Avez-vous lu l’interview croisée d’Éric Naulleau (Nono) et Christophe Barbier (Bobo) dans le JDD ? Non ? C’est bien : vous n’avez rien raté. Je n’ai malheureusement pas eu votre chance, car dans cette interview il est question de Robespierre et de la République… et que maintenant, dès que ces mots sont écrits quelque part, je suis saisi immédiatement par des camarades comme le Conseil Constitutionnel sur la loi immigration. J’ai donc reçu une demi-douzaine de messages me demandant : « TU AS LU ÇA ? ». Et j’ai donc fini par lire.
De quoi s’agit-il ? Nono et Bobo sortent chacun un livre. L’un et l’autre pour taper sur Mélenchon. Le JDD s’est donc dit que ça pourrait être intéressant de les interviewer ensemble pour avoir un bel article anti-Mélenchon. Et c’est réussi ! Le cadre est drôle : un journal d’extrême droite demande à un éditorialiste d’extrême droite et à un éditorialiste de droite extrême ce que la gauche devrait faire pour aller mieux. C’est un peu comme si L’Humanité demandait à Philippe Poutou et Nathalie Arthaud de donner des conseils à Jordan Bardella pour bien réussir sa campagne européenne. Mais Nono et Bobo ont-ils conscience qu’ils sont si détestés dans le pays qu’il se pourrait que leurs attaques contre Mélenchon se transforment en publicité pour le leader de LFI ? Pas sûr. Enfin, on prend.
L’article s’intitule « Jean-Luc Mélenchon ou la stratégie du chaos ». C’est léger. Deux grands reproches sont faits au leader de LFI. Le premier serait d’avoir renoncé à la République laïque avec l’objectif, car ce serait lié, d’avoir renoncé à convaincre les ouvriers et de s’être fixé pour objectif de convaincre « les islamistes » (sic) ; le deuxième serait d’avoir renoncé à prendre le pouvoir par les urnes et de préparer l’insurrection, ce qui se traduirait symboliquement dans le fait que Mélenchon choisirait plutôt la Ière République (et Robespierre) plutôt que la IIIème. Je vous livre les morceaux les plus croustillants et j’y réponds.
Nono et Bobo ont peur des quartiers populaires (parce que pour eux quartiers = musulmans = islamistes)
Nono et Bobo sont terrifiés. Car autour de Paris, il y a le Périphérique. Mais qu’encore au-delà du Périphérique, il y a la banlieue. Et que dans la banlieue, il y a des quartiers populaires. Et que dans les quartiers populaires il y a des gens. Et que ces gens seraient tous des islamistes que Mélenchon essaierait de convaincre de voter pour lui. Avec une stratégie imparable : renoncer à toutes les valeurs de la gauche, de la République, et – surtout – à la laïcité pour obtenir leur vote à coup sûr et imposer à la France à la fois la Révolution et le voile islamique.
Mon lecteur pensera que j’exagère, mais je ne fais que résumer. Bobo l’affirme : « Dans la dérive islamo-gauchiste de Mélenchon et des siens point ce risque [de disparition de la République], notamment parce qu’il a abjuré ce en quoi il croyait plus que tout : la République laïque ». Nono en est convaincu : « Du jour au lendemain, il est passé d’un discours républicain et laïc à un discours prônant le voile islamique ». J’attends avec impatience que Nono et Bobo me montrent les discours de Jean-Luc Mélenchon appelant à porter le voile, où encore ceux où il aurait renoncé à la laïcité. Pour ma part je n’en connais aucun. Je pense que ce sont eux qui ont un problème avec la laïcité et qui supportent mal que certains, et surtout certaines puissent exercer librement leur religion, comme le garantit l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ») et par la loi de 1905 à son article 1er qui reprend cette idée ( « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »). Leur problème, en fait, c’est que tout le monde ne partage pas leur haine contre nos compatriotes musulmans. Nono et Bobo me semblent plutôt correspondre aux « hypocrites » de la laïcité que Jean-Luc Mélenchon dénonçait dans un discours de 2016, magnifiquement mis en musique par Khaled Freak, et sur lequel il n’y a pas un seul morceau à retrancher. D’ailleurs, Nono et Bobo devraient écouter la fin, ça parle d’eux (les gens qui détestent les musulmans).
