Dans son édition datée des 25 et 26 décembre 2014, Le Monde a décidé de parler de Syriza et Podemos, deux partis politiques de la gauche radicale, respectivement grec et espagnol, qui sont aux portes du pouvoir dans leur pays. Neutre et objectif, Le Monde titre sobrement son édition : « Grèce, Espagne : l’envolée de la gauche radicale affole l’Europe ». Signe de cet « affolement », Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne, a déclaré en gros qu’il préfèrerait que Syriza n’arrive pas au pouvoir en Grèce. Un événement sur lequel Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs directement interrogé l’intéressé dans une question à la Commission européenne.
L’accroche de « une » et l’article qui concernent Syriza et Podemos sont un exemple typique du militantisme politique dont fait régulièrement preuve Le Monde à l’égard des forces politiques antilibérales. Exit, donc, la prétendue « neutralité » dont se revendique le journal : ici, on a affaire à un discours politique sur deux partis étrangers. La rhétorique d’opposition à ces partis s’appuie sur trois grands éléments : premièrement, une diabolisation de Syriza et Podemos, qualifiés de partis « extrémistes » et limite xénophobes ; deuxièmement, une ridiculisation des électeurs de ces partis ; troisièmement, l’affirmation que l’extrême droite est « plus anti-système » que la gauche radicale. L’ensemble s’appuie sur la parole d’« experts » dont on verra qu’ils ne sont pas neutres politiquement.
Comme ce post de blog est un peu long, voici un menu qui vous permettra d’accéder directement à la ou les sections qui vous intéressent le plus :
Syriza et Podemos sont des partis dangereux
Des partis « extrémistes »
Des partis « populistes »
Des partis « eurocritiques » qui « affolent l’Europe »
Des partis limite xénophobes
Les électeurs de Syriza et Podemos sont un peu cons
Des électeurs « épuisés »
Des électeurs has been
Syriza et Podemos sont des révolutionnaires en peau de lapin
Des « experts » libéraux pour parler de la gauche radicale
Dominique Reynié, directeur de la Fondapol
Yves Bertoncini, directeur de l’institut « Notre Europe »
Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême… droite
Pour aller plus loin, je recommande aussi vivement cet article d’Acrimed : « Grèce : la gauche radicale inquiète la presse »
Syriza et Podemos sont des partis dangereux
Des partis « extrémistes »
Alors que le Monde titre sur la gauche « radicale », adjectif qui correspond à peu près au positionnement politique objectif de Syriza et Podemos, l’expression « extrême gauche » est ensuite fréquemment utilisée. On compte pas moins de six occurrences de cette expression, laquelle est mise en opposition avec celle de « gauche modérée », c’est à dire la droite version Hollande.
L’utilisation du terme « extrême » pour qualifier la gauche radicale est un classique du genre. Il permet le plus souvent de mettre sur le même plan extrême droite et gauche radicale. Il va d’ailleurs généralement de pair avec un autre, qui a le même objectif : le « populisme ».
Des partis « populistes »
Un autre terme fréquemment utilisé pour discréditer la gauche radicale est ici employé. Il s’agit du mot « populiste », qui vise généralement à mettre sur le même plan l’extrême droite et la gauche radicale. C’est exactement ce qui est fait ici. Je ne résiste pas à l’envie de citer entièrement le passage où est employé le mot « populisme » : il constitue un exemple typique de mise sur le même plan de l’extrême droite et de la gauche radicale. Jugez plutôt :
« Ce populisme prend des formes diverses. Lorsque la critique des “élites bruxelloises” se traduit dans les pays du Nord (Suède, Danemark, Finlande) par un populisme d’extrême droite, elle se manifeste au Sud par cette gauche radicale qu’on croyait enterrée. »
Vous l’avez compris : gauche radicale = extrême droite = populistes. La ficelle est tellement grosse et usuelle qu’on en a fait un livre que je vous recommande vivement.
Des partis « eurocritiques » qui « affolent l’Europe »
Autre élément du discours politique développé par Le Monde : la dangerosité que constitueraient Syriza et Podemos pour l’Union européenne. Les lecteurs du Monde, dont chacun sait qu’ils sont des gens raisonnables, « pragmatiques », et (donc) proeuropéens doivent en avoir des sueurs froides. Voyez plutôt les expressions utilisées (c’est moi qui souligne) :
« L’envolée de la gauche radicale affole l’Europe » / « Jean-Claude Juncker a résumé les angoisses des institutions européennes » / « Les gauches radicales inquiètent Bruxelles » / « L’Europe en a des sueurs froides » / « À Bruxelles, cette escalade fait frémir » / « Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ne s’est pas privé de faire part de ses craintes »
On le voit : le champ lexical relatif à la peur est ici utilisé : « affoler », « angoisses », « inquiéter », « sueurs froides », « frémir », « craintes ». L’ensemble donne l’idée de partis effrayants, dangereux.
