Avec sa campagne d’inscription sur les listes électorales, la France insoumise a commis l’impardonnable pour la bourgeoisie politico-médiatique : le crime de lèse-éditorialiste. Ne riez pas : c’est très grave pour tout un tas de gens qui voient s’effondrer autour d’eux-mêmes leur petit monde nombriliste construit autour de leur miroir. Comment ? La terre entière ne les vénère pas et ne se prosterne pas devant leur magnificence ? Quoi ? Il y a des gens qui les critiquent et ne respectent pas leur sacro-sainte position de pouvoir culturel chèrement acquise après des années à faire les paillassons des pouvoirs politiques successifs ? Plaît-il ? Il y a une foultitude de gens qui se moquent d’eux et qui trouvent ridicules leurs indignations corporatistes ? Qu’entends-je ? Il y en a même qui en rajoutent et qui n’obéissent plus au fouet des condamnations formulées depuis le confort bourgeois des plateaux télé du Sud-Ouest de Paris ?
Pour ceux qui n’auraient pas suivi, je vous résume en quelques mots. Il y a trois semaines, la France insoumise a lancé une campagne d’inscription sur les listes électorales avec trois affiches : « Les riches votent, et vous ? », « Les racistes votent, et vous ? », « Les golfeurs votent, et vous ? ». L’indignation des golfeurs, choqués d’être accusés de voter (c’est vrai, c’est très grave) avait permis de faire qu’on parle de cette campagne sur les plateaux télé. Mais tout a basculé quand la France insoumise est passé à une nouvelle étape de sa campagne avec des visuels pour les réseaux sociaux gravissimes pour quelques éditorialistes (Nathalie Saint-Cricq, Christophe Barbier, Pascal Praud…), eux aussi accusés de… voter – des mots durs, insoutenables même. Voyez plutôt ces visuels :
Il n’en fallait pas plus pour que toute la bourgeoisie médiatique s’indigne. Ce qu’il y a de bien avec le monde médiatique, c’est qu’il est prévisible. Ses réflexes corporatistes sont aussi mécaniques qu’une montre suisse. Et son nombrilisme est un outil d’une grande utilité pour qui ne respecte pas les monstres sacrés de la télé : on peut leur tendre des pièges en sachant par avance qu’ils sauteront dedans à pieds joints. C’est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en avant quelques éditorialistes (pas « journalistes », éditorialistes, c’est-à-dire militants politiques déguisés en personnes neutres et objectives). Et bingo ! Ça n’a pas loupé : ils sont tombés dans le panneau. Comme des bleus. Ils ont même été soutenus par Éric Ciotti, ce qui a encore augmenté le caractère ridicule de toute cette petite caste qui ne supporte pas qu’on touche à son image. La réponse de la France insoumise a été excellente : « Pas de jaloux ! » avec un petit visuel bonus pour le chef de LR.
Éditorialistes ou journalistes : opinion ou information ?
L’humour. Voilà une arme désarmante. Mettez-vous à la place de cette bourgeoisie politico-médiatique qui ne pense qu’à sa respectabilité dans la bonne société. Ces visuels inoffensifs choquent ceux qui sont pourtant présentés comme des modèles de civisme. En effet, dire « Nathalie Saint-Cricq vote, et vous ? », ce n’est pas l’insulter, sauf à considérer que « vote » soit un gros mot. Et pourtant… ils s’indignent ! Et ce faisant, ils se ridiculisent. Jusqu’à une plainte de Delphine Ernotte, présidente de France télévision, contre la France insoumise, sans doute sur le fondement de l’accusation en civisme, punie par un article du code pénal qu’il reste encore à écrire car je doute qu’il existe. Et plus ils agitent le fouet, plus ils bougent leurs petits bras impuissants pour nous faire taire, plus ils nous motivent à nous moquer d’eux encore et encore, et à publier de nouveaux visuels. Que voulez-vous : les insoumis sont facétieux et… insoumis ! Les nouveaux chiens de garde sont peut-être tenus en laisse mais pas nous.
Au global, nous faisons donc d’une pierre deux coups : d’une part, tout le monde parle de l’inscription sur les listes électorales ; d’autre part, les éditorialistes se ridiculisent en se défendant contre une non-attaque. Or leur pouvoir d’influence politique ne tient que parce qu’ils sont pris au sérieux. Ils sont comme les épouvantards dans Harry Potter : si vous riez d’eux plutôt que de les croire, alors ils n’ont plus de pouvoir. Et c’est ce qu’ils craignent par-dessus tout : ne plus être rien d’autre que des militants politiques démasqués derrière leur déguisement de prétendus journalistes neutres et objectifs.