Mais Nono va plus loin. Pour lui, Jean-Luc Mélenchon ne veut pas seulement la fin de la laïcité et de la République. Non. Il est : « le collaborateur d’un nouveau fascisme et n’a plus rien à voir avec la gauche authentique ». Oui, il a vraiment dit ça. Pourquoi ? Nono précise : « Jean-Luc Mélenchon se veut le fossoyeur de tous les idéaux de gauche dans le seul but d’arriver au pouvoir. Tous les moyens sont bons, jusqu’à placer sur la liste des européennes une femme qui milite pour la Palestine “de la rivière à la mer”, c’est-à-dire pour la disparition d’Israël ». Commençons par dire que c’est n’importe quoi. Mais constatons : le gros problème de Nono, c’est que Rima Hassan se trouve sur la liste de l’Union populaire pour l’élection européenne (c’est le 9 juin, votez !) et qu’elle a dit qu’elle croyait difficile de parvenir à la solution à deux États, quoiqu’elle continue à défendre cette solution en s’appuyant sur le droit international. Nono a sans doute mal écouté Rima Hassan. Il l’aurait peut-être entendu dire que ce qui menace pour l’instant la solution à deux États, c’est Netanyahu et c’est la colonisation. De fait, pour l’instant, il y a un État, pas deux. Et ce n’est pas la faute des Palestiniens. Nono n’est pas très expert en « idéaux de la gauche » car parmi eux, il y a la défense de la paix, la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc du droit des Palestiniens à avoir un État comme le leur garantit le droit international. Et dans les idéaux de la gauche – et, même, de la République, j’y reviendrai en fin de note – il y a aussi à la fois la lutte contre la colonisation et la guerre d’anéantissement de déjà plus de 30.000 Palestiniens que mène Netanyahu à Gaza.
Mais c’est Bobo le cerveau de la bande. Bobo, lui, il a tout compris. Il explique le plan secret de Mélenchon. Le voici : « Son rêve est de provoquer la révolution léniniste, ou castriste, en s’appuyant sur un nouveau prolétariat qui n’est plus celui de la révolution industrielle, mais celui des quartiers où l’islam politique est le facteur d’unité et d’identité. Il veut parvenir au gauchisme par l’islamisme : ce n’est plus l’humiliation de l’ouvrier sidérurgiste, c’est l’humiliation du Beur de banlieue, par la colonisation, par le racisme, par la laïcité qui bloque l’expression de sa religion… Ces humiliations, il veut les faire bouillir, les transformer en volcans et on parvient à obtenir ainsi la révolution rouge par le vert de l’islam ». Là encore, vous ne rêvez pas : Bobo a bien dit ça au JDD. Vous avez bien lu : il assigne l’ensemble des quartiers populaires à « l’islam politique » comme « facteur d’unité et d’identité ». Ça peut peut-être vous paraître incroyable de raconter autant de bêtises en aussi peu de mots, mais Bobo est expert en bêtises. Je résume : Mélenchon n’en aurait plus rien à faire des ouvriers, parce que tout ce qui l’intéresse, c’est les habitants des quartiers qui sont tous islamistes (parce que quand il dit « islam politique », c’est ça qu’il dit). Qu’il puisse y avoir des ouvriers musulmans et des habitants des quartiers athées ou d’une autre religion que l’islam ne lui a sans doute jamais traversé l’esprit ; que les habitants de banlieue réclament seulement le droit de ne pas être traités comme des sous-citoyens de la République française non plus. Bref : Bobo fait comme l’extrême droite et comme les islamistes, il parle comme Le Pen et Al Qaïda : il essaie d’assigner nos compatriotes musulmans à l’islamisme et de les reléguer hors des frontières de la République. Ce qui est anti-républicain, ce sont les propos de Bobo qui segmente le peuple français en raison du métier, du lieu d’habitation, de l’origine ou de la religion, car c’est bien ce qu’il fait quand il lance ces affirmations. Mais moi, je n’ai jamais entendu Jean-Luc Mélenchon fixer un autre objectif que celui de l’unité du peuple, sans distinction d’origine, de couleur de peau, de genre, de religion, ou d’orientation sexuelle. Raison pour laquelle j’ai toujours entendu Jean-Luc Mélenchon lutter contre les discriminations quelles qu’elles soient. Pour lui, pour nous, il n’y a qu’un peuple, et tout l’enjeu pour obtenir la victoire est de faire en sorte que nos compatriotes arrêtent de se regarder en chiens de faïence sur la base de divisions stériles alimentées abondamment par l’extrême droite et les gens comme Nono et Bobo. Ces deux-là ne voient plus de peuple mais seulement une succession d’individus dès lors qu’ils voient dans la masse une couleur de peau ou une religion qui ne leur revient pas. Ils devraient aller faire un tour en banlieue, un jour, et parler avec les gens qu’ils méprisent. Ils se rendraient peut-être compte que les valeurs de la République sont bien mieux défendues par ceux qui n’ont que la fraternité pour faire vivre, comme on peut, avec les moyens du bord, la liberté et l’égalité. J’aurais beaucoup à dire sur le sujet, mais je vais m’en tenir à cela pour ne pas rallonger, car vous n’êtes pas au bout des idioties de Nono et Bobo.
