Racisme dans la police et arc républicain

Depuis que j’ai posé mardi dernier (4 juillet 2022) ma question à Gérald Darmanin sur le racisme dans la police, je reçois non pas des centaines mais des milliers de messages de remerciements pour avoir porté cette question à l’Assemblée nationale. Je n’ai pas posé cette question pour recevoir ces remerciements, mais parce que j’estime qu’il s’agit d’un des problèmes majeurs que doit traiter la société française. Les très nombreux messages reçus montrent assez, d’ailleurs, l’urgence qu’il y a à agir sur le sujet. 

Inquiétude

J’ai posé des questions précises à Gérald Darmanin sur la question du racisme dans la police. Le ministre a préféré botter en touche et ne pas répondre. Je m’attendais au minimum à une réponse sur le mode « circulez, y’a rien à voir, tout va bien, de quoi parlez-vous monsieur Léaument ? ». Cela aurait évidemment été indigne, comme l’a été la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet quand elle a déclaré sur le sujet que la police « exerce sa mission d’une façon merveilleuse », mais au moins, nous aurions eu une réponse. Cette absence de réponse m’inquiète, car cela me laisse penser que Gérald Darmanin est conscient du problème et qu’il a peur d’agir, comme je l’ai suggéré dans ma question. J’insiste sur ce point : pour moi, le ministre de l’Intérieur est pieds et poings liés – menotté ? – par les syndicats policiers Alliance Police et UNSA Police. Il est entièrement dans leur main. Je lui ai reposé par écrit les questions que je lui avais posées à l’oral, nous verrons bien s’il répond cette fois-ci.

Toute aussi inquiétante a été la réponse de la Première ministre à ma collègue Mathilde Panot. Alors que la présidente du groupe insoumis proposait des solutions concrètes pour apporter une réponse politique à la colère qui s’est exprimée depuis la mort de Nahel, la Première ministre a préféré déclarer à trois reprises que la France insoumise « sortait de l’arc républicain ». Ceux qui me connaissent, m’écoutent ou me lisent savent combien une attaque de cette nature peut me blesser ; j’attache, comme on le sait, une importance cruciale aux principes républicains, et je m’efforce toujours de ramener dans ce cadre celles et ceux qui auraient la tentation de s’en écarter. Et c’est précisément l’objet de cette note de blog : partir de la République et de ses principes pour proposer une grille d’analyse de la situation et une méthode d’action. 

Le racisme, c’est le poison de la République

Si j’ai voulu poser une question sur le racisme dans la police, c’est bien sûr d’abord parce que je le devais aux jeunes gens que j’ai cités à l’Assemblée – j’y reviendrai. Mais c’est aussi parce que le racisme est, comme je l’ai dit dans ma question à Gérald Darmanin, le « poison de la République ». 

Qu’est-ce que le racisme ? C’est l’idée que des individus, pour ce qu’ils sont (ontologiquement) ne seraient pas semblables aux autres. L’idée que certains doivent être jugés non d’après leurs actions mais d’après leur existence même. L’idée qu’ils doivent être jugés non pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. À une couleur de peau ou une religion seraient ainsi associés des traits de caractère impossibles à modifier, et que par conséquent une séparation nette existerait entre un « eux » et un « nous », définissant ainsi une ligne de démarcation à l’intérieur du peuple. De cette idée découle celle d’un déterminisme absolu des actes et, associé à lui, la nécessité d’une réduction des droits de ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau ou la bonne religion, les plus racistes allant même jusqu’à nier tout droit à l’existence à ceux qui sont au-dehors de la ligne de démarcation ainsi tracée. 

Cette idée est contraire à la philosophie humaniste que je défends pour ma part. L’humanisme, à l’inverse du racisme, part de l’unité du genre humain. Pour moi, pour ceux qui se réclament de cette philosophie, il n’existe qu’une seule espèce humaine sur Terre, et donc il doit y avoir une égalité en droits. Pour un humaniste, l’être humain est auteur et acteur de son existence, et il doit donc être jugé non d’après ce qu’il est mais d’après ce qu’il fait. De ces quelques idées découlent les principes fondateurs de la République française que nous avons résumé dans une devise inventée par Maximilien Robespierre : « Liberté, Égalité, Fraternité ». 

