Le 23 juin 2013, Le Lab d’Europe 1 publiait un article intitulé : « Contre l’inconfort des avions, Jean-Luc Mélenchon a décidé de voyager en classe affaire ». Le papier a fait le tour des rédactions à toute vitesse et les articles sur ce sujet primordial se sont multipliés un peu partout sur le net : Le Point et L’Express, notamment, s’en sont donné à cœur joie. J’aimerais ici analyser le petit « buzz » qui s’est créé autour de cette (classe) affaire et mettre en avant à la fois les logiques qui sous-tendent ce genre de publications et les conséquences qu’elles peuvent avoir d’un point de vue politique.
Au commencement de cette histoire, il y a un reportage du « 13:15 » de France 2 sur la visite de Jean-Luc Mélenchon au salon du Bourget. De cette visite qui a duré environ cinq heures, les journalistes de France 2 ont décidé de ne conserver que trois petites minutes au milieu desquelles se trouvent les 23 secondes qui ont ensuite fait le tour du net. Chez France 2, je ne crois pas qu’il y ait eu délibérément intention de nuire : les passages qui ont été sélectionnés alternent des moments « sérieux » et d’autres qui le sont moins. Les 23 secondes font partie de cette deuxième catégorie.
Chez Le Lab d’Europe 1, en revanche, l’intention de nuire est évidente : le titre est aguicheur et tord la réalité, les citations mises en exergue font tout pour donner l’impression que le coprésident du Parti de Gauche vit « dans un autre monde » ou, pour être plus concret, « dans le monde des riches ». Le lendemain de la publication de l’article, une vidéo de France TV Info isolant les 23 secondes concernées du documentaire de France 2 est insérée dans le corps du texte. Je l’ai dit plus haut, ce petit extrait vidéo va ensuite faire le tour des rédactions web et être partagé sur le net.
Jean-Luc Mélenchon « voyage en classe affaire » by francetv info
Cela étant dit, essayons maintenant d’analyser ce qui sous-tend la publication de l’article du Lab et la viralité qu’a pu avoir cette « information ». D’abord, il faut comprendre qu’il y a derrière tout cela une logique de marché : dans les rédactions web, on choisit de publier avant tout des articles qui « font vendre », c’est-à-dire des articles qui vont être lus et partagés par les internautes, ramenant ainsi un nombre conséquent de visiteurs qui vont voir les publicités associées aux pages sur lesquelles sont publiés les articles considérés. Or, pour qu’un article soit lu et partagé le plus possible, il faut en rajouter, surtout dans le titre : ainsi, il y a de fortes probabilités qu’un article intitulé « l’avion du Front national » soit plus lu qu’un article intitulé « Comment Le Lab d’Europe 1, dépendant d’une logique de marché, fait-il (sans le savoir) le jeu du Front national en publiant un article sur Jean-Luc Mélenchon ? ».
Voilà pour ce qui est visé, d’une manière générale, dans la publication d’un article. Mais dans le cas étudié ici, pourquoi pense-t-on qu’un article dont le titre contient « Jean-Luc Mélenchon a décidé de voyager en classe affaire » fait vendre ? Quel est le présupposé qui sous-tend cette idée commerciale ? C’est très simple : si le coprésident du Parti de Gauche voyage en classe affaire, c’est donc qu’il en a les moyens financiers, c’est donc qu’il n’est pas pauvre, c’est donc que lorsqu’il défend les pauvres, il ne sait pas de quoi il parle. Là est le fond de l’affaire. Là est le présupposé (conscient ou non) qui sous-tend tous les articles qui ont été publiés sur ce thème. C’est, d’ailleurs, un élément auquel Jean-Luc Mélenchon est malheureusement habitué, et l’on a pu constater il y a quelque temps qu’il était celui qui subissait le plus de pressions médiatiques pour publier son patrimoine – ce qu’il a d’ailleurs fait avec humour.
Qu’on y songe deux minutes : aurait-on considéré, dans telle ou telle rédaction web, que le fait que François Fillon, Jean-François Copé, François Bayrou, Jean-Louis Borloo ou Harlem Désir voyagent en classe affaire constituait une information qui méritait d’être publiée ? Réponse : non. Tout le monde s’en fout. C’est parce qu’il s’agit de Jean-Luc Mélenchon et parce que ce Jean-Luc Mélenchon a décidé de s’en prendre aux écarts de richesse qu’il devrait être contraint à « jouer au pauvre » en permanence. Il y aurait là un mépris des classes laborieuses et un populisme évident mais qu’importe : quand tu défends les pauvres, tu dois faire le pauvre, sinon t’es pas crédible. Voilà en tout cas le message que les médias essaient de faire passer, relayant au second plan le sens que l’on peut avoir (ou pas) de l’intérêt général indépendamment de son niveau de revenu.