Soyons clairs : le système médiatique tel qu’il existe aujourd’hui (et en particulier le système de l’information en continu sur les chaînes télé) n’est plus un outil qui permet de développer une pensée critique : il est un outil de bourrage de crâne. Et, oui, ceux qui participent au bourrage de crâne sous le nom commode d’« éditorialistes politiques » agissent comme des militants politiques déguisés. Pour une raison simple : ils donnent leur avis politique avec les apparences de la neutralité et de l’objectivité. Ou, pour le dire avec plus de précision : il font passer pour une information ce qui n’est qu’une opinion. Et c’est la raison pour laquelle les journalistes de terrain les détestent souvent profondément : parce qu’ils donnent une très mauvaise image du métier, les uns étant injustement amalgamés aux autres. Je ne compte plus les journalistes reporters d’images, journalistes preneurs de son, journalistes papier qui m’ont dit à leur propos : « non, mais ça, ce n’est pas du journalisme ». Car ensuite ce sont eux, sur le terrain, avec leurs caméras, leurs micros ou leurs stylos, qui subissent parfois les insultes ou, pire, les agressions de ceux qui ne supportent plus le système médiatique. Je le dis à ceux qui me lisent : ne vous en prenez pas aux journalistes de terrain pour les propos tenus sur la chaîne pour laquelle ils travaillent ; ils sont tout aussi précaires que vous, parfois plus, et ils ne sont pas responsables de ce que disent sur les plateaux les éditorialistes payés une fortune pour faire de la propagande et non de l’information. Peut-être que, par souci de transparence, ceux qui se nomment « éditorialistes politiques » pourraient dire pour qui ils ont voté à la dernière élection, ou bien dire pour qui ils comptent voter à la suivante. Imaginez si les plateaux étaient remplis d’éditorialistes politiques uniquement macronistes, ce serait grave pour le pluralisme, non ?
La pente lepéniste du système médiatique
Le monde médiatique moderne n’est pas en-dehors du monde économique qui l’entoure. Il obéit aux mêmes règles. Les rapports de classe le traversent. Il y a les forts et les autres. Il y a la masse des travailleurs, des petites mains, de l’ingé son, du caméraman, des gens qui nettoient le plateau, font le café, invitent les participants aux plateaux, commandent les taxis, s’assurent que tout va rouler pour l’émission. Et puis il y a les profiteurs, les oisifs, ceux qui viennent déblatérer leur haine de classe et qui sont payés cher pour le faire. Veulent-ils que les insoumis arrivent au pouvoir ? Non, bien sûr. Ils relaient les accusations infondées contre nous sans jamais les démentir. Puis ils les font tourner en boucle et demandent des commentaires à d’autres qui vont aller encore plus loin dans l’insulte contre nous. Ils demandent aux journalistes de terrain des sujets anxiogènes sur l’insécurité et l’immigration, puis ils commentent avec délectation les sondages sur Bardella et Le Pen. Bref, rien n’a changé depuis le « Sur La Télévision » de Pierre Bourdieu. Voici ce qu’il disait en 1996 :
« Il arrive aussi que des journalistes, faute de garder la distance nécessaire à la réflexion, jouent le rôle du pompier incendiaire. Ils peuvent contribuer à créer l’événement, en montant en épingle un fait divers (un assassinat d’un jeune français par un autre jeune tout aussi français mais « d’origine africaine ») pour ensuite dénoncer ceux qui viennent mettre de l’huile sur le feu qu’ils avaient eux-mêmes allumé, c’est-à-dire le FN, qui, évidemment, exploite ou tente d’exploiter « l’émotion suscitée par l’événement », comme disent les journaux mêmes qui l’ont créé en le mettant à la une, en le rabâchant au début de tous les journaux télévisés, etc. ; et qui peuvent s’assurer ensuite un profit de vertu, de belle âme humaniste, en dénonçant à grands cris et en condamnant sentencieusement l’intervention raciste de celui qu’ils ont contribué à faire et à qui ils continuent à offrir ses plus beaux instruments de manipulation. »
J’ai dit « rien n’a changé », mais je crois malheureusement que si. Car la méthode reste la même mais, à la différence d’il y a 30 ans, les indignations des éditorialistes politiques face aux forces politiques d’extrême droite n’existent plus. Les médias nourrissent toujours la bête brune, mais c’est devenu leur chien de compagnie. À force de le caresser dans le sens du poil, ils ont fini par le prendre en affection. Voilà où nous en sommes et voilà pourquoi l’ennemi public numéro 1, c’est l’insoumis, car il empêche d’éditorialiser en rond sur le match Le Pen / Macron qu’il leur faut installer de force après les 22% de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Lui, on peut le traiter de tous les noms (« ami de Poutine », « porte-parole du Hamas », « islamo-gauchiste », « ami des terroristes », « antisémite », etc.), après tout c’est normal, il l’a bien cherché : il a failli être au deuxième tour et gâcher la fête des bourgeois. Impardonnable.
