Avec l’accord de la personne qui me l’a fait parvenir sur mon compte LinkedIn et après l’avoir anonymisé afin de ne pas la mettre, elle et sa famille, en difficulté, je partage avec vous ce témoignage d’une personne étrangère qui aime notre pays, respecte ses lois, a décidé d’y fonder une famille et qui pourtant a reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Je partage ce témoignage afin de montrer à ceux qui, à force d’être biberonnés à CNews, pensent que les étrangers sous OQTF sont des délinquants ou des criminels en puissance. La vérité est toute autre : selon une enquête du CEPII, 98,6% des personnes sous OQTF n’ont jamais commis aucun crime ou délit. Par ailleurs, et c’est ce que peu de gens savent, les OQTF sont des mesures administratives qui sont la plupart du temps injustes, et même parfois dûes à des erreurs de l’administration elle-même. C’est le cas ici. Et je remercie l’auteure de ce témoignage d’avoir accepté que je le partage avec vous. J’espère qu’il permettra à certains de comprendre les réalités humaines dont il s’agit quand ils parlent, de manière déshumanisante, « des OQTF ».
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Bonjour Antoine,
Je suis arrivée en France en 2018 comme étudiante en langue étrangère. J’ai obtenu en 2021 le diplôme DELF B2, ce qui m’a permis d’intégrer l’université. J’y ai suivi tout mon parcours en Community Management et Marketing jusqu’à l’obtention de mon diplôme en janvier 2023. Depuis mon arrivée, je travaille sans discontinuer comme nourrice à domicile, un métier que j’exerce toujours aujourd’hui et que j’aime profondément. Je suis aussi bénévole, membre du conseil d’administration de l’association *********.
En 2022, j’ai rencontré mon compagnon, fonctionnaire d’État. Après un an de vie commune, nous avons décidé de nous pacser en septembre 2023. À cette période, mon titre de séjour étudiant était encore valable jusqu’au 30 octobre 2024. Dès mars 2024, soit huit mois avant l’expiration, j’ai déposé sur Démarches Simplifiées une demande de changement de statut « vie privée et familiale » avec un dossier complet et conforme.
Malgré cette anticipation, la préfecture de Lyon m’a fixé un rendez-vous seulement pour le 19 novembre 2024. Lors de ce rendez-vous, l’agente nous a informés que notre dossier était « incomplet » en raison d’une prétendue nouvelle circulaire exigeant trois ans de vie commune pour les couples pacsés/mariés, alors que la réglementation officielle (site du gouvernement) indique bien un an. Après discussion, l’agente a finalement accepté de me délivrer un récépissé de six mois, jusqu’au 15 mai 2025, mais en maintenant le statut « étudiant ».
Entre-temps, mon compagnon était affecté à ********* pour une formation de trois mois. Avant son départ (fin avril), nous nous sommes déplacés deux fois devant la préfecture pour déposer des formulaires de contact, afin de solliciter des nouvelles de mon dossier. La réponse reçue fut simplement : « Dossier en cours d’instruction ». Nous avons suivi la procédure en envoyant une demande de renouvellement de récépissé par courrier postal, sans jamais recevoir de réponse.
Après l’expiration de mon récépissé, la situation est devenue angoissante. J’ai envoyé un e-mail à la préfecture, sans grand espoir, mais j’ai reçu une réponse lapidaire m’informant que je faisais l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français).
N’ayant jamais reçu de courrier officiel, je suis allée à La Poste pour vérifier : aucune lettre à mon nom. Avec mon avocate, nous avons introduit un recours contre un refus implicite, n’ayant toujours pas la moindre preuve formelle de cette OQTF.
J’ai finalement réussi à obtenir un rendez-vous à la préfecture de Lyon le 4 juillet 2025, en cochant par nécessité l’option « retrait de titre de séjour » sur la plateforme en ligne. Il s’agissait malheureusement de la seule manière d’obtenir un accès à ce service, qui reste autrement inaccessible, semblable à une forteresse pour les usagers en difficulté.
Ce jour-là, au guichet 32, la responsable de service m’a informée qu’une OQTF avait été émise contre moi le 22 mai 2025. Elle m’a expliqué que le courrier recommandé n’avait pas pu être distribué, au motif que « personne portant mon nom n’avait été identifiée à mon adresse » (adresse pourtant exacte : ************************************). Lorsque j’ai demandé à consulter la copie de l’OQTF, ainsi que le numéro de suivi postal et le justificatif de retour de La Poste, ces documents m’ont été refusés sans explication.
Sous le choc et profondément désemparée en quittant la préfecture, j’ai envoyé un e-mail au service des étrangers afin de garder une trace écrite de cet échange et de la situation aberrante dans laquelle je me retrouvais.
Cette fois, j’ai reçu la copie de l’OQTF ainsi que les documents postaux. À ma grande surprise, le bordereau de La Poste et l’enveloppe ne portaient ni mon nom, ni la bonne adresse, ce qui explique l’échec de la distribution. Pourtant, la préfecture considère la notification comme « réputée effectuée ».
Dans l’OQTF, il est écrit que je « n’ai aucun lien personnel ou familial en France » et que je « n’exerce pas d’activité professionnelle en lien avec mon diplôme ». Ces affirmations sont fausses. Je vis en couple avec un fonctionnaire d’État, qui, en tant qu’agent de la fonction publique, ne peut pas quitter la France. Cette situation renforce d’autant plus mes attaches solides et durables sur le territoire. De plus, je travaille sans interruption depuis 2018, je paie mes impôts, je suis diplômée d’une université française, et je n’ai jamais cessé de travailler, même lors de la pandémie ou face à des épreuves personnelles comme le décès de ma mère.
Cette OQTF injustifiée a eu des conséquences lourdes : angoisse permanente, blocage de nos projets d’achat immobilier, annulation de nos vacances en famille, et isolement affectif, mon compagnon étant à 500 km en formation. La préfecture a traité mon dossier avec une négligence inacceptable, sans considération pour ma situation réelle ni pour les documents fournis.
Aujourd’hui, bien que mon avocate ait pu faire un recours pour annuler l’OQTF, je reste en plein parcours administratif pour ma régularisation. Cette expérience m’a confrontée à une administration aveugle et inhumaine, qui, au lieu de protéger les personnes intégrées et respectueuses des lois, les plonge dans la précarité.