Robespierre contre Napoléon : qui est le vrai héros du drapeau tricolore ?

Et voilà, nous y sommes : le film « Napoléon », de Ridley Scott, est sorti au cinéma ce mercredi 22 novembre 2023. J’irai le voir évidemment avec délectation et j’espère ne pas être déçu, même si j’ai cru comprendre qu’il traitait beaucoup du Napoléon « privé » et pas du Napoléon « public », ce qui m’ennuie d’avance. Mais enfin… un Blockbuster américain sur ce monument français avec l’excellent Joachim Phoenix, je demande à voir ce que ça donne ! Et j’irai avec plaisir. 

J’attendais la sortie de ce film avec impatience. Non pas tant pour le voir que pour l’opportunité de débat historique qu’il offre. J’avais dit à mon équipe : « Quand ça sort, on lance le match : Robespierre contre Napoléon, qui défend le mieux la France du drapeau tricolore ? ». On devine que si je veux lancer le match, c’est que je suis du côté du challenger : Robespierre. D’ailleurs, je ne me fais pas d’illusions : il n’y a aucune chance que je gagne le match ! L’idolâtrie bonapartiste est bien trop forte dans le pays et la détestation robespierriste bien trop ancrée pour que je puisse renverser la balance à moi tout seul. Mais enfin, ce seront autant de graines semées chez ceux que j’aurai fait réfléchir. Et ce n’est jamais perdu pour la suite. 

C’est un ancien bonapartiste repenti qui vous écrit

Pour vous donner envie de lire cette note jusqu’au bout, je commence par dire à mes lecteurs qu’ils lisent les mots d’un ancien bonapartiste repenti ! Quoi ? Comment ? Le défenseur de Robespierre que je suis aurait épuisé ses premières amours historiques auprès de Napoléon ? Et bien oui. Comme toute personne de droite qui se respecte, – ce que j’étais à l’époque, – j’idolâtrais moi aussi Bonaparte. Il faut dire que ma jeunesse avait été bercée par le « Napoléon » d’Yves Simoneau, mini-série en quatre épisodes, avec notamment Christian Clavier et Gérard Depardieu, et qui dressait le portrait d’un Bonaparte audacieux, vainqueur quasi-permanent, déterminé, et pour le résumer en un mot : magnifique. 

Christian Clavier dans le « Napoléon » d'Yves Simoneau
Christian Clavier dans le « Napoléon » d’Yves Simoneau

Il est vrai qu’il y a, chez Napoléon, une forme de grandeur, jamais questionnée par ceux qui s’en font les thuriféraires. Moi-même, je peux vous raconter en détail le génie militaire qui préside à la bataille d’Austerlitz – et d’ailleurs, j’adore le faire… que mes amis politiques et mes amis tout court m’en excusent (et les seconds plus que les premiers puisqu’ils en ont déjà beaucoup soupé). C’est sans doute l’une des plus grandes victoires militaires françaises, et à la fois l’un des plus vastes mouvements de troupes (de Boulogne-sur-Mer à Austerlitz) et l’une des opérations stratégiques les mieux réalisées. Oui, assurément, il y a du génie là-dedans. Et tout concourt à la légende : la bataille qui se tient, hasard ou non, un an jour pour jour après le couronnement de l’Empereur ; l’immensité à la fois de la victoire de notre pays et de la déroute des monarchies d’Europe coalisées contre la France ; et jusqu’au Soleil lui-même qui se permet d’éclairer le champ de bataille au bon moment pour que l’effet de surprise soit total. Bref : tout y est, et c’est pour ça que c’est si facile d’en faire une légende capable de traverser les siècles. 

Il faut questionner ce qu’on trouve grand chez Napoléon Bonaparte

Mais qu’est-ce qu’on aime – quand on l’aime -, chez Napoléon, si on y réfléchit bien ? J’y réponds d’une formule dont on verra plus loin toute l’importance : « les combats et la gloire ». Ce qu’on aime d’abord, c’est un sentiment non pas national mais nationaliste : la France comme fin en soi. L’écrasement militaire d’un continent, le drapeau français qui flotte de Gibraltar à Varsovie, de Copenhague à Naples, de Brest à Belgrade. Ce qu’on aime, d’abord, c’est une puissance brute et brutale, c’est de s’imaginer la France en plus grand, de se dire qu’à ce moment-là, la France seule présidait, par la violence, aux destinées de l’Europe. Bref, pour le dire tel que je le pense aujourd’hui : c’est étrange, cruel et malsain. C’est la négation de la vie et de la mort, la négation de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes et c’est enfin, très largement une trahison de l’idéal français né de la Révolution de 1789, mais j’y reviendrai.

