Hier, en marchant dans la rue, je suis passé devant un magasin pour riches. On appelle plus communément ça un « magasin de luxe », pour gommer toutes ces histoires de classes sociales qui mettent mal à l’aise les gens qui ont beaucoup d’argent. Vous connaissez les magasins pour riches ? La plupart du temps, vous n’osez pas y rentrer. Ça vous effraie un peu : il n’y a personne dedans, sauf des vendeurs. Dans nos magasins à nous, il y a trois ou quatre vendeurs pour des dizaines ou des centaines de clients ; dans les magasins pour riches, il y a toujours plus de vendeurs que de clients. Évidemment, pour des gens comme nous, c’est intimidant.
Souvent, dans ces magasins, on n’affiche pas le prix des objets vendus. S’il s’agit de chaussures, il faut parfois regarder sous la semelle, mais pas toujours. Vous pouvez évidemment demander le prix aux vendeurs mais si vous le faites, un sentiment de honte vous envahit. Vous sentez bien que ce n’est pas pour vous, que vous n’y avez pas droit, que normalement, ce sont des choses qu’on achète sans demander le prix, parce que l’argent n’est pas un problème dans la vie. On n’est pas dans des magasins où on regarde d’abord l’étiquette avant de réfléchir à si oui ou non tel vêtement nous irait bien.
Et bien hier, je suis passé devant un de ces magasins. Et, chose exceptionnelle : le prix était affiché en vitrine. 1 750 euros pour une charmante petite robe « Victoria Beckham ». Juste avant, j’étais passé devant un autre magasin vendant une tout aussi charmante petite robe (elle n’avait pas de nom de star, désolé) à 70 euros, soit très précisément 25 fois moins cher. À côté de la robe Victoria Beckham, il y avait aussi la veste Victoria Beckham. Coût : 1 850 euros. Mais vous savez, ce n’est pas le truc le plus cher. Il se trouve que Madame Beckham a un site internet et qu’on peut aller voir le prix des choses qu’elle vend. Il y a par exemple la robe « Open back flour length » pour 3 800 euros. Faites-vous plaisir : on peut commander en ligne, quand on n’a pas un plafond de dépenses de 600 euros tous les quinze jours sur sa carte bancaire.
Je reviens à ma petite robe qui coûte 1 750 euros. Il se trouve que c’est quasiment le salaire net mensuel médian en France, qui s’élève à 1 730 euros. Dit autrement : 50% des Français gagnent chaque mois moins de 1 730 euros et 50% gagnent plus. Dit encore autrement : le prix de la robe est supérieur au salaire mensuel de 50% des Français. Mais attendez, c’est pas fini. Les 10% de français les mieux rémunérés gagnent plus de 3 455 euros par mois soit à peu près deux fois le prix de la robe Victoria Beckham. En général, la moitié de votre salaire (et même plus), c’est ce qui part dans le logement quand vous habitez à Paris ou dans des villes où il y a une forte pression foncière. Donc personne ne met la moitié de son salaire dans une robe. Ce prix exclut donc 90% des gens. On monte encore dans l’échelle des revenus ? Les 1% les plus riches gagnent plus de 7 914 euros par mois, c’est à dire 4,5 fois le prix de la robe. C’est à dire qu’une personne ayant ce revenu qui voudrait acheter cette robe prendrait la décision d’y faire passer près du quart de son salaire mensuel. Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé d’acheter un vêtement coûtant le quart de votre salaire mais moi non.
Le prix de la robe Victoria Beckham exclut donc grosso modo 99% de la population française. Seuls les 1% les plus riches peuvent l’acheter et sont prêts à consentir une telle dépense.
Maintenant, voici un autre chiffre. Le salaire net mensuel moyen s’élève à 2 154 euros. C’est à dire que si tout le monde gagnait la même somme et qu’il régnait en France une parfaite égalité, chaque personne salariée serait payée 2 154 euros. Avec ça, on ne peut pas s’acheter de robe Victoria Beckham mais bon, on peut vivre bien, n’est-ce pas ? Bien sûr, ce n’est pas si simple. Mais ça ne fait pas de mal de savoir combien vous gagneriez si dans l’absolu on partageait les salaires de manière égalitaire, n’est-ce pas ? Ça aide à réfléchir quand on sait que Monsieur Gattaz, qui gagne un SMIC par jour, dit qu’il « paie trop de charges », non ?
Le vrai problème, dans notre pays, c’est la répartition des richesses. Le seul fait qu’une robe Victoria Beckham soit vendue 1 750 euros le prouve. Pendant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon proposait d’instaurer un revenu maximum[1] à 30 000 euros par mois, soit 360 000 euros par an ; c’est à dire qu’au-delà de cette somme, il était proposé un taux d’imposition à 100%. « Irréaliste ! », hurlaient certains, qui ne nous disaient pas combien ils gagnaient. « Les riches vont partir ! », disaient-ils. Et bien vous savez quoi ? S’ils ne veulent pas partager, qu’ils s’en aillent tous ! On se chargera de leur faire les poches.
Mélenchon face à un grand patron du CAC 40 sur la répartition des richesses. Par Antoine Léaument
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[1] Attention : le revenu n’est pas la même chose que le salaire. Le revenu inclut le salaire, mais aussi tout ce qu’il y a autour, notamment les revenus du capital (investissements en bourse, par exemple).