Dès le lendemain du premier tour des élections régionales, tous les médias se sont interrogés : « D’où vient la montée du Front national ? ». À cette question, à de très rares exceptions près, ils répondaient sans s’interroger sur leur propre rôle. Et ceux qui ont soulevé cette question, comme Cyril Hanouna dans un tweet, ont vu toute la médiacratie leur tomber dessus. La médiacratie est comme ça : elle préfère lyncher plutôt que s’interroger et se remettre en question. C’est plus rapide et moins fatiguant.
Les journalistes, continuez à en faire des tartines, continuez à instaurer un climat anxiogène! Vous avez gagné les gars! #irresponsable
— Cyril Hanouna (@Cyrilhanouna) 6 Décembre 2015
Score du FN : Jean-Luc Mélenchon dénonce un « effet de simple exposition » médiatique
Parmi les rares personnalités publiques ayant pointé le rôle des médias dans la montée du Front national se trouve Jean-Luc Mélenchon. Invité de France Info le 9 décembre 2015, il a en particulier expliqué qu’il existait ce qu’on appelle un « effet de simple exposition », qui se définit comme « une augmentation de la probabilité d’avoir un sentiment positif envers quelqu’un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet », et cela que l’exposition soit positive ou négative.
Montée du FN : la responsabilité des médiasMontée du FN : la responsabilité des médiasInvité de France Info, Jean-Luc Mélenchon a souligné la responsabilité des médias dans la montée du Front national. Retrouvez la vidéo de l’émission complète ici : http://bit.ly/1XYoxWE
Posté par Jean-Luc Mélenchon sur jeudi 10 décembre 2015
Voici, en résumé, l’essentiel de la critique portée par Jean-Luc Mélenchon au cours de cette émission (c’est moi qui mets en gras) :
« Je vais vous expliquer quelques règles qui pourraient vous intéresser. Ce ne sont pas les militants du Front national au porte à porte qui ont été convaincre les gens de voter Front national. Ce ne sont pas les colleurs d’affiches. C’est la présence sans fin, répétitive, harcelante, à tout propos, sur tous les sujets, du Front national, produisant ce que l’on (…) appelle l’“effet de simple exposition”. À force de répéter, à force d’assigner des catégories sociales… Et vous, France Info, hier matin, vous avez fait des émissions sur le thème : “les jeunes votent Front national”, “les ouvriers votent Front national” (…) Il y a un parti médiatique qui, pour des raisons qui lui appartiennent (vendre du papier, faire de l’audience), joue le pire jeu qui soit. Et tous les Français le savent. »
Quelques jours plus tard, le vendredi 11 décembre, Jean-Luc Mélenchon publie une note de blog intitulée « Les chiens votent Front national ! Certains chats aussi ! ». Un titre provocateur qui souligne la tendance médiatique à déclarer des catégories sociales comme des blocs votant en masse pour un parti politique quand la masse immense des catégories désignées s’est en réalité abstenu. Jean-Luc Mélenchon écrit :
« Le lundi matin c’était le refrain : “les ouvriers votent Front national”, “les jeunes votent Front National”. Bref, “Les chiens votent Front national !”, “Certains chats aussi !”. Autant de honteux mensonges. (…) La vérité des faits montre alors un contenu de classe de l’abstention tout à fait clair ! 60 % des ouvriers s’abstiennent et 70 % des jeunes de 18 à 35 ans en font autant ! Dans le détail, le chiffre atteint même le vertigineux sommet de 76% d’abstention chez les 18-24 ans, les plus jeunes ! »
Jean-Luc Mélenchon touche ici un point central. Pour preuve, cet article de Midi Libre appelant des jeunes à signaler qu’ils votent FN. Avec à l’intérieur ce mensonge, mis en gras : « 34 % des 18-25 ans ont voté pour le parti de Marine Le Pen ». Il s’agit évidemment en réalité des jeunes ayant voté, donc 34% des 24% de jeunes ayant voté soit… 8,16% de cette tranche d’âge ! On est très loin d’un fait majoritaire. Tellement loin qu’on est obligé de faire un appel à témoins auquel ne manquera pas de répondre un jeune militant frontiste auquel on fera dire que, vraiment, le Front national c’est beau, gentil et magnifique. Et la boucle du lepénisme médiatique sera tranquillement bouclée. Regardez ci-dessous la photo utilisée pour illustrer cet appel à témoignages. Ça n’a pas l’air super chouette d’être jeune et de faire des selfies avec Marine Le Pen ? Tout le monde est si souriant, si content. Le gentil fascisme qui ne vous veut aucun mal.
Le pilonnage médiatique sur le Front national
À bien y regarder, le pilonnage médiatique autour du Front national a été intense avant le premier tour et il l’est encore entre les deux tours. La presse magazine s’en est donnée à cœur joie. La presse papier également. Pour vous en convaincre, je mets ici à votre disposition (vous pouvez cliquez sur les images pour les agrandir) les unes de quatre grands magazines : L’Express, Le Point, L’Obs et Marianne. Tous ont fait une une sur le FN ces deux dernières semaines, soit avant, soit au lendemain du premier tour. L’Obs a même réussi l’exploit d’en faire une avant et une après. Je vous mets également les unes du Monde, qui est le principal agent du lepénisme médiatique dans notre pays. Méthodique dans cette pente, ce journal a publié deux unes sur le Front national dans la semaine qui a précédé le premier tour et – accrochez-vous – a fait chacune de ses unes depuis le soir du premier tour sur le Front national.
Au regard de ces divers éléments, chacun jugera, en conscience, si les médias provoquent ou non vis-à-vis du Front national « l’effet de simple exposition » décrit plus haut et ont ou non, par conséquent, leur part de responsabilité dans la capacité mobilisatrice de ce parti. Bien sûr, j’ai conscience qu’un article comme celui que je viens d’écrire peut participer de cet effet de simple exposition, mais j’ose espérer qu’en démontant le mécanisme, il permettra de vous immuniser contre ce poison du marketing publicitaire. Poison d’autant plus mortel qu’il s’applique ici aux fascistes.