Monsieur le Président de la République,
Un engagement devant l’Histoire
Accorder le droit de vote, pour les élections locales, aux étrangers non-communautaires résidant légalement en France depuis cinq ans est le cinquantième de vos soixante « engagements ».
Contrairement à Monsieur Mitterrand, qui avait fait le choix de parler de « propositions », le terme que vous avez utilisé vous contraint sur la période de votre quinquennat : au terme de votre mandat, si vous n’avez pas réalisé cette promesse récurrente de la gauche depuis 1981, vous aurez failli dans votre volonté d’être le Président du changement.
Il ne s’agit pas d’un acte symbolique mais de la poursuite d’un mouvement historique qui a vu sans cesse s’accroître le corps électoral pour passer de 100 000 hommes en 1830 à près de 45 millions d’hommes et de femmes aujourd’hui. L’extension du suffrage s’est réalisée dans deux dimensions : l’une verticale, par l’abaissement du cens jusqu’à sa disparition ; l’autre horizontale, par l’extension du droit de vote aux femmes en 1944, par l’abaissement progressif de l’âge de la majorité, et enfin par l’extension du droit de vote aux étrangers communautaires aux élections locales. Vous avez aujourd’hui, Monsieur le Président, la possibilité de poursuivre ce mouvement historique d’élargissement du corps électoral ; ne pas saisir cette opportunité serait une erreur aux yeux de l’Histoire et de la démocratie.
La République
Bien sûr, les sirènes de la droite et de l’extrême droite hurlent aujourd’hui contre vous, vous accusant de vouloir détruire une cohésion nationale qu’elles estiment menacée. Il n’y a là rien d’étonnant ni d’original : bien souvent, lorsqu’un pas a été effectué vers l’élargissement du suffrage, les forces réactionnaires de la droite se sont opposées à la marche en avant de la démocratie, de l’égalité et de la fraternité. Cette dynamique a pourtant continué, vaille que vaille, grâce à la volonté d’hommes et de femmes courageux qui se sont battus, tantôt dans la rue, tantôt au sommet de l’État, pour permettre l’accès du plus grand nombre aux bureaux électoraux ainsi qu’une participation populaire toujours plus large aux grandes orientations de notre pays.
L’UMP affirme aujourd’hui dans une pétition que le droit de vote des étrangers est « contraire à notre tradition républicaine » et qu’« en France, le droit de vote est depuis toujours indissociable de la citoyenneté ». Pourtant, pour qui a bien étudié l’Histoire, il est évident que la question du droit de vote des étrangers est tranchée dès la première de nos Constitutions républicaines. Cette Constitution, celle de l’an I, celle de la Convention, celle des révolutionnaires, celle des progressistes qui luttaient contre l’obscurantisme de la réaction royaliste, – cette Constitution ô combien démocratique, républicaine et sociale, – accordait le droit de vote aux étrangers résidant et travaillant en France depuis un an. Un an, pas cinq ! Aux élections nationales, et pas seulement locales !
Dès les fondements de notre République, le droit de vote est donc reconnu aux étrangers. La Constitution de l’an I précise : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ». On le voit : si le droit de vote est effectivement « indissociable de la citoyenneté », l’UMP se trompe lorsqu’elle affirme que le droit de vote des étrangers est « contraire à notre tradition républicaine ». J’irai même plus loin : c’est leur refuser cet accès au vote qui est antirépublicain.
L’intégration
La droite dit encore que permettre aux étrangers résidant en France depuis cinq ans de participer aux élections locales, c’est encourager le communautarisme. Au-delà de l’aspect électoraliste de ces propos, dans la course à la conquête de la présidence de l’UMP, il faut malheureusement voir, ici encore, une méconnaissance flagrante de notre Histoire républicaine : au XIXe siècle, alors que la République renaissait de ses cendres après la Restauration, le suffrage universel masculin était perçu comme un moyen de pacifier la société française, en permettant à chacun de s’exprimer par le vote et non pas par la lutte armée. C’est là tout le sens de la fameuse gravure de Bosredon, L’urne et le fusil, qui figure un citoyen abandonnant son arme au profit de son bulletin de vote. Qu’on se le dise à droite : l’accès au vote est une porte d’entrée dans la communauté, pas dans le communautarisme ; c’est un outil d’intégration, pas de division !