Des partis limite xénophobes
Conséquence quasi « logique » des trois points précédents pour les médiacrates : ces partis sont limites xénophobes. En tout cas, ils flirtent un peu avec ça. En tout cas, il y a quelque chose de louche. Enfin bref, ils sont xénophobes au fond, mais juste ils n’osent pas trop.
Il est par exemple écrit que « L’antigermanisme est un moteur fort de ces mouvements ». Ainsi, alors qu’Alexis Tsipras et Pablo Iglesias (respectivement leaders de Syriza et Podemos) critiquent, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, l’Allemagne en tant que puissance dominante en Europe, qui impose ses vues sur l’Union européenne toute entière, le Monde y voit un « antigermanisme ».
Mais la journaliste du Monde va encore plus loin. Elle écrit : « L’ancrage historique de la gauche l’empêche de tenir un discours nationaliste ou xénophobe. (…) Cette position priverait-elle la gauche radicale d’une partie des électeurs, attirés par les positions plus dures de l’extrême droite ? “Elle vit dans le mythe du changement de l’Europe” se désole Aurélien Bernier (…), qui aimerait que le mouvement se positionne plus radicalement contre l’UE et sa monnaie ». Ainsi, un glissement sémantique important est ici opéré : une critique de l’UE et de sa monnaie devient « un discours nationaliste ou xénophobe ». Le manque de transition est sidérant.
Et la journaliste de conclure sur ce thème, en fin d’article : « Pour durer, certains imaginent que les partis de la gauche radicale pourraient bien, tôt ou tard, être tentés de flirter avec les idées nationalistes. Le Front national ne s’est-il pas rapproché de l’extrême gauche sur les sujets économiques ? M. Reynié redoute ce scénario ». La boucle est bouclée : à la fin, extrême droite = gauche radicale.
Les électeurs de Syriza et Podemos sont un peu cons
Pour jeter le discrédit sur Syriza et Podemos, Le Monde passe par les électeurs de ces partis. Alors qu’il s’agit de formations politiques récentes (Syriza a été créé en 2004 et Podemos en 2014), alors que ces deux formations sont données en tête des sondages, il s’agit ici de ringardiser leurs électeurs et de les faire passer pour des gens qui agissent par pulsions plutôt que par réflexion.
Des électeurs « épuisés »
Ainsi, Le Monde nous parle des « électeurs épuisés par des années de crise économique », des « électeurs épuisés par l’austérité » et des « électeurs épuisés par une rigueur imposée “d’en haut” ». J’indique ici à la journaliste qui a écrit l’article qu’il existe de nombreux synonymes pour remplacer le mot « épuisé ». Quoi qu’il en soit, on voit l’idée : on n’est plus très rationnel quand on est fatigué au point d’avoir juste envie de dormir. Du coup, on est prêt à s’en remettre à n’importe qui qui nous proposerait un peu de repos ou de répit. C’est ce que font Syriza et Podémos lorsqu’ils disent qu’il faut que la souffrance du peuple s’arrête. Mais évidemment, c’est irrationnel de ne pas vouloir souffrir…
Des électeurs has been
Non seulement voter pour Syriza ou Podemos c’est réaliser l’acte irrationnel d’une personne épuisée, mais en plus, c’est ringard. Comme vous le savez sûrement, la gauche radicale, c’est dépassé. Maintenant, la modernité, c’est « les réformes structurelles », « la compétition », « la réduction des déficits publics ». Cette politique libérale qui nous mène dans le mur depuis des décennies sans avoir jamais fait la preuve de son efficacité (à part pour augmenter le capital des plus riches), c’est ça, la modernité.
Du coup, nos « électeurs épuisés par une rigueur imposée “d’en haut” depuis Bruxelles », sont aussi « nostalgiques d’un État-providence généreux ». Mais ce n’est pas tout, car cette gauche radicale dont ils se réclament, « on [la] croyait enterrée ». Voilà voilà. Autre chose ? Oui : « Un quart de siècle après l’effondrement du bloc communiste, l’ascension de ces partis d’extrême gauche (sic) peut prendre des allures anachroniques ». Mais heureusement, nous dit-on, « nombre de ces mouvements, tels Podemos, se sont formés récemment, lâchant les thèmes les plus obsolètes » ; bon, il en reste encore quelques uns comme le souhait d’une société plus juste, la recherche de l’égalité, la fin de la misère, l’augmentation des salaires, les nationalisations, etc. Bref, des idioties d’utopistes anachroniques.
