Bernard Arnault et Maximilien Robespierre

Nicolas, Robespierre et Bernard Arnault : réponse à Sarah Knafo

Madame Knafo, 

Vous m’interpellez de nouveau sur X après que je vous ai assimilés,  Bernard Arnault et vous-mêmes, à la noblesse et au clergé vivant sur le dos du Tiers-État. J’ai pour cela utilisé une image de la Révolution française que vous aviez vous-mêmes utilisée il y a quelques jours et que j’avais une première fois retournée contre vous – faisant référence à votre salaire mirobolant versé par le parti Reconquête lorsque c’est lui qui vous rémunérait (près de 80 000 euros nets par an).

Je vous réponds donc ici, ne payant pas l’abonnement de X qui permet d’y publier des longs messages mais n’aimant pas laisser sans réponse une interpellation directe. 

Vous commencez la faute dès le quatrième mot de votre interpellation : « Très bien, Antoine Robespierre ». Car sans le vouloir, vous me donnez à la fois le point et un bon fil conducteur. En effet, Maximilien Robespierre était non seulement un député du Tiers-État qui s’est battu contre les privilèges de la noblesse et du clergé, mais aussi pour le droit à l’existence des plus pauvres par la limitation de la propriété des plus riches, ce qui en fait la figure idéale pour vous répondre ! Et vous verrez d’ailleurs à la fin de ma réponse combien ses mots sonnent juste, encore aujourd’hui, puisque je conclurai par les siens. 

Bien sûr, je sais que vous utilisez son nom pour me flétrir. Bien sûr, je sais aussi que nombre de mes lecteurs s’arrêteront à son nom en ne comprenant pas pourquoi je m’en revendique malgré la diabolisation dont il fait toujours l’objet plus de deux siècles après sa mort. J’invite ceux qui pensent cela à se procurer l’excellent Robespierre : La Fabrication d’un monstre de l’historien Jean-Clément Martin. Et pour ceux qui ne voudraient ou ne pourraient se procurer ce livre, je redirige vers ce petit discours que j’ai fait à son hommage annuel que nous faisons à Arras où il est né. Et pour ceux qui ont un peu plus de temps, vers cette série de Blast (épisode 1 et épisode 2) qui participe de beaucoup à la réhabilitation de cet homme. On ne peut se dire « patriote » et ne pas défendre ceux qui ont fait, par leur action résolue, la Révolution qui nous a donné notre drapeau, notre devise et notre hymne. Robespierre, « l’Incorruptible », était de ceux-là. Et avec Jean Ferrat, je vous dis d’abord qu’« elle répond toujours du nom de Robespierre, ma France ». 

Ceci posé, vous m’interrogez d’une manière caricaturale. Et pour ne rien enlever de la faiblesse de votre raisonnement, je le livre en entier : « La fortune de Bernard Arnault est estimée à 150 milliards d’euros. Admettons qu’il soit possible de tout lui confisquer. Mélenchon arrive au pouvoir et lui prend tout. Et après ? Cela ne permettrait même pas d’absorber notre déficit public de l’année (170 milliards d’euros). Et l’année d’après ? Nous aurons toujours 3 300 milliards d’euros de dette et toujours 170 milliards de déficit. Sauf que cette fois, il n’y aura plus le groupe LVMH et ses 4 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles, ses 40 000 emplois directs et ses 200 000 emplois indirects en France. Car contrairement à ce que vous affirmez, Bernard Arnault ne vit pas sur le dos de Nicolas : il est un super Nicolas. Il est sans doute le premier contribuable de France. LVMH réalise seulement 8% de son chiffre d’affaires dans l’Hexagone, alors qu’il y paye plus de 40% de ses impôts. C’est le contraire de l’évasion fiscale. Alors, une fois que vous lui aurez tout pris, qui payera à sa place ? Je vous connais : vous vous attaquerez aux fortunes suivantes. Vincent Bolloré, François Pinault, Xavier Niel. Même pas de quoi financer un seul trimestre de notre déficit abyssal. Avec de telles méthodes spoliatrices, ils seront même sans doute déjà partis. Et là, que ferez-vous ? Vous les empêcherez de partir et vous les guillotinerez, comme l’a fait votre héros Robespierre ? ». 

Prenons les choses dans l’ordre. D’abord, d’où vient une telle attaque ? Du fait que j’ai signalé que Bernard Arnault, comme les 144 autres milliardaires de notre pays, ne payait pas sa juste part d’impôts (à commencer par votre ami idéologique, monsieur Stérin, exilé fiscal en Belgique pour sa fortune personnelle et en Irlande pour celle de son entreprise), et que cet égoïsme faisait reposer la charge fiscale sur tous les autres. C’est d’ailleurs tout l’objet de la figure de « Nicolas » que vous chérissez tant et que je n’utilise que pour vous mettre face à vos contradictions. Car Nicolas n’existe pas. Ou, pour dire les choses de manière tout à fait exacte : Nicolas est une invention dont l’objectif est de remplir une fonction politique. Quelle est-elle ? Solidariser les classes populaires et moyennes avec les classes aisées et les ultrariches. Soit exactement ce que vous faites ici en qualifiant monsieur Arnault de « super Nicolas ». Et ce faisant, vous commettez l’erreur qu’il ne fallait pas faire : vous rétablissez le rapport de classe que la figure de « Nicolas » est censée faire disparaître. Deuxième faute. 