À ce moment-là de l’échange avec un bonapartiste (ou avec mon moi bonapartiste d’il y a quelques années), normalement, arrive la suite des arguments. « Mais Napoléon, ce n’est pas que la guerre ! C’est aussi le Code civil et le Cadastre ! ». Et c’est vrai. Mais c’est faux aussi. Car Bonaparte n’a pas fait germer ces deux idées dans son seul cerveau brillant : il a en réalité achevé des projets révolutionnaires jamais menés à leur terme mais dont les lois et décrets d’août et septembre 1791 posaient les bases. Napoléon a en réalité surtout bénéficié de la stabilité politique issue de son propre coup d’État pour mener ce projet jusqu’à son terme. Mais je ne nierai pas que ce sont deux vastes travaux révolutionnaires achevés par celui qui a aussi achevé la Révolution. 

Il y a bien sûr d’autres choses qui participent à la légende bonapartiste. À commencer par ce que Napoléon a lui-même fait pour la créer. Il faut dire que pour un homme placé à la charnière entre le XVIIIe et le XIXe siècle, il maîtrisait vraiment bien les réseaux sociaux (et même Photoshop puisqu’il a fait ajouter sa mère, qui n’y était pas, sur la peinture de son couronnement). Je le dis avec un peu d’humour, mais Napoléon était un très bon communiquant, avec les outils de son époque : l’art, l’architecture, les réseaux d’information. Il a su allier la force de l’Église catholique et le sentiment anticlérical en se faisant couronner Empereur en présence du pape… mais en se posant la couronne lui-même sur la tête. Énorme melon, il faut bien l’avouer. Mais clairement aussi : génie de la communication, car c’était affirmer la supériorité absolue du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel, tout en le faisant avec la bénédiction – littéralement la bénédiction ! – du pouvoir spirituel vaincu par KO. Napoléon pensait à tout, et opérait les syncrétismes les plus oxymoriques comme ce qu’on pouvait lire sur les actes officiels à partir de mai 1804 : « République française, Napoléon Empereur ». Une République-Empire, un Empire-République : tout ça n’a guère de sens. Mais sur le plan de la communication, c’est brillant. 

Le sacre de Napoléon - On voit, en plein milieu, sa mère... qui pourtant n'était pas là - Peinture de Jacques-Louis David
Le sacre de Napoléon – On voit, en plein milieu, sa mère… qui pourtant n’était pas là – Peinture de Jacques-Louis David

Mais il faut faire le vrai bilan, froid, matériel, de ce qu’est Napoléon et de ce qu’il a fait en matière de trahison des idéaux de la Révolution pour comprendre pourquoi il n’est pas le déploiement de la France en Europe mais sa négation. Car Napoléon, c’est tout à la fois : les près de 4 millions de morts de ses guerres dont près d’un million de Français ; le rétablissement de l’esclavage et l’application d’une politique de terreur contre ceux qui se sont rebellés ; la fin de la République et de la démocratie, même si elles étaient déjà bien amochées ; la défaite militaire finale de la France et son rabougrissement territorial ; le rétablissement des Bourbons et de la monarchie une fois la défaite consommée ; et, pour ceux que cela intéresse, la disparition de la France en Amérique du Nord avec la vente de la Louisiane. Bref : qu’il s’agisse des idéaux républicains ou du bilan matériel, même en termes de puissance pure et simple, le bilan de Napoléon est désastreux. Il y aurait bien d’autres choses à ajouter mais je me limite à une : le sentiment anti-français généré par les guerres napoléoniennes et la naissance des nationalismes tout autour de notre pays, en particulier en Allemagne, qui finira par réaliser son unité précisément dans l’explosion du sentiment anti-français, en janvier 1871, dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles, après la guerre franco-prussienne de 1870. 