Syriza et Podemos sont des révolutionnaires en peau de lapin
Si un lecteur du Monde doit être terrorisé par ces deux dangereux partis qui font trembler monsieur Juncker et lui donnent des sueurs froides pendant son sommeil, nombre de gens doivent aussi se dire à la lecture de la première partie de l’article, que finalement, Tsipras et Iglesias sont sacrément cools : ils renvoient Merkel dans ses cordes, ils défendent l’État social, ils ne font pas de combines avec les partis du pouvoir… Bref, on pourrait voter pour des gens « comme eux » en France, genre Jean-Luc Mélenchon.
Du coup (et c’est un coup de force d’un point de vue rédactionnel), toute la fin de l’article consiste à dire en substance que ces partis apparemment dangereux pour le système ne le sont pas tant que ça et que, si on veut vraiment tout envoyer promener, il faut voter extrême droite. Concrètement, ça donne ça : « À écouter les experts (sic), cette gauche radicale n’est d’ailleurs pas si affolante qu’on l’imagine. En dépit d’un discours virulent contre Bruxelles, ces partis ne proposent pas, contrairement à l’extrême droite, de “détruire l’Europe de l’intérieur” ». On le voit, en vrai, si on veut tout envoyer promener, il faut plutôt voter pour l’extrême droite, c’est plus sûr.
D’ailleurs, nous dit-on, la gauche radicale ne mène à rien. « De fait, l’affaire “Luxleaks”, qui a révélé que l’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait orchestré un vaste système d’évasion fiscale au Luxembourg lorsqu’il en était Premier ministre, a beau avoir ulcéré les députés de la GUE, seuls les europhobes de droite (une centaine d’élus) sont parvenus à rassembler suffisamment de voix pour déposer une motion de censure contre lui ». Ce que ne dit pas l’article, en revanche, c’est que la GUE a bien déposé une motion de censure contre Juncker mais que celle-ci n’a pas reçu l’appui du PS et des Verts, ce qui a empêché qu’elle soit soumise aux votes. D’autre part, l’article ne dit pas que Jean-Luc Mélenchon, député européen, est en pointe sur l’affaire Luxleaks et a posé une question à la Commission européenne sur ce point le lendemain de la sortie de l’affaire.
Comble de cet article du Monde, le discours d’une communiste est dévoyé pour appuyer l’argument que l’extrême droite est plus efficace que la gauche radicale contre le système. Si ses citations avaient été placées au début, l’ensemble de l’article aurait été différent mais, placées à la fin, elles viennent appuyer l’idée qu’il vaut mieux voter extrême droite pour tout envoyer péter. Anne Sabourin déclare ainsi que « Syriza n’est pas un parti dangereux » et que « les marchés vont être mécontents, c’est sûr ». Elle déclare aussi que « la droite populiste a plus d’écho, car son discours est plus simple, voire simpliste »… bilan des courses, que fait la journaliste ? Elle prend la première partie de la phrase pour titrer une section : « La droite populiste a plus d’écho ». Conclusion : Syriza et Podemos sont des révolutionnaires en peau de lapin et de toute façon, c’est l’extrême droite qui va gagner. D’ailleurs, c’est un expert qui le dit : M. Bertoncini. Oh, mais il vient d’où cet expert ? C’est ce qu’on va voir maintenant.
Des « experts » libéraux pour parler de la gauche radicale
Hors Anne Sabourin, qui est partie prenante dans un discours sur la gauche radicale puisqu’elle est membre du PCF, trois « experts » et un auteur sont interrogés. L’auteur, c’est Aurélien Bernier, qui a écrit un livre intitulé La gauche radicale et ses tabous. J’ai montré plus haut comme son point de vue était dévoyé pour appuyer l’idée que Syriza et Podemos sont des partis limite xénophobes, je ne reviens pas dessus. De même, j’ai montré comment les propos d’Anne Sabourin étaient détournés de leur but initial. En revanche, pour les trois « experts », aucune mise à distance de leurs propos. Mais qui sont-ils ?
