Je n’en reviens toujours pas. Ce matin, en regardant un peu les titres de la presse, je suis tombé sur cet article du journal L’Opinion. Il est intitulé : « A bout, Jean-Luc Mélenchon demande audience à François Hollande, rencontre imminente ». Avec ce surtitre incroyable : « câlinothérapie ».
Comme 66 millions de Français, je ne suis pas abonné à L’Opinion. Comme eux, ne faisant pas partie de l’élite des quelques 14 000 abonnés à ce journal, je ne connaîtrai de cet article que son titre et sa photo. Je vais donc parler d’eux. À eux seuls, ils véhiculent beaucoup et ne disent rien, absolument rien du fond de la lettre de demande d’entretien de Jean-Luc Mélenchon au président de la République.
1. La très sérieuse demande d’entretien de Jean-Luc Mélenchon
2. Le titre débilitant de L’Opinion
3. Une photo d’illustration tirée de l’enterrement de Charb
Conclusion
La très sérieuse demande d’entretien de Jean-Luc Mélenchon
Que dit Jean-Luc Mélenchon dans cette lettre de demande d’entretien à François Hollande, datée du 4 février 2015 ? Qu’il souhaite rencontrer François Hollande dans un esprit particulier : celui de « l’intérêt général de notre pays ». Jean-Luc Mélenchon annonce qu’il souhaiterait parler « de la situation ouverte par le nouveau gouvernement grec ». Il détaille ensuite :
L’avenir de l’Europe et donc celui de la France semble engagé. L’arrêt de la politique d’austérité en Grèce donne lieu à une interpellation des gouvernements européens. La France peut et doit y jouer un rôle essentiel. En même temps la menace inadmissible faite par la Banque centrale européenne de coupure des liquidités à la Grèce fait peser un risque inacceptable de déflagration. Pouvons-nous échanger à ce sujet ?
On le voit, il n’y a là rien qui prête à rire ou à sourire. Le sujet est sérieux. Il s’agit de parler de la Grèce, de l’Europe et du rôle de la France. Il s’agit de parler de « l’intérêt général de notre pays ». Le ton de la lettre est courtois : il est celui d’un élu du peuple français, Jean-Luc Mélenchon, s’adressant à un autre élu du peuple français, François Hollande, qui se trouve être chef de l’État.
Le titre débilitant de l’Opinion
Pourquoi, dès lors, L’Opinion commence son titre par ces mots débilitants : « À bout » ? En quoi Jean-Luc Mélenchon apparaît-il « À bout » ? Faut-il toujours que Jean-Luc Mélenchon soit une caricature médiatique ? Qu’il soit « en colère », qu’il « éructe », qu’il « vocifère » ? Pourquoi ne peut-il avoir droit au respect que montrent les médiacrates aux autres représentant du peuple ?
Bien-sûr, je connais comment fonctionne le système médiatique. Je sais que ça fait cliquer et que ça fait vendre, de mettre « À bout » dans un titre. Et, quoi que n’ayant pas lu l’article, je peux faire le pari qu’il parle de la dernière note de blog de Jean-Luc Mélenchon dans laquelle ce dernier explique combien, parfois, le combat politique peut être pesant. Je fais ce pari-là parce que je sais que Béatrice Houchard, co-auteure de l’article concerné, a lu cette note de blog puisqu’elle a fait un tweet sur le sujet :
De l’art de relativiser une « victoire » électorale, ou la leçon de lucidité de @JLMelenchon. http://t.co/5JGsWkbpXH #Doubs
— Béatrice Houchard (@beache3) 9 Février 2015
Mais quel rapport, alors, entre cette note de blog du 9 février, qui parle des élections dans le Doubs et la lettre du 4 février ? Quel lien entre cette note, dans laquelle Jean-Luc Mélenchon écrit « cela me pèse » (et non pas « je suis à bout »), et la lettre écrite cinq jours plus tôt ? Peut-être tout cela est-il détaillé dans l’article, mais qu’est-ce que ça change puisque le titre triche ?
Une photo d’illustration tirée de l’enterrement de Charb
Allons plus loin. Regardez la photo. Objectivement, Jean-Luc Mélenchon a l’air triste. En effet, ce ne serait pas trop dire qu’il a l’air « à bout ». Sauf que, voilà, j’avais déjà vu cette photo quelque part. Et elle n’est pas relative à n’importe quel événement : il s’agit de l’enterrement de Charb, au cours duquel Jean-Luc Mélenchon avait été invité à prendre la parole et avait fait un vibrant hommage. Voici une capture d’écran d’un diaporama réalisé par L’Obs et dans lequel apparaît cette photo.
Conclusion
Quel rapport, donc, entre une photo de l’enterrement d’un camarade le 16 janvier, une lettre écrite le 4 février et une note de blog écrite le 9 février (la note de blog, je ne suis pas sûr à cent pour cent qu’il en soit question dans l’article, mais je prends le pari) ? Réponse : aucun. Aucun rapport. Et on se demandera si illustrer un article de politique avec la photo de l’enterrement d’un camarade ne tient pas un peu du sadisme. Ou de l’absence totale de connaissance de ce qu’est un être humain, ce qu’est effectivement Jean-Luc Mélenchon, pour rappel.
La « câlinothérapie » le jour de l’enterrement d’un camarade, d’un partenaire de lutte, ça peut se comprendre. Charb était des nôtres. Mais quel rapport entre la photo de cet événement et la lettre au président de la République ? Quel rapport entre ça et la note de blog sur le Doubs ? Quel rapport entre tous ces éléments ? Aucun. Encore une fois, aucun. Il s’agit de vendre du papier. Derrière, il y a des idées qui en pâtissent, réduites à l’expression d’humeurs alors qu’il s’agit de réflexions au service de l’intérêt général. Et encore derrière les idées, ou plutôt en-dessous d’elles, il y a des hommes et des femmes qui les portent. Et à force de les traiter comme ça, on comprendra aisément qu’ils puissent être « à bout ».