Le rétablissement de l’esclavage : Napoléon criminel contre l’Humanité

Mais ce que je veux faire ici, c’est me contenter d’insister sur un point qui concentre tout ce qui fait qu’on ne peut pas aduler Napoléon sans se rendre coupable d’une négation de l’idéal universaliste français. Car il est responsable du rétablissement de l’esclavage en 1802. Je connais d’avance les arguments des bonapartistes : ou bien « mais à l’époque, c’était normal », ou bien « mais en 1815 il l’a de nouveau aboli ». La vérité est que Napoléon a pourtant bien rétabli l’esclavage alors qu’il avait été aboli par la République en 1794 et que, ce faisant, il a trahi à jamais le drapeau tricolore. Il n’était donc pas digne de le porter dans des guerres européennes qu’il a ensuite menées. Je précise : l’esclavage est un crime contre l’humanité. Je répète : l’esclavage est un crime contre l’humanité. Je le dis une troisième fois : l’esclavage est un crime contre l’humanité. Il faut malheureusement souvent le dire plusieurs fois pour que cela soit compris. On ne peut donc pas dire en même temps « Napoléon a rétabli l’esclavage » et « c’est pas grave » ; on ne peut pas regarder le génie militaire sans regarder en même temps le criminel contre l’humanité.  

C’est là qu’il est important de répondre à l’argument : « à l’époque c’était normal ». La première chose à dire est que cela ne l’a jamais été, car il y a toujours eu des gens pour s’y opposer, à commencer par ceux qui ont été mis en esclavage. Mais admettons l’argument : je peux entendre que quand une domination s’impose avec la force de l’évidence, il est difficile de la contester et d’être, pour ainsi dire, parmi les premiers à élever la voix (et il en va ainsi du patriarcat, du racisme, du capitalisme, et ainsi de suite). Mais au moment où Bonaparte rétablit l’esclavage, en 1802, le débat a eu lieu et la chose est tranchée : l’esclavage, c’est la trahison de l’idéal républicain français, c’est l’abaissement de la section de l’humanité qui le commet sur la section de l’humanité qui le subit. On n’est donc pas ignorant de ce qu’est l’esclavage à ce moment-là. 

Et pourtant Napoléon le fait quand même, par la loi du 20 mai 1802. Il se produit alors ce qui devait arriver : le rétablissement de l’esclavage s’accompagne – évidemment ! comment pourrait-il en être autrement ? – d’une lutte contre lui. Et la répression bonapartiste est brutale, féroce, inhumaine, en particulier en Haïti (à l’époque Saint-Domingue). Ceux qui se rebellent sont déportés, noyés et même gazés pour certains d’entre eux dans des cales de bateaux remplies de soufre qu’on appelle des « étouffoirs ». On dresse même des chiens à manger les gens de peau noire. C’est le général Leclerc puis le général Rochambeau qui se chargent de cette violence brute, et, disons le clairement : raciste. D’ailleurs, dès 1799, les mots de Bonaparte sont clairs, son racisme est limpide : « Je suis pour les Blancs parce que je suis blanc, je n’ai pas d’autre raison et celle-ci est la bonne. Comment a-t-on pu accorder la liberté à des Africains, à des hommes qui n’avaient aucune civilisation ? ». Napoléon, c’est ça. Et on ne peut honorer en France quelqu’un qui s’est rendu coupable de ce qui constitue un crime raciste contre l’humanité. On peut en revanche honorer ceux qui se sont battus pour la Liberté , par exemple lors de la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, où les Haïtiens remportent la victoire contre les Français. Un mois et demi plus tard, le 1er janvier 1804, l’indépendance d’Haïti est proclamée et Haïti devient une République tandis que la France bonapartiste s’apprête à basculer dans l’Empire. Pour mémoire, certains bilans font état de 200 000 morts en Haïti : 150 000 côté haïtien et 50 000 côté français.

Bataille de Vertières en Haïti, le 18 novembre 1803 - Les Haïtiens emportent la victoire face aux soldats de Napoléon
Bataille de Vertières en Haïti, le 18 novembre 1803 – Les Haïtiens emportent la victoire face aux soldats de Napoléon

Regarder en Napoléon le stratège sans voir le criminel contre l’humanité qui rétabli l’esclavage, c’est se voiler la face. C’est la même logique mentale qu’un Jean-Marie Le Pen disant de la Shoah qu’elle serait « un détail de l’Histoire ». La Shoah n’est pas un détail : elle est au centre de la Seconde Guerre Mondiale ; le rétablissement de l’esclavage n’est pas un détail, il fait partie intégrante de l’Histoire bonapartiste. Et contrairement à ce que j’ai lu ou entendu chez certains bonapartistes, il n’est pas « excusable » en raison d’un contexte historique. Un crime contre l’humanité n’est jamais excusable. Cette idée même est raciste, je le dis à ceux qui l’ont : si vous l’avez, c’est que vous ne voyez pas un frère en humanité dans le noir qui est mis sous les fers ; si vous l’avez, c’est parce que vous ne vous voyez jamais à sa place à lui ; si vous l’avez, c’est parce que votre Histoire est celle du dominant et non du dominé.