Dominique Reynié, directeur de la Fondapol
Il y a d’abord Dominique Reynié, le directeur de la fondation pour l’innovation politique (que vous connaissez peut-être sous le nom « Fondapol »). C’est lui qui parle de « la poussée populiste qui gagne le Vieux Continent ». Il est de ceux qui mettent dans un même sac l’extrême droite et la gauche radicale sous l’appellation « les populistes ». Regardons donc de plus près qui est ce monsieur.
La Fondapol se décrit elle-même sur son site internet comme « une fondation libérale, progressiste et européenne ». Donc déjà, les antilibéraux eurocritiques, qu’ils soient progressistes comme Syriza et Podemos ou qu’ils ne le soient pas, on peut faire une croix dessus. Toujours dans sa présentation, la Fondapol écrit : « La Fondation ne saurait limiter son activité à l’observation. Si elle doit prendre une part active au débat intellectuel, elle doit, à la différence d’un centre de recherche universitaire, être capable de formuler des propositions et des recommandations innovantes à l’adresse des acteurs politiques, économiques et sociaux, tant publics que privés, français et européens ». On le voit ici : la Fondapol est donc autant un acteur du « débat intellectuel » qu’un acteur de type lobbyiste qui cherche à imposer sa vision du monde à des acteurs politiques.
Un peu plus loin dans cette présentation, on trouve une section « Valeurs », ainsi rédigée : « Après l’effondrement du communisme, les gauches européennes sont confrontées à une impasse doctrinale. La globalisation économique et le vieillissement démographique affectent profondément le modèle social-démocrate, menacé de disparition. Il faut accepter une refonte du système social français. Pour autant, les écueils de la gauche ne favorisent pas le triomphe de la droite libérale. On assiste ainsi à une résurgence des discours hostiles à l’économie de marché et à de nouvelles crispations nationalistes, témoignant pour les droites européennes d’une crise d’identité qui appelle un profond travail de rénovation intellectuelle ». Je crois que c’est assez limpide pour que je ne commente pas davantage.
Mais ce n’est pas tout ! Car la Fondapol a un blog ! Et il est gratiné ! Parmi les derniers articles publiés, on trouve par exemple : « Réformistes de tout bord politique, unissez-vous derrière la “Loi Macron” ! », la fameuse loi qui veut nous faire travailler la nuit et le dimanche pour faire plaisir aux Chinois, à Merkel ou à Gattaz (on finit par ne plus trop savoir). Sur ce blog, on trouve aussi un article intitulé : « “Égalité” : LE totem français fait son grand retour escorté de tentations dangereuses », un article dans lequel est critiqué un Manuel Valls un peu trop social. Oui oui, ils ne tremblent pas des genoux à la Fondapol. Un dernier exemple croustillant ? Volontiers. Dans un article intitulé « La “fascination Mélenchon” : jusqu’à quand ? », le « phénomène Mélenchon » est qualifié d’« entreprise liberticide servie par une rhétorique d’intimidation ».
Et c’est au directeur de la Fondapol qu’on a demandé de parler de Syriza et Podemos.
Yves Bertoncini, directeur de l’institut « Notre Europe »
Autre « expert » interrogé : Yves Bertoncini, directeur de l’institut « Notre Europe ». Commençons par le commencement : l’institut « Notre Europe » porte en réalité un nom plus long : il s’agit de l’institut « Notre Europe – Jacques Delors ». C’est même dans leur logo, en page d’accueil de leur site. Pour faire court, l’institut Jacques Delors est au PS ce que la Fondapol est à l’UMP, le tout sur une ligne eurobéate et libérale.
Dans les instances dirigeantes de l’institut Jacques Delors (Conseil des garants, Conseil d’administration et Comité européen d’orientation), on trouve donc de nombreux « socialistes » : Martine Aubry, Jacques Delors, Pascal Lamy (qui a aussi été directeur de l’OMC) ou encore Pervenche Bérès (députée européenne PS qui a saboté la lutte contre la directive détachement des travailleurs). On y trouve aussi une perle : la célèbre Laurence Boone ! Mais si, souvenez-vous : après avoir été chef-économiste dans la banque Barclays puis chef-économiste Europe chez Bank of America Meryl-Lynch, elle a été nommée conseillère économique de François Hollande en remplacement… d’Emmanuel Macron, nommé ministre. On notera enfin que l’institut est financé par des institutions publiques françaises et européennes, mais aussi, entre autre, par GDF-Suez, entreprise du CAC 40.
Faisons court : que peuvent penser des sociaux-démocrates qui s’aperçoivent que des forces de la gauche radicale les écrabouillent complètement en Grèce et en Espagne ? Pas beaucoup de bien, évidemment. Monsieur Bertoncini, interrogé sur Podemos et