Je sais que vous n’appréciez pas beaucoup quand on vous qualifie de « fasciste ». Vous êtes pourtant, malgré cette faute stratégique de l’emploi de l’expression « super Nicolas », dans la tradition la plus parfaite de la fonction politique du fascime : invisibiliser les rapports de classes (les inégalités entre les plus hauts revenus et les plus faibles) et les remplacer par des divisions à l’intérieur des classes populaires (raison pour laquelle vous ciblez, à tour de rôle, les immigrés ou ceux qui bénéficient de la solidarité nationale). L’effet recherché est d’essayer de faire penser aux classes populaires qu’elles s’en sortiraient mieux sans impôts, sans taxes, bref : sans un État décrit comme spoliateur au lieu d’être redistributif. Et voici qu’on parle de la feuille de paye, du salaire « brut » face au salaire « net », des « charges » des entreprises (qui sont des cotisations), de combien coûteraient les courses sans la TVA et de combien on paierait l’essence sans la TICPE. Et voici que chacun s’imagine avec son salaire brut devenu son salaire net, mais comme si rien ne changeait à côté. 

Pourtant, tout changerait. Il faudrait payer l’école à ses enfants. Coût mensuel pour la maternelle et l’école primaire : 704€ ; pour le collège et le lycée : 943€ ; pour l’enseignement supérieur : 1088€. Il faudrait payer ses opérations quand on irait à l’hôpital : 1000€ pour une appendicite, 2000€ pour un accouchement, 4000€ pour une hospitalisation de 5 jours, 10.000€ pour 25 séances de chimiothérapie, 60.000€ par an pour les personnes dialysées. Il faudrait payer pour utiliser les routes, comme on paye les autoroutes depuis qu’elles sont privatisées. Il faudrait payer une intervention des pompiers en cas d’incendie chez soi. Bref : il faudrait payer beaucoup de choses que nous ne payons pas (ou peu) aujourd’hui, et comme la dépense serait la même pour tous, ceux qui gagnent le moins seraient les plus pénalisés tandis que ceux qui gagnent le plus seraient les plus avantagés.

Et voici comment on solidarise les classes populaires avec les classes les plus aisées : on rend invisible ce que je viens d’énoncer. Car oui, aujourd’hui, les riches paient plus cher que les pauvres. Enfin… pas tout à fait ! Et c’est bien là le cœur du problème ! Car l’impôt est dégressif sur les plus hauts revenus, si bien que selon une étude de l’Institut des politiques publiques « L’ensemble des impôts personnels reste progressif jusqu’au top 0,1 % de revenu, mais il devient fortement régressif passé ce niveau, jusqu’à ne représenter plus que 2 % du revenu économique parmi les 378 ménages les plus aisés ». Et voilà comment on peut rester un très gros contributeur au budget de l’État quand on figure parmi les plus riches de la population française… tout en ne contribuant pas à sa juste mesure. Pour rappel, sur les données de 2016 qu’utilise cette étude, le seuil d’entrée dans la tranche des 378 ménages les plus aisés correspondait à 150 millions d’euros de revenu annuel et la moyenne de cette tranche à 634,5 millions d’euros de revenu annuel. Je ne classerais pas ces individus dans ceux qui sont à plaindre et je pense qu’il serait normal qu’ils contribuent à leur juste part à l’impôt. Cela d’autant plus que, par rapport à 2016, les écarts de richesse se sont encore creusés. 

Parfois, j’entend un « argument » nous être opposé : « mais les 1% les plus riches contribuent déjà à 25% de l’impôt sur le revenu, c’est injuste ». Caliméro n’a qu’à bien se tenir ! Encore une fois, cet « argument » vise à rendre invisibles les rapports de classes. Par deux moyens. Le premier, c’est de donner un sentiment d’inégalité, comme s’il fallait, au final, que les 1% les plus riches contribuent à 1% de l’impôt sur le revenu. Le deuxième, et le plus important, c’est que l’impôt sur le revenu n’est pas la seule source de recettes pour l’État, la TVA l’ayant même dépassée ! TVA dont les plus pauvres s’acquittent, à l’inverse de l’impôt sur le revenu, plus fortement que les plus riches en proportion de leurs revenus ! TVA qui permet d’organiser un véritable CAMBRIOLAGE du peuple au service des plus riches, comme l’a parfaitement expliqué mon camarade David Guiraud à la tribune de l’Assemblée nationale. J’ajoute à ce tableau les récents travaux de la commission d’enquête parlementaire du Sénat dont Fabien Gay était le rapporteur et qui a démontré que 211 milliards d’euros partaient chaque année en cadeaux fiscaux et aides aux entreprises, ce qui en fait de loin le premier poste de dépense publique. 