Monsieur le Président, en ces temps d’austérité budgétaire où la rigueur semble être devenue un dogme intouchable, accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales est sans doute la politique d’intégration la plus efficace et la moins onéreuse que vous pourrez mettre en œuvre durant votre quinquennat. Ce n’est pas une option : c’est l’un des engagements pour lesquels vous avez été élu en mai. Ce n’est pas un cosmétique sociétal : c’est une nécessité républicaine, sociale et démocratique.
Ceux qui travaillent, ceux qui participent, par l’impôt, à l’enrichissement de la nation, au financement de nos écoles, de notre Sécurité Sociale, de notre système de retraites par répartition, ceux-là doivent avoir le droit de participer à la vie politique de la communauté dans laquelle ils vivent depuis cinq ans. C’est en ne leur donnant pas ce droit que l’on attise le communautarisme, car le message que la France leur envoie est que s’ils sont les bienvenus dans l’économie, ils ne le sont pas dans la République. Et dire cela, ce n’est pas prôner un rétablissement du cens : c’est au contraire franchir une nouvelle étape de la marche historique vers un élargissement du corps électoral toujours plus poussé.
La Constitution
Bien-sûr, il reste à franchir une barrière institutionnelle. En effet, puisque l’article 3 de notre actuelle Constitution dispose que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques », accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales exigera nécessairement une révision constitutionnelle qui ne peut être obtenue que par un vote du Parlement réuni en Congrès (art. 89 C.) ou par la voie référendaire (art. 11 et 89 C.).
S’appuyant sur cette barrière institutionnelle, votre gouvernement temporise en invoquant les sondages, pour la voie référendaire, et l’absence d’une majorité de gauche des trois cinquièmes, pour la voie parlementaire. Pour ce qui est du second argument, sans doute faut-il rappeler à votre gouvernement que s’il est exigé une majorité aussi large pour les modifications constitutionnelles, c’est précisément pour éviter que des décisions arbitraires puissent être prises par une formation politique unique (même si ce système présente des limites que nous avons pu constater durant le quinquennat précédent) et pour la pousser à dialoguer avec les forces qui lui sont opposées.
Pour ce qui est de l’argument référendaire, il semble que votre gouvernement ait une conception bien étrange de la démocratie. Ne soumettre une proposition à référendum que lorsque l’on est (quasiment) sûr qu’elle sera adoptée, ce n’est pas faire un référendum : c’est faire un plébiscite. Le rôle du Président de la République – votre rôle – n’est pas de faire passer en force ses engagements, mais de convaincre qu’ils sont nécessaires et utiles à l’intérêt général. Un référendum, Monsieur le Président de la République, doit être précédé d’un débat national dans lequel des arguments sont échangés publiquement ; c’est ensuite au peuple et au peuple uniquement qu’il appartient de choisir – en aucun cas aux instituts de sondages.
De l’audace !
Pendant la campagne pour l’élection Présidentielle, vous avez eu le courage, face à votre principal adversaire, de ne pas vous renier sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales. A l’heure où l’UMP semble nostalgique de son ancien chef, peut-être est-il bon de se rappeler que votre prédécesseur à l’Élysée était favorable à une telle extension du droit de vote, avant de faire marche arrière pour des motifs électoralistes. Avez-vous d’ores et déjà perdu, Monsieur le Président, le courage que vous sembliez avoir en mai ? Vous représentiez alors l’espoir du changement pour des millions de Françaises et de Français.
Certes, alors que des tensions nationalistes et identitaires semblent réapparaître dans notre pays, il peut sembler risqué de proposer un référendum sur une question qui pourrait cristalliser ces tensions. Cet argument doit être entendu, y compris par ceux qui vous poussent – peut-être, eux aussi, pour des raisons électoralistes – à effectuer cette réforme avant les élections municipales de 2014. Les réactions identitaires sont malheureusement le lot de toutes les crises économiques, et il serait délétère de ne pas prendre cet élément en considération. Mais ce qui manque clairement, à l’heure actuelle, dans votre discours (et dans celui de votre gouvernement), c’est l’affirmation que vous avez toujours la volonté de tenir votre cinquantième engagement.
Faute d’une telle affirmation, les citoyens finiront par s’impatienter et par se détourner pour de bon de la vie politique de notre pays. Vous qui semblez accorder une si grande importance aux enquêtes d’opinion, vous devriez regarder combien d’électeurs de gauche – vos électeurs, quoi qu’on en dise, – demeurent favorables à l’extension du droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Ils sont plus de 70% et certains attendent depuis plus de trente ans. Ne les décevez pas. C’est votre devoir devant l’Histoire, la démocratie et la République.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes plus respectueuses salutations.