Leurs indignations sont à géométrie variable
Regardez comme leurs indignations sont à géométrie variable. On dit qu’un éditorialiste vote ? Attaque inqualifiable ! Mais nous, alors ? Les insoumis sont victimes d’une campagne de Marion Maréchal qui les traite de « poison islamogauchiste », photos de plusieurs dirigeants insoumis à l’appui (Mathilde Panot, Jean-Luc Mélenchon, Danièle Obono), accompagnés de Médine. Où sont les indignations des mêmes qui s’indignent qu’on puisse dire qu’ils votent ? « Voter » serait une insulte mais pas « poison islamogauchiste » ? On nous menace de mort régulièrement, et ce n’est pas une incitation à la haine ? Deux personnes d’extrême droite ont été condamnées à 9 et 18 ans de prison ferme parce qu’elles projetaient un attentat contre Jean-Luc Mélenchon, mais les attaques contre lui ne sont pas grave ? Imaginez si un tel projet d’attentat avait visé Macron ou Le Pen. Combien de temps en aurait-on parlé sur les plateaux télé ? Mais avez-vous seulement entendu parler de cette sombre histoire ? Les articles sur le sujet ne mentionnent même pas Mélenchon dans leur titre. Oh, oui : le monde a bien changé en 30 ans. Si Bourdieu tenait les mêmes propos aujourd’hui sur le monde médiatique, on l’accuserait d’être un ennemi de la liberté de la presse. Parce que les éditocrates qui gouvernent les médias ont oublié que la liberté de la presse implique, avec elle, celle de critiquer la presse. Et nos visuels ne sont pas violents, ils ne sont même pas des attaques ; ils contiennent, c’est vrai, une critique implicite du rôle militant déguisé de certains éditorialistes politiques, mais rien de plus. Et alors ? Est-ce encore autorisé dans ce pays de ne pas être d’accord avec un éditorialiste et de le sous-entendre avec humour ? Ou bien seules la vénération et la prosternation sont-elles désormais autorisées ?
Rendez-vous compte du niveau de déconnexion où en est arrivé ce système médiatique. 30.000 morts à Gaza, une armée coloniale qui tire dans une foule de gens affamés qui se précipitent vers de l’aide humanitaire, mais LE sujet à traiter c’est « Nathalie Saint-Cricq vote ». Sous nos yeux se déroule un meurtre de masse, de femmes, d’enfants, de civils, mais quelqu’un a touché un cheveu de Pascal Praud. Le droit international est envoyé à l’abîme Netanyahu, mais on s’est moqué de Christophe Barbier qui avait de toute façon mieux à faire que de parler de ce drame. Leurs indignations bourgeoises sont nombrilistes et à géométrie variable. Oui, les éditorialistes politiques sont une partie du problème posé au monde de l’information. Et oui, on a le droit et même le devoir de combattre cet état de fait, comme républicains convaincus que l’école et la presse doivent être les deux piliers de la pensée critique pour les citoyens de notre pays.
Mais voici la victoire insoumise contre tous ces gens : ils sont tombés dans notre piège. D’abord parce qu’on n’a jamais autant parlé de l’inscription sur les listes électorales ; ensuite parce qu’en s’indignant pour rien, ils ont participé de leur auto-ridiculisation qui est l’arme la plus efficace pour leur faire perdre leur pouvoir d’influence sur les cerveaux. Oui, les éditorialistes sont des épouvantards. Riez d’eux et ils reculent dans la boîte d’où ils sont sortis. Ridiculus !
En attendant, voici l’important. Le 9 juin ont lieu les élections européennes et c’est un enjeu majeur pour la vie démocratique de notre pays que tout le monde puisse voter. Car la non-inscription et la mal-inscription sur les listes électorales touchent, au total, environ 10 millions de personnes dans notre pays. Ce sont les jeunes et les classes populaires qui sont le plus concernés par ce phénomène. Leur non-participation aux élections intermédiaires constitue une nouvelle forme de vote censitaire, c’est à dire de vote réservé aux riches. Le système politique et économique a intérêt à ce que l’abstention soit forte. Car une abstention forte signifie un paysage politique constitué autour de Le Pen et Macron, c’est-à-dire autour de l’extrême droite et de la droite extrême. On peut casser ce duo infernal. À condition de s’en donner les moyens. Pour cela, vérifiez votre inscription sur les listes électorales ! Et si vous vous rendez compte que vous n’êtes pas inscrit ou que vous êtes mal-inscrit (c’est à dire : pas inscrit dans la ville où vous vous trouverez le 9 juin), inscrivez-vous ! L’occasion nous est donnée d’obtenir une victoire contre Macron et Le Pen dans une élection nationale. Il faut la saisir. Ne laissez pas faire le scénario écrit d’avance de la bourgeoisie. Ne laissez pas les prophéties auto-réalisatrices aller à leur terme. Cassez la baraque : inscrivez-vous et, le 9 juin, votez ! Votez ! Votez ! Ce n’est pas une insulte : c’est une méthode de combat. La bourgeoisie s’en sert, et vous ?