J’en détaille la logique. L’humanité étant une sur Terre, la fraternité et l’égalité des droits humains en sont la conséquence ; l’être humain étant auteur et acteur de son existence, la liberté absolue d’action en est la conséquence. Chaque section de la devise se renforce mutuellement. L’égalité implique la liberté et la fraternité parce que l’égalité des droits demande que les autres respectent librement les miens et se comportent donc fraternellement avec moi. La liberté implique l’égalité et la fraternité parce que ma liberté est définie dans l’égalité des droits que j’ai avec mes semblables et que c’est par la fraternité que nous pouvons conjointement défendre le mieux ces droits. La fraternité, enfin, implique l’égalité et la liberté, car elle est la condition de la conservation des droits : c’est parce que je considère chaque être humain comme un frère que je ne mettrai jamais en doute notre égalité ; c’est parce que je veux le meilleur pour lui que je ne mettrai jamais en cause sa liberté en acceptant de limiter la mienne aux bornes de la sienne.

Le racisme, donc, c’est la négation de ces principes républicains. Le racisme est fondamentalement incompatible avec la République car il la rend impossible. Et c’est pourquoi dans notre République le racisme n’est pas une opinion mais un délit. Bien sûr, on m’objectera sans doute que la République française (la IIIe en particulier) a participé activement à la colonisation et que celle-ci s’appuyait sur des principes racistes. Mais je n’ai aucun mal à dire que la colonisation est une trahison des valeurs républicaines, particulièrement – au-delà des violences physiques et mortelles inqualifiables qu’elle a produites – quand elle prenait la forme odieuse du code de l’indigénat en Algérie qui définissait deux catégories de citoyens. 

Être républicain, profondément républicain, exige de combattre le racisme et, plus largement, toutes les discriminations. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les républicains sérieux n’admettent aucune forme de hiérarchisation des luttes. En effet, une telle hiérarchisation est moralement condamnable et stratégiquement inefficace car tout ce qui divise le peuple empêche la mise en place de la République jusqu’au bout, c’est-à-dire de la République sociale. Voilà pourquoi il faut combattre le racisme de manière sérieuse et déterminée. Sans vaciller, sans fléchir, sans trembler. 

Combattre le racisme dans la police c’est être républicain

Si j’ai posé la question du racisme dans la police, c’est parce que le racisme qui y existe et s’y exprime est plus dangereux qu’ailleurs. Dangereux d’abord littéralement car cela signifie des morts qui ne reviendront pas et dont, souvent, certains essaient de salir la mémoire en disant en substance qu’après tout ils l’auraient bien cherché ou pire : bien mérité. Dangereux aussi pour ce que cela envoie comme signal à des milliers de gens dont la couleur de peau ne correspond pas à ce qui, pour les racistes, délimite le peuple français.

Que se passe-t-il quand un policier tient un propos raciste ou commet un acte raciste ? Vêtu de l’uniforme, portant au torse ou à l’épaule le drapeau tricolore de la République française, il envoie le signal à la personne qui subit le racisme que de tels actes sont admis par l’État. Je redis qu’ils ne le sont pas et que le racisme est un délit puni par la loi. L’autre signal envoyé est donc qu’il existe des policiers qui ne respectent pas la loi de la République et qui agissent, étant racistes, en délinquants. On perd sur tous les tableaux ! Sur l’attachement à la République comme sur le respect de l’uniforme. Et quand ces actes sont répétés et proviennent de différents policiers, il faut déployer des efforts gigantesques pour ne pas considérer que les actes de ces policiers définissent la police toute entière. 

Et c’est bien la raison pour laquelle, dans la question que j’ai posée à Gérald Darmanin, et où j’ai pesé chacun de mes mots, j’ai demandé : « Quand allez-vous limoger et punir les policiers racistes qui salissent l’uniforme de leurs collègues républicains ? » J’avais alors en tête les mots d’un jeune garçon de 13 ans de ma circonscription qui, quoiqu’ayant déjà subi à son âge le racisme de certains policiers, veut devenir policier. Il m’avait dit : « J’aime bien la police mais je n’aime pas les méchants. La police, c’est un beau métier. » Les « méchants », c’est les racistes. Je dis aux policiers républicains qui me liraient ici, et qui ne supportent pas de voir leurs collègues anti-républicains commettre des actes ou prononcer des paroles racistes, que le moment est venu de les chasser hors de vos rangs. La morale et la loi sont de votre côté. La hiérarchie et l’esprit de corps rarement, je le sais. Mais c’est aussi votre devoir de citoyen que de vous exposer personnellement dans ces situations et de faire honneur à votre uniforme et à son drapeau tricolore en ne laissant rien passer sur le sujet.

Racisme dans la police, racisme systémique ?

L’une des questions désormais sur le tapis est de savoir si le racisme dans la police est « systémique », c’est-à-dire si limoger et punir tous les policiers ayant tenu des propos ou commis des actes racistes suffirait à ce qu’il n’y ait plus de racisme dans la police. C’est une vaste question. Pour ma part, je pense que cela ne suffirait pas en raison notamment des missions qui sont confiées à la police, j’y reviendrai en détail juste après à propos des contrôles d’identité. 