Tout ceci étant dit, je réponds donc à la question que vous me posiez, madame Knafo. Si on expropriait Bernard Arnault, son entreprise ne disparaîtrait pas : elle serait nationalisée. Mais je ne vois pas bien l’intérêt de nationaliser une entreprise dont la production n’est pas indispensable à la vie du pays. J’y vois plus d’intérêt pour ce qui concerne le secteur bancaire, de l’alimentation, de l’énergie, des transports ou, d’une manière générale, de ce qui a trait à des services ou des productions indispensables à la vie du pays et des honnêtes citoyens, mais c’est un autre sujet. Et ce n’est même pas ce que nous proposons dans notre programme, quoique nous proposions, par exemple, un pôle public de l’énergie et un pôle public du médicament, l’un et l’autre permettant de sortir ces biens essentiels des mains du marché et de permettre à nos compatriotes comme à la Sécurité sociale ou aux entreprises et collectivités territoriales de faire bien des économies.

Non, ce que je dis, c’est qu’il faut mieux répartir l’effort à tous les niveaux. Raison pour laquelle nous proposons avec mon mouvement de la France insoumise une véritable révolution fiscale pour financer à leur juste mesure nos services publics et permettre à chacun de vivre dignement quel que soit son niveau de revenus. D’abord en faisant 14 tranches d’impôt sur le revenu au lieu de 5 pour le rendre réellement progressif ; ensuite en rendant la CSG progressive. Cela permettra que tous ceux qui gagnent moins de 4000€ par mois paient moins d’impôts (et les autres, vous et moi inclus donc, en paieront davantage). Mais nous voulons aussi revoir complètement l’impôt sur les sociétés pour le rendre, lui aussi, progressif, et mettre en place par ailleurs une caisse de solidarité inter-entreprises pour le paiement des cotisations afin que les plus grandes en paient davantage que les plus petites. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un tel niveau d’aberration que les exonérations de cotisations sont faites sur des emplois non-délocalisables au motif d’empêcher… les délocalisations. Enfin, il faudra que chacun paie là où il réalise effectivement ses bénéfices, car il n’est pas admissible que, par des jeux comptables, les grandes entreprises paient in fine moins d’impôts que les plus petites. Il faudra aussi imposer davantage les très gros héritages, remettre en place l’ISF sur les valeurs mobilières, et mettre en place la taxe Zucman de 2% sur les patrimoines dépassant les 100 millions d’euros. Voilà comment on rétablit les finances publiques en ne pénalisant pas tout le monde mais en ciblant l’effort sur ceux qui ont le plus. Une dernière chose : l’augmentation des salaires (bruts !) est le meilleur moyen d’améliorer à la fois le niveau de vie de nos compatriotes, les recettes fiscales de l’État et de relancer l’activité économique des TPE-PME avec la consommation populaire. 

Madame Knafo, vous concluez votre interpellation en disant «c’est l’éternelle différence entre nous : vous voulez moins de riches, je veux moins de pauvres». Mais vous vous trompez triplement. Premièrement parce qu’en défendant les riches, vous affamez les pauvres. Deuxièmement parce que celui de nous deux qui veut moins de pauvres et propose un programme pour atteindre cet objectif, c’est moi. Troisièmement parce que je ne veux pas « moins de riches » mais simplement qu’ils soient moins égoïstes et qu’ils partagent davantage plutôt que d’accaparer une part croissante de la richesse nationale.

Au fond, nos débats nous ramènent deux siècles en arrière. Et à vos amis qui ont guillotiné les miens sans procès. Non pas pour arrêter la Terreur – car le tribunal révolutionnaire a continué pendant près d’un an après la mort de Robespierre. Mais pour empêcher que d’une République bourgeoise on parvienne à une République sociale qui mettrait en cause ce que Robespierre appelait à juste titre « l’aristocratie des riches ». Et voilà que nous y sommes ! Aujourd’hui, le système féodal et les privilèges de l’Ancien Régime ont été restaurés sous une autre forme : le peuple paie pour les profits des nouveaux aristocrates, ceux de l’argent. Aussi ne puis-je faire mieux que de conclure comme vous aviez commencé : avec Robespierre. Car je crois qu’il dit tout du débat qui oppose toujours, 230 ans plus tard, le camp des riches et le camp du peuple. Lisez. Et vous comprendrez vite pourquoi il fut assassiné. 

« Il n’est pas nécessaire que je puisse acheter de brillantes étoffes ; mais il faut que je sois assez riche pour acheter du pain, pour moi et pour mes enfants. Le négociant peut bien garder, dans ses magasins, les marchandises que le luxe et la vanité convoitent jusqu’à ce qu’il trouve le moment de les vendre au plus haut prix possible ; mais nul homme n’a le droit d’entasser des monceaux de blé, à côté de son semblable qui meurt de faim.

Quel est le premier objet de la société ? c’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? celui d’exister.

La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes.

Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle, et qui soit abandonné à l’industrie des commerçants. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n’est point un trafic, c’est un brigandage et un fratricide. »

Maximilien Robespierre, le 2 décembre 1793. 

Partager cet article

Newsletter

Pour recevoir des infos sur mon actualité ou mes déplacement en France, inscrivez-vous ici.

Les dernières vidéos

Retour en haut