L’Histoire même de notre drapeau est antiraciste et liée à Haïti !

Je vais plus loin. J’ai écrit plus haut que Napoléon avait trahi l’idéal républicain issu de la Révolution de 1789, mais aussi qu’il avait trahi le drapeau tricolore. Je ne doute pas que de tels propos puissent émouvoir les bonapartistes – dont j’étais, je le rappelle, mais il est autorisé de ne pas s’enfermer à jamais dans l’erreur. Je veux maintenant m’en expliquer et détailler ce point. Car la naissance du drapeau tricolore elle-même a partie-liée avec la question de la lutte pour l’abolition de l’esclavage. 

D’où vient ce drapeau bleu-blanc-rouge ? L’histoire est méconnue. Les couleurs viennent de la cocarde remise à Louis XVI le 17 juillet 1789 quand il se rend à la mairie de Paris reconnaître le pouvoir municipal issu de la Révolution (Bailly est nommé maire de Paris le 15 juillet au lendemain de la prise de la Bastille). Le bleu et le rouge sont les couleurs du peuple ; elles encadrent le blanc de la monarchie. Le symbole est clair : le pouvoir exécutif (le blanc) est placé désormais sous le contrôle du peuple (bleu et rouge) entré en révolution… et cela vaut encore pour aujourd’hui ! Voilà pour les couleurs. Mais d’où vient ce format rectangulaire aux trois bandes bleue, blanc, rouge ? 

J’y réponds : notre drapeau est né d’une grève antiraciste. En 1790, de grandes révoltes contre l’esclavage éclatent en Haïti. Elles prennent à parti le peuple français en disant en substance : « Vous avez proclamé que “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen… et nous ? ». Des navires sont censés partir de Brest en septembre 1790 pour mater la révolte. Mais les marins refusent. Ils ne sont pas payés, ils ne veulent pas mater des gens qui se battent pour la Liberté, ils ne veulent pas voguer sous le pavillon blanc de la monarchie. Et il se trouve de surcroît que dans le port de Brest mouille « Le Léopard », rempli de colons pro-Révolution chassés d’Haïti par le gouverneur de l’île. À ce moment de l’Histoire, il faut savoir une chose : en Bretagne, l’esprit révolutionnaire est peut-être plus poussé qu’ailleurs… d’ailleurs, l’autre nom du club des Jacobins, dont faisait partie Robespierre, c’est le « Club breton », parce qu’il était initialement composé de beaucoup de députés bretons. On a donc là des marins patriotes, c’est-à-dire amis de la Révolution. Et leur grève fait tellement de bruit qu’elle finit par arriver à l’Assemblée nationale ! On en débat le 21 octobre 1790. Le député Mirabeau défend le drapeau tricolore, et c’est lui qui emporte l’adhésion définitive en affirmant : « Elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales, elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la gloire, mais comme celui de la sainte confraternité des peuples, des amis de la Liberté sur toute la Terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans ! ». Magnifique ! L’Assemblée nationale adopte, pour sa Marine, un drapeau blanc mais dont un quart est composé des bandes rouge-blanc-bleu (dans cet ordre, il faut attendre 1794 pour que l’ordre actuel bleu-blanc-rouge soit adopté). 

