace des commentaires pour l’exprimer, si le cœur vous en dit et que vous cherchez un endroit pour écrire.

Je crois qu’il faut réfléchir et s’organiser pour agir efficacement contre cette ambiance pourrie et ces pyromanes qui se multiplient. Mais je crois qu’il faut aussi, parfois, dire simplement ce qu’on a sur le cœur, sans chercher forcément à faire plus. Parce que faire cela, c’est dire à celui qui pense pareil : « tu n’es pas seul ». C’est permettre de se compter, de se rendre compte de notre force, car je suis sûr aussi qu’on est plus nombreux et plus forts que tous les pyromanes réunis, conscients ou inconscients. On doit parler pour nommer nos ennemis et pour envoyer un message d’espoir à nos amis. On doit le faire, avant qu’il ne soit trop tard. J’ai voulu prendre ma part ici. J’espère que vous prendrez la vôtre.

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[1] Il faut s’arrêter sur ce point. Les ont-ils seulement lus, ces programmes ? Je pense que non. Qu’ils le fassent en s’intéressant par exemple au mot « nationalisation » ! Ils s’apercevront que si Marine Le Pen parle de « nation », elle considère comme punitif d’ajouter « -alisation » derrière, quand Jean-Luc Mélenchon fonde toute une partie de son programme sur la nationalisation de secteurs entiers de l’économie et la création de grands pôles publics de l’énergie, du médicament, etc. Le Pen, c’est le peuple dépossédé de ses biens ; Mélenchon, c’est le peuple aux commandes de son économie.

[2] Comme je l’ai dit plus haut, ce n’est pas en abandonnant des mots au Front national qu’on gagne une bataille culturelle : c’est en mettant dans ces mots un sens qui rende impossible à l’ennemi leur utilisation. C’est ce qu’a réussi, en partie, à faire Marine Le Pen, puisque des intellectuels qui se disent « de gauche » refusent d’utiliser certains mots, qui sont pourtant constitutifs de l’identité républicaine de la France. C’est au cri de « Vive la Nation ! » que le peuple souverain a vaincu à Valmy le 20 septembre 1792 ; c’est au lendemain de cette victoire que la Première République a été proclamée ; pendant la Grande Révolution, être « patriote » est dans une large mesure synonyme de « partisan de la Révolution »…

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