Nono et Bobo ont peur d’une insurrection (et que Mélenchon prenne le pouvoir à cette occasion)
À la limite, Nono et Bobo s’en foutent un peu de l’islamisme. Non, ce qui les inquiète pour de vrai, c’est la Révolution. Ça, ça les fait vraiment flipper, Nono et Bobo. C’est même pour ça que Nono a fait un livre contre Mélenchon ! Il explique qu’il l’a écrit « Parce que (…) c’est maintenant qu’il faut s’y opposer avant que cela ne devienne incontrôlable. C’est un homme qui n’a plus de limites. Jean-Luc Mélenchon est prêt à tout pour arriver au pouvoir ou, du moins, pour créer une situation insurrectionnelle ». Un peu plus loin, il précise : « Jean-Luc Mélenchon et ses proches de La France insoumise sont des gens fascinés par la violence pour la violence. Robespierre est leur idole ». Mais comme toujours, c’est Bobo le cerveau de la bande, et qui nous explique la stratégie (accrochez-vous, c’est gratiné) : « Je pense que Jean-Luc Mélenchon a compris qu’il ne gagnerait jamais par les urnes, parce que la France qui vote se dresse contre lui, mais qu’il pouvait être au second tour face à Marine Le Pen et provoquer son élection. Une large victoire de Marine Le Pen aboutirait à créer ce climat insurrectionnel sur lequel il compte maintenant pour que ce choc entre les centre-villes et les banlieues, la France périphérique et la France des quartiers, provoque une véritable situation révolutionnaire, qui lui permettrait de prendre le pouvoir. C’est-à-dire, non d’accéder au pouvoir par les élections, mais prendre le pouvoir par le chaos ».
Bobo et Nono en sont convaincus : Jean-Luc Mélenchon prépare l’insurrection. Bien sûr tout ceci est stupide, puisque nous avons toujours prôné une « révolution citoyenne » ou une « insurrection civique » passant par les urnes et que nous avons toujours dit que nous ne partagions pas les stratégies violentes. Mais je dois dire que le scénario de Bobo m’a carrément fait rire. En fait, je suis persuadé qu’il y croit, c’est surtout ça qui me fait rire ! J’imagine ses sueurs froides le soir avant de se coucher chaque fois qu’il a vu la CGT brûler un pneu dans une grève. Mais Bobo lâche quand même une bombe sans le faire exprès : « la France qui vote se dresse contre [Mélenchon] ». Et la France qui ne vote pas ? Et si elle se dressait avec Mélenchon ? Terreur et consternation : justement, c’est la crainte de Bobo et Nono, sinon l’un et l’autre ne perdraient pas leur temps à écrire des bouquins contre Mélenchon ! Bobo et Nono ont peur de la mobilisation électorale. Ils ont vécu 2017 comme une alerte et 2022 comme une menace : entre les deux, Mélenchon a réduit l’écart avec Le Pen et failli l’éliminer du second tour. Et leur crainte absolue, c’est que Mélenchon refasse le coup en 2027 en passant devant Le Pen et en affrontant l’ectoplasme quelconque qui servira de remplaçant à Macron. Leur peur absolue, c’est que la France qui ne vote pas vote… et qu’elle vote Mélenchon. Voilà pourquoi ils ont si mal pris notre campagne d’inscription sur les listes électorales : « les riches votent, et vous ? ». Alors pour se rassurer, Nono et Bobo cherchent un remplaçant à Mélenchon. Et c’est notre pauvre camarade François Ruffin qui en fait les frais parce que pour se rassurer, Nono et Bobo lui crachent dessus : « Mélenchon a du charisme alors que Ruffin n’a que des narcissismes » nous dit Bobo ; « Il est beaucoup plus sympathique que Mélenchon, mais il n’a pas les épaules » nous dit Nono. Je m’amuse de tout cela : leur agressivité montre leur frousse. Leçon au passage pour les nôtres : être gentil ne sert à rien pour éviter les coups du système médiatique.