Aussi je l’affirme : que ce soit en faisant la guerre en Europe ou que ce soit en ayant rétabli l’esclavage Napoléon Bonaparte a trahi les idéaux qui présidaient à la naissance du drapeau tricolore puis à la naissance de la République en 1792. Jugez-en depuis les mots de Mirabeau ! Napoléon est celui qui cherche « les combats et la gloire », il est celui qui nie « la sainte confraternité des peuples », celui qui n’est pas « ami de la Liberté sur toute la Terre », celui qui, loin d’être « la terreur des conspirateurs et des tyrans », a lui-même conspiré et réalisé un coup d’État pour devenir Empereur – c’est à dire tyran, au sens où on l’entend à l’époque et où on peut encore l’entendre aujourd’hui. Napoléon, c’est la négation pure et simple de tout ce que la Révolution a porté, c’est la négation de son drapeau, la négation de sa République, la négation de sa Marseillaise, la négation de sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». De la même manière que, plus tard, la République se fourvoiera en poursuivant la colonisation plutôt que d’y mettre un terme. Et c’est la raison pour laquelle on peut dire que la colonisation elle aussi est une trahison du drapeau tricolore et de toutes les valeurs qu’il devrait normalement véhiculer dans le monde comme symbole de la Révolution, de l’antiracisme, du peuple en lutte, de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité, et des droits naturels et imprescriptibles que les Humains de ce pays-là avaient décidé de reconnaître pour eux-mêmes et – en théorie ! – de les respecter dans l’Humanité toute entière. 

En finir avec la légende dorée de Napoléon et la légende noire de Robespierre

J’ai beaucoup parlé de Napoléon mais je n’ai encore rien dit de Robespierre alors que cet article se proposait justement de les mettre face à face. Il me semblait utile de parler d’abord du premier, car il subsiste parfois chez certains l’idée que Napoléon serait une sorte de « Robespierre à cheval » selon les mots de Madame de Staël, c’est à dire qu’il aurait continué par la guerre à l’extérieur de nos frontières ce que Robespierre aurait commencé par l’insurrection populaire à l’intérieur de celles-ci. Je crois avoir bien montré pourquoi il n’en est rien. Napoléon n’a fait que trahir les idéaux que portait Robespierre, et cela alors même qu’il a été un temps mis en prison pour… robespierrisme ! En effet, après l’assassinat de Robespierre par les Thermidoriens, le 28 juillet 1794, Napoléon est enfermé. Il est vrai qu’il avait été assez proche du frère de Maximilien Robespierre, Augustin, dit « Robespierre le Jeune », envoyé en mission par la Convention aux côtés de Bonaparte. C’est d’ailleurs à Augustin Robespierre que Napoléon devra une partie de sa progression dans la hiérarchie militaire. Mais tout ceci n’est que la petite histoire dans la grande, et ce qui importe pour juger des hommes qui la font n’est pas les relations interpersonnelles qu’ils entretiennent mais les actes qu’ils posent en matière politique. 

À l’inverse de Napoléon qui bénéficie d’une légende dorée dont j’ai je crois montré les limites (pour le dire avec un euphémisme), Robespierre pâtit quant à lui d’une légende noire. Lui serait un dictateur et un assassin, responsable à lui tout seul de la Terreur et de tout ce que la Révolution a compté de dramatique. Les historiens ont je crois bien montré pourquoi cette légende du « méchant Robespierre » est tout aussi fallacieuse que celle du « gentil Napoléon ». Qu’on en juge par ce seul fait : c’est Robespierre qu’on accuse d’être un dictateur alors qu’il exerçait un pouvoir collégial dans le Comité de Salut public, lequel Comité était placé sous la responsabilité directe de la Convention… Napoléon, lui, qui s’auto-sacre Empereur, n’est que rarement présenté comme un dictateur. Un comble ! Mais si vous faites un sondage autour de vous en demandant : « Qui de Robespierre ou de Napoléon était un dictateur ? », il y a fort à parier qu’on vous réponde pour l’essentiel « Robespierre » plutôt que « Napoléon ». En cause, la Terreur, dont le premier serait l’unique responsable. Une idée entièrement inventée par ceux-là mêmes qui ont envoyé Robespierre à l’échafaud ! C’est ce que vous apprendrez en lisant, par exemple, l’excellent livre de l’historien Jean-Clément Martin : Robespierre, la fabrication d’un monstre. Il montre bien, notamment dans le dernier chapitre du livre, combien cette légende noire d’un Robespierre dictateur et responsable de la Terreur a été forgée par ceux qui l’ont fait tuer, avec une centaine de ses camarades, en juillet 1794. 