Evidemment, quand on publie ce genre d’idiotie, la mayonnaise prend immédiatement : celles et tous ceux qui détestent Jean-Luc Mélenchon s’en sont donné à cœur joie. Sur Twitter, un hashtag « #CommeMélenchon » a même été lancé, sur lequel ont été publiées nombre d’attaques pleines d’ironie, toutes plus drôles les unes que les autres, et qui ont d’ailleurs fini par avoir l’avantage, dans leur accumulation, de montrer le ridicule qu’il y avait à utiliser l’angle du portefeuille pour s’en prendre au coprésident du Parti de Gauche.
Ceci posé, j’aimerais maintenant que nous nous arrêtions un instant sur les conséquences politiques que peuvent avoir ce type d’articles. Reprenons le cheminement : dans la rédaction du Lab, on estime que l’article « Mélenchon en classe affaire » va « se vendre » parce qu’il est censé mettre à bas l’idée que le coprésident du Parti de Gauche puisse être sincère lorsqu’il défend les pauvres. En le publiant, on sait donc très bien que l’on apporte du grain à moudre aux divers opposants politiques de Jean-Luc Mélenchon et on fait le pari (économique) qu’il va être partagé par un groupe de personnes allant des sympathisants de l’extrême droite à ceux du PS. Il est évident qu’il y a là une intention de nuire (puisque, je l’ai dit plus haut, « Fillon en classe affaire » ne constitue pas une information et qu’il y a donc un traitement particulier réservé à Jean-Luc Mélenchon).
J’ai l’intime conviction que, dans la tête de celles et ceux qui ont fait le choix de publier cet article, le raisonnement s’arrête là. Je crois que c’est le genre d’endroits où l’on dit : « les extrêmes, c’est dangereux », sans jamais se poser la question de savoir ce qui est « extrême » ou, même, de savoir si c’est vraiment dangereux des deux côtés. Je ne pense pas, donc, qu’en publiant cet article, la « journaliste » du Lab ait pensé un seul instant que les seules conséquences politiques plausibles de son papier étaient soit de donner un coup de pouce au Front national soit de pousser à l’abstention. C’est pourtant bien le cas.
Outre l’objectif économique, il me semble évident que la publication de cet article relève d’une volonté de faire en sorte que les électeurs se détournent de Jean-Luc Mélenchon et du Front de Gauche. Le problème est ensuite de savoir vers qui ils se tourneront, et je crois que c’est là l’impensé fondamental des pyromanes qui publient ce genre d’article. En effet, si une personne est touchée par l’« argument » : « Mélenchon = nanti, ne votez pas pour lui », je doute qu’elle se tourne ensuite vers le PS ou l’UMP. A mon avis, elle ne se dirigera que vers deux options : soit renoncer complètement en se disant « tous des nantis, j’arrête de voter », soit voter pour celle qui dit en substance : « tous pourris sauf moi » et qui feint d’être « du peuple », bien qu’ayant passé l’essentiel de sa jeunesse dans le luxueux château de Montretout.
La chose serait neutre si le même acharnement médiatique était appliqué au portefeuille de Marine Le Pen. Sauf que voilà, pour une raison qui m’est inconnue, rares sont ceux qui creusent de ce côté-là. Du moins, quand la chose est faite, et ça arrive, l’audience et les reprises restent faibles, trop occupés que sont sans doute les journalistes à donner dans la dédiabolisation de la présidente du Front national. Pour rendre les choses très concrètes, on peut prendre un exemple récent de différence de traitement, sur ce point, entre les deux anciens candidats à la présidentielle : si Marine Le Pen possède un patrimoine à l’évidence bien plus important que celui de Jean-Luc Mélenchon, les titres d’un même journal montrent que seul le second serait illégitime à détenir des biens. En 2012, L’Express titrait ainsi « Mélenchon n’est pas trop plébéien » pour le coprésident du Parti de Gauche alors que la présidente du Front national avait droit à un très neutre : « Patrimoine : Marine Le Pen a le goût de la pierre » ; à lire le contenu de ces deux articles, on s’apercevait pourtant que le moins « plébéien » (sic) d’entre eux était bien la présidente du Front national.
Qu’il s’agisse du patrimoine ou du moyen de transport, les journalistes apprécient donc particulièrement l’exercice qui consiste à taper sur Mélenchon, et ce pour deux raisons : premièrement, c’est vendeur ; deuxièmement, ça permet de se venger un peu de celui qui attaque régulièrement leur corporation. La conséquence, que je pense non souhaitée, est à mon sens de pousser soit à l’abstention soit à voter FN. Paradoxalement, cet acharnement médiatique sur le patrimoine de Jean-Luc Mélenchon et/ou les modes de transport qu’il utilise me semble bien montrer qu’il a bel et bien été, pendant la campagne, le candidat des plus démunis. Sans quoi le fait qu’il n’ait pas envie de se casser le dos ne constituerait même pas un commencement d’« information ».