Bonus : Nono et Bobo, les Dupont et Dupond de l’Histoire de France
Je ne saurais terminer cette note sans vous parler de la manière dont Nono et Bobo parlent de l’Histoire de France. Après tout, c’est sur cette base qu’on m’a demandé de lire leur interview ! Parce qu’ils racontent n’importe quoi. Et que c’est amusant. Nono nous dit les choses avec gravité : « La République est une transcendance. Il est également utile de rappeler que nous avons des racines. Nous sommes comptables de ce passé, un passé glorieux, celui d’une grande nation, d’une grande civilisation, d’une grande culture. Nous sommes issus de cette longue Histoire, dont fait partie la monarchie. Il faut prendre en compte toute l’Histoire française, au lieu de la réduire à telle ou telle période. La République, ce n’est pas ce qu’en fait la France insoumise ». Pauvre Nono, perdu entre Zemmour et Mélenchon, perdu entre l’injonction contradictoire de défendre la République laïque (c’est Mélenchon) et la monarchie de droit divin (c’est Zemmour) alors que la première naît du rejet de la seconde et que ce rejet est tel qu’on invente non seulement un nouveau drapeau (bleu-blanc-rouge) mais aussi carrément un nouveau calendrier qu’on fait débuter au premier jour de la République.
Et d’ailleurs, le premier jour de la République, Bobo maîtrise mal. Il dit : « Jean-Luc Mélenchon fête la République le 20 septembre, c’est-à-dire celle de 1792, et pas le 4 septembre, c’est-à-dire celle de 1870. Pourquoi ? Parce que, pour lui, la Troisième République est souillée par le sang des Communards. Quelque chose s’est interrompu en France en mai 1871, dont il faut reprendre le cours ». Bobo ignore à l’évidence que le 20 septembre 1792 n’est pas la proclamation de la République mais la victoire de Valmy où les soldats français emportent la victoire. Bon, ça se fête aussi hein ! Mais la monarchie est abolie le lendemain, 21 septembre, par la Convention, et c’est généralement cette date que nous choisissons pour fêter la République (comme nous l’avons fait encore l’année dernière avec ma camarade Danièle Obono dans le quartier populaire du Bois des Roches à Saint-Michel-sur-Orge). On décide dès lors de dater tous les actes de l’an I de la République française, et le calendrier républicain débute ainsi officiellement le 22 septembre 1792. Mais attendez, ce n’est pas fini ! Car Bobo accuse Mélenchon de préparer l’insurrection et, d’une certaine manière, de ne pas s’inscrire dans des institutions. Or choisir la date du 4 septembre 1870 pour la IIIe République, c’est choisir une date insurrectionnelle : après la défaite de Sedan, quand la nouvelle est connue à Paris, le palais Bourbon est envahi et Gambetta proclame la République depuis l’Hôtel de Ville de Paris. La Première République naît d’une victoire militaire du peuple français ; la Troisième République naît d’une défaite militaire de l’empereur.
Alors choisir le 4 septembre, ça me va : d’abord parce que c’est mon anniversaire, et ensuite parce que je n’ai pas de problème avec les insurrections populaires républicaines, d’autant que celle-ci se passe sans coup de feu. Mais Bobo serait plus inspiré de parler du 30 janvier 1875 où la République a, de fait, été votée pour la première fois après le 4 septembre, à l’occasion du vote sur l’amendement Wallon qui précisait que le président était « président de la République ». Cela n’avait jusqu’alors pas été précisé, en effet – l’Assemblée étant alors à majorité monarchiste. Pour la petite histoire dans la grande, l’amendement passa à une voix seulement ! Signe que le régime républicain avait encore besoin d’être affermi. La défense par Henri Wallon de son amendement est savoureuse : « Ma conclusion, messieurs, c’est qu’il faut sortir du provisoire. Si la monarchie est possible, si vous pouvez montrer qu’elle est acceptable, proposez-la. Mais il ne dépend pas malheureusement de vous, ici présents, de la rendre acceptable. Que si, au contraire, elle ne paraît pas possible, eh bien, je ne vous dis pas : Proclamez la République !… mais je vous dis : Constituez le gouvernement qui se trouve maintenant établi et qui est le gouvernement de la République ! Je ne vous demande pas de le déclarer définitif. Qu’est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire ». On voit qu’on est dans le domaine du calme et du tranquille qui plaît normalement à Bobo ; je m’étonne donc qu’il choisisse la date insurrectionnelle plutôt que la date institutionnelle…
Mais, Bobo n’a pas tort quand il dit que la IIIe République est souillée par la semaine sanglante et l’assassinat par Adolphe Thiers et les Versaillais de 10 à 20 000 Communards en quelques jours. Il faut lire les récits de l’époque racontant qu’il y avait tellement de morts que la Seine était rougie de leur sang et que, partout où il y avait de la terre à l’air libre, on y avait enterré des cadavres. Paris est construite sur ce charnier, et si l’on creuse un peu dans le sol, on peut trouver ici où là les ancêtres politiques des insoumis. Sous les pavés, la plage ; sous la plage, les camarades qui se sont battus pour la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Oui, je l’affirme sans souci : je préfère la Commune de Paris à l’Assemblée de Versailles et je préfère Louise Michel à Adolphe Thiers ! Et, pour faire plaisir à Bobo : je préfère bien la Première République qui abolit l’esclavage et fait de tous des citoyens à la Troisième qui déploie la colonisation et le régime juridique qui invente des sous-citoyens en Algérie avec le Code de l’indigénat. Est-ce à dire que tout est à jeter dans la Troisième et tout à embrasser dans la Première ? Non, bien sûr que non.