Robespierre - La fabrication d'un monstre - Ouvrage de Jean-Clément Martin
Robespierre – La fabrication d’un monstre – Ouvrage de Jean-Clément Martin

Il est dommage que 230 ans plus tard, Robespierre pâtisse toujours de cette légende noire forgée par ses ennemis politiques de l’époque. Car il pourrait être sinon un modèle républicain célébré dans notre pays comme ayant été une personne en avance sur son temps sur un certain nombre de sujets, à commencer par ceux que j’ai évoqués dans cette note de blog : la lutte pour l’abolition de l’esclavage d’une part et la lutte pour la paix d’autre part. 

Robespierre est celui qui défend les valeurs de la France républicaine

À l’inverse de Bonaparte, Maximilien Robespierre, lui, s’élève contre l’esclavage dès les premiers moments de la Révolution. Et il le fait avec des mots qui resteront pour les siècles suivants d’une actualité confondante. C’est sans doute le 13 mai 1791, dans un discours prononcé à l’Assemblée constituante, que Robespierre se fait le plus puissant sur le sujet, puisqu’il ne se contente pas seulement de dénoncer l’esclavage mais qu’il dénonce en même temps la colonisation. Voici ce qu’il répond au député esclavagiste de la Martinique, Moreau de Saint-Méry, qui proposait dans un amendement de constitutionnaliser l’esclavage dans les colonies : 

« Dès le moment où, dans un de vos décrets, vous aurez prononcé le mot “esclave”, vous aurez prononcé votre propre déshonneur et le renversement de votre Constitution. Je me plains, au nom de l’Assemblée elle-même, de ce que, non content d’obtenir d’elle ce que l’on désire, on veut la forcer à l’accorder d’une manière déshonorante pour elle, et qui démente tous vos principes. Lorsqu’on voulut vous forcer à lever vous-mêmes le voile sacré et terrible que la pudeur même du législateur a été forcée de jeter, je crois que l’on aurait voulu se ménager un moyen pour attaquer toujours avec succès vos décrets, pour affaiblir vos principes, afin qu’on pût toujours vous dire : vous alléguez sans cesse les droits de l’homme, les principes de la liberté ; et vous y avez si peu cru vous-mêmes que vous avez décrété constitutionnellement l’esclavage. C’est un grand intérêt que la conservation de vos colonies, mais cet intérêt même est relatif à votre Constitution ; et l’intérêt suprême de la nation et des colonies elles-mêmes est que vous conserviez votre liberté et que vous ne renversiez pas, de vos propres mains, les bases de cette liberté. Eh ! périssent vos colonies, si vous les conservez à ce prix. Oui, s’il fallait ou perdre vos colonies, ou perdre votre bonheur, votre gloire, votre liberté, je répéterais : périssent vos colonies ! »

– Discours de Maximilien Robespierre le 13 mai 1791 devant l’Assemblée Constituante

Il y a donc d’un côté Napoléon Bonaparte qui rétablit l’esclavage alors qu’il avait été aboli ; et de l’autre Maximilien Robespierre qui se bat pour son abolition alors qu’il existe encore. Ce seul fait devrait, comme patriotes, nous pousser à célébrer le second plutôt que le premier, puisque j’ai dit combien l’Histoire même de notre drapeau national était liée à la lutte pour la libération des personnes placées en esclavage. L’honneur de notre drapeau tient dans les mots de Mirabeau : il devrait être le signe de « la sainte confraternité des peuples, des amis de la Liberté sur toute la Terre ». Et Robespierre défend cette idée tandis que Bonaparte la détruit. 

Sur les questions militaires aussi, Robespierre peut faire la leçon à Bonaparte. Non pas sur le plan stratégique, bien sûr, mais sur le plan politique. Car en 1792, la guerre menace, et le camp des va-t-en-guerre est fourni : il rassemble des Girondins aux monarchistes, chacun avec des objectifs différents. Les premiers y voient les moyens de renforcer la Révolution ; les seconds y voient le moyen de l’anéantir. Robespierre, de son côté, va s’opposer à la guerre, dans un discours magnifique prononcé le 2 janvier 1792 au Club des Amis de la Constitution. Nous sommes une décennie avant les guerres de Bonaparte. Et pourtant, on peut juger des actes de Napoléon par les mots de Maximilien. Les voici : 

« La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa Constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis.
(…) 
Pendant la guerre étrangère, le peuple, comme je l’ai déjà dit, distrait par les événements militaires, des délibérations politiques qui intéressent les bases essentielles de sa liberté, prête une attention moins sérieuse aux sourdes manœuvres des intrigants qui les minent, du pouvoir exécutif qui les ébranle, à la faiblesse ou à la corruption des représentants qui ne les défendent pas. (…) . La guerre est bonne pour les officiers militaires, pour les ambitieux, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’événements ; elle est bonne pour les ministres, dont elle couvre les opérations d’un voile plus épais et presque sacré ; elle est bonne pour la Cour, elle est bonne pour le pouvoir exécutif dont elle augmente l’autorité, la popularité, l’ascendant; elle est bonne pour la coalition des nobles, des intrigants, des modérés qui gouvernent la France. »

– Discours de Maximilien Robespierre le 2 janvier 1792 devant le Club des Amis de la Constitution

Je n’ai pris que deux extraits de ce discours car il me semblent les plus utiles, mais sachez que dans cette même prise de parole, Robespierre envisage le cas d’un général prenant trop d’influence dans la sphère politique par ses victoires militaires ; il pense alors à La Fayette, mais cela s’appliquera finalement à Bonaparte. Mais restons ici sur ces deux extraits. Ils sont une critique, en avance, de la politique guerrière de Napoléon. Oui, « personne n’aime les missionnaires armés », comme le dit Robespierre, et les guerres napoléoniennes auront pour conséquence, je l’ai dit, la naissance d’un sentiment « anti-français », en particulier en Espagne et en Allemagne. Mais il y a également chez Robespierre une critique de la guerre en tant que telle, dans ce qu’elle produit en matière de politique intérieure et économique. Pour lui, elle n’aide toujours que les puissants. Et lorsqu’il dit « la guerre est bonne pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’évènements », on retrouve d’une certaine manière, même si cela est anachronique, les mots de Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». 

Robespierre : le vrai héros du drapeau tricolore

Je conclus. Qu’est-ce que la France, aujourd’hui, aux yeux du monde entier – même si notre image à létranger est désormais bien écornée ? C’est le pays des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est le drapeau tricolore de la République, c’est la Marseillaise qui dit qu’il faut marcher contre la tyrannie, c’est la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » inventée… par Maximilien Robespierre dans son discours du 18 décembre 1790 sur les gardes nationales. Au regard de tout ce que j’ai dit, celui qui incarne cette France-là, ce n’est pas Napoléon Bonaparte : c’est Maximilien Robespierre. Oui, dans le match Robespierre contre Napoléon, le vrai héros du drapeau tricolore, c’est le premier, pas le second. Car le premier en a compris et défendu le sens, tandis que le second l’a transformé et avili. Rétablir l’esclavage est un crime contre l’humanité, lutter pour son abolition est un acte humaniste en accord avec les valeurs qui président à la naissance de notre drapeau tricolore. Au regard de cela, Bonaparte trahit le drapeau et Robespierre le relève au contraire. Robespierre, c’est la France du drapeau tricolore et Bonaparte en est la négation. Et voilà pourquoi les Communardes et les Communardes avaient abattu la colonne de la place Vendôme au haut de laquelle trône Napoléon. Et voilà pourquoi à l’inverse, Jean Jaurès rendait hommage à Robespierre dans des mots magnifiques qui me serviront de conclusion. Ils ont été publiés le 28 juillet 1894 dans le journal L’Humanité, soit cent ans jour pour jour après la mort de l’Incorruptible. Les voici : 

« Ici, sous ce soleil de juin 93 qui échauffe votre âpre bataille, je suis avec Robespierre et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins. OUI, je suis avec lui parce qu’il a à ce moment toute l’ampleur de la Révolution. (…) Réveiller Robespierre, c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République, et avec eux le peuple qui, autrefois, n’écoutait et ne suivait qu’eux. Rendons à sa mémoire son tribut légitime; tous ses disciples se relèvent et bientôt ils triomphent. Le robespierrisme atterre de nouveau toutes les factions. Le robespierrisme ne ressemble à aucune d’elles; il n’est ni factice ni limité. Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante et naturellement dans le peuple. La raison en est simple: c’est que le robespierrisme, c’est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques. Donc, en relevant le robespierrisme, vous êtes sûrs de relever la démocratie. »

– Jean Jaurès dans L’Humanité du 28 juillet 1894

Pas mieux ! À bas Napoléon Bonaparte ! Vive Maximilien Robespierre !

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