Mais je m’arrête un instant sur le sujet, car un sondage YouGov commandé par le Huffington Post nous éclaire d’abord sur la perception qui existe dans la population au sujet du racisme dans la police. Près de sept Français sur dix estiment ainsi qu’il y a du racisme dans la police : 48% disent qu’il existe à la marge, 19% disent qu’il est largement répandu. Qu’un Français sur cinq dise que le racisme est largement répandu dans la police doit alerter tous les républicains. 

Bien sûr, un sondage ne vaut pas une enquête approfondie, mais ces chiffres sont alarmants car ils disent quelque chose de ce qui, sans pouvoir être défini comme un effet de système, peut au moins être défini comme un effet de masse. Or, puisque les institutions s’incarnent toujours dans des individus, cet effet de masse, vécu comme tel dans certains quartiers plus que dans d’autres, produit mécaniquement un effet de système. Quand certains disent : « la police est raciste » plutôt que « des policiers sont racistes », c’est parce qu’un nombre important des interactions qu’ils ont eues et ont encore avec les policiers inclut une forme de racisme. 

Dire cela, ce n’est pas jeter l’institution policière à la poubelle et dire que « tous les policiers sont racistes ». Dire cela, c’est au contraire regarder en face la réalité et se donner les moyens d’éradiquer le caractère systémique que peut produire l’action additionnée d’individus racistes qui incarnent l’institution policière. Ces individus doivent en être chassés : limoger et punir les racistes qui portent l’uniforme policier, voilà la ligne d’action qui devrait être celle de tout ministre de l’Intérieur républicain digne de ce nom. J’ajoute que la même logique devrait s’appliquer à tous les secteurs qui sont sous la responsabilité directe des pouvoirs publics.

Regarder en face les contrôles d’identité

Mais il faut néanmoins parler d’un sujet central pour ce qui concerne la lutte contre ce qui peut prendre un caractère profondément systémique : les contrôles d’identité. Beaucoup balaient le sujet d’un revers de la main en disant que contrôler l’identité est l’une des activités indispensables de la police. De fait, il semble difficile ou impossible de verbaliser quelqu’un pour une infraction si jamais on ne dispose pas de son identité. Mais le problème n’est bien sûr pas là. Le problème est dans le caractère ciblé et répété de ces contrôles d’identité. Quand des jeunes de ma circonscription me racontent qu’il arrive que des policiers leur demandent leurs papiers en les appelant par leur prénom (donc en connaissant leur identité), l’acte de contrôle d’identité n’a pas un caractère utile et nécessaire à l’action de police, je pense qu’on en conviendra. Il est juste un acte d’humiliation.

Je veux alerter vivement sur le sujet celles et ceux qui, comme moi, n’ont jamais subi et ne subissent jamais de contrôle d’identité. Quand on a ma couleur de peau, on ne sort pas toujours – et même pratiquement jamais – avec sa carte d’identité ou son passeport ; tout au plus se saisit-on de ses papiers une fois de temps en temps lorsqu’on a à faire des démarches administratives, et parfois même on ne se rappelle plus bien d’où on a rangé le précieux document. Cette tranquillité d’esprit n’existe pas pour beaucoup – et même pour l’essentiel – de nos compatriotes qui ont une autre couleur de peau. Non seulement on sait où est la carte d’identité mais on l’a de surcroît toujours ou presque sur soi. C’est comme les clés ou le téléphone : on ne sort pas si on ne l’a pas avec soi. Certains penseront sans doute que j’exagère. D’autres qui le vivent savent que j’ai raison. J’invite les premiers à poser la question aux seconds pour se faire une idée. 

J’insiste sur ce point parce qu’il est fondamental. Que fait-on quand on demande à quelqu’un ses papiers pour une autre raison que la commission supposée d’une infraction ? On renvoie l’idée qu’il y a un doute sur l’identité. Donc on renvoie à quelque chose de précis, en l’occurrence la couleur de peau la plupart du temps. Et le caractère répété de la chose finit par faire rentrer dans la tête de celui ou celle qui la subit l’idée que ce doute identitaire est matériel, qu’on ne sera jamais tout à fait un Français ou une Française comme les autres. Que chacun le comprenne bien : ces contrôles peuvent avoir lieu, sur une même personne, plusieurs fois par mois, par semaine et même par jour ! C’est un problème d’autant plus grave que c’est une institution de la République française – la police – qui renvoie cette image-là de soi-même. Quand cela survient en pleine adolescence, au moment où la définition de l’identité personnelle est précisément en pleine construction, les effets sont dévastateurs comme on l’imagine. 

Face à ce fléau – car c’est un fléau pour la République et pour l’unité du peuple français – il existe au moins une solution simple (en réalité, il y en aurait beaucoup, mais c’est la plus facile à mettre en oeuvre en urgence) : le récépissé de contrôle d’identité. L’idée est simple : à chaque fois qu’un policier vous contrôle, il vous remet en même temps un récépissé. Cela permet bien des améliorations. D’abord, vous pouvez présenter ce papier à un policier qui viendrait vous contrôler en lui disant qu’un autre l’a déjà fait il y a peu ; ensuite, cela vous permet de justifier d’un caractère répété des contrôles d’identité que vous subissez si tel est le cas ; enfin, cela aurait assurément des impacts sur la pratique des policiers eux-mêmes, qui, ayant remis un récépissé à une personne contrôlée, seraient moins tentés de reproduire une deuxième fois dans le mois, la semaine ou la journée un contrôle déjà effectué. Ce n’est pas une proposition « gauchiste » comme on l’entend parfois ; c’est une proposition républicaine. Mieux : le récépissé est plus efficace pour l’action policière elle-même ! Qu’on en juge par l’expérience. La ville de Fuenlabrada, en Espagne, a mis en place ce dispositif avec une efficacité considérable : en six mois d’expérimentation, les contrôles d’identité ont été divisés par près de quatre et les infractions constatées à l’occasion de ces contrôles ont été multipliées par trois. Peut-être y a-t-il là matière à réflexion. 

J’espère l’avoir montré dans cette note de blog : poser le problème du racisme dans la police (et plus largement dans la société) et chercher les moyens d’y répondre, – c’est-à-dire de le combattre, – c’est précisément défendre jusqu’au bout l’idée républicaine. 

Qui est vraiment sorti de l’arc républicain ?

Et puisque je parle ici de République, je ne peux terminer cette note sans ajouter un dernier élément. Tandis que beaucoup de gens, bien au chaud ou au frais sur les plateaux télé, appelaient les insoumis à appeler au calme, beaucoup d’entre nous étaient sur le terrain pour discuter, apaiser et tenter, autant que faire se peut, d’éviter de nouveaux drames. C’est mon cas. Et je dois dire que j’ai été bien embêté quand, à l’issue d’une discussion, des jeunes gens me disaient « d’accord monsieur le député, il ne faut pas brûler ceci ou cela, mais alors on fait quoi pour se faire entendre ? ». J’ai répondu comme doit le faire tout démocrate : « il faut aller voter, ça ne serait pas la même histoire si Jean-Luc Mélenchon était président, n’est-ce pas ? ». Ils en convenaient bien volontiers, mais à 3h ou 4h du matin, au milieu de rues encore en feu ou qui portaient ici ou là les marques d’un incendie passé, la conversation avait comme on peut l’imaginer quelque chose de lointain. Lointain parce que cela ne semblait pas une solution opérationnelle dans l’immédiat, lointain parce que tant que Macron ne dissout pas l’Assemblée, les élections qui peuvent tout changer ne sont que dans quatre ans. 

Et puis m’est venue une autre idée. Celle de jouer à fond le jeu des institutions « démocratiques » actuelles. J’ai donc proposé à quelques jeunes de venir me voir à ma permanence et de noter tout ce qu’ils me diraient (en mode « cahier de doléances ») pour porter leur parole à l’Assemblée nationale, dans le temple de la République. Je leur ai dit : « je ne dis pas que ça va changer les choses rapidement, mais au moins, cette fois, on ne pourra pas vous dire que vous n’avez pas fait les choses dans les formes ». Ils sont venus et m’ont parlé à coeur ouvert. J’ai dit dans ma question à Gérald Darmanin que je parlais en leur nom, et je le faisais. Je remercie d’ailleurs mon groupe parlementaire d’avoir accepté que je pose ce jour-là la question au gouvernement. C’était important pour moi de pouvoir tenir cette parole. J’ai dit les insultes racistes que m’ont rapportées ces six jeunes gens âgés de 13 à 17 ans. J’ai posé des questions précises à Gérald Darmanin sur le racisme dans la police. Mais d’un côté le ministre de l’Intérieur a esquivé le sujet et n’a pas répondu à ma question et de l’autre la Première ministre a déclaré que la France insoumise sortait de l’arc républicain. Pour eux, la République, c’est juste un jeu politicien. Pour moi, et je crois l’avoir montré ici, c’est autre chose : un idéal qu’on est encore loin, très loin d’avoir pleinement atteint. 

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