Un peu de philosophie politique et républicaine ne fera pas de mal pour conclure. L’Histoire est plus complexe que le monde en noir et blanc de Bobo et Nono. Il y a le Jules Ferry de l’école gratuite, laïque et obligatoire et le Jules Ferry qui justifie la colonisation par le racisme dans un discours du 28 juillet 1885 : « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Ça, c’est Ferry. Et c’est la honte. Bobo et Nono diraient sans doute que ce n’était pas la même époque, qu’il ne faut pas juger le passé avec les yeux du présent, etc., mais il se trouve qu’on avait déjà eu les mêmes débats un siècle plus tôt et que la question de la couleur de peau comme point de départ d’une inégalité juridique avait été tranchée par la Ière République au moment de l’abolition de l’esclavage, obtenue par les luttes de libération des personnes placées en esclavage. Oui, je préfère la Ière République qui abolit l’esclavage au nom de l’égalité humaine à la IIIème qui justifie la colonisation par l’inégalité en raison de la couleur de peau ! Je préfère la République antiraciste à la République raciste, même si Nono et Bobo me diront que c’est anachronique d’utiliser ces mots. Mais voici Julien Maigne qui parle pour moi en 1885 et qui interrompt le discours raciste de Jules Ferry en lui disant : « Oh ! Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme ! ». Ce jour-là, la République c’est Maigne, pas Ferry !
Alors oui, Nono a raison de dire que la République est une transcendance. Et le travail que doivent faire les républicains convaincus, c’est d’en embrasser toute l’Histoire avec ses complexités, ses erreurs et même ses fautes morales, mais en se donnant l’objectif d’en tirer le meilleur et de juger sans ménagement le mauvais à partir du bon. On peut et on doit regarder avec lucidité la IIIe République comme une république coloniale, c’est-à-dire trahissant les principes républicains proclamés dès la Révolution de 1789 ; on peut et on doit dire que la Ière République se fourvoie en ne donnant pas le droit de vote aux femmes alors que des contemporains le défendaient tant sur le plan philosophique que politique. Partout, à chaque étape, si l’on se donne un peu la peine de chercher, il y a eu des gens pour défendre la position qui aurait été la meilleure version de la République. Avec Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, nous ne faisons pas autre chose aujourd’hui. Notre objectif, c’est la République jusqu’au bout, c’est-à-dire la République pour tous et partout. La République démocratique, sociale, écologiste, laïque, féministe, antiraciste et qui lutte contre toutes les formes de discrimination.
Alors, puisque Bobo nous invite à embrasser Jaurès, voici ce que nous avons à lui répondre. Avec Jaurès, nous disons que « la Révolution a fait du Français un roi dans la cité et l’a laissé serf dans l’entreprise » et nous voulons augmenter le pouvoir des salariés dans l’entreprise ; avec Jaurès, nous disons que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » et nous voulons à la fois la paix et la fin du capitalisme. Et puisque Nono qui veut nous faire abjurer Robespierre ne l’a toujours pas compris, avec Jaurès nous disons « Je ne veux pas faire à tous ces combattants qui m’interpellent une réponse évasive, hypocrite et poltronne. Je leur dis : ici, sous ce soleil de juin 93 qui échauffe votre âpre bataille, je suis avec Robespierre et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins. (…) Réveiller Robespierre, c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République, et avec eux le peuple qui, autrefois, n’écoutait et ne suivait qu’eux. Rendons à sa mémoire son tribut légitime ; tous ses disciples se relèvent et bientôt ils triomphent. Le robespierrisme atterre de nouveau toutes les factions. Le robespierrisme ne ressemble à aucune d’elles ; il n’est ni factice ni limité. Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante et naturellement dans le peuple. La raison en est simple : c’est que le robespierrisme, c’est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques. Donc, en relevant le robespierrisme, vous êtes sûrs de relever la démocratie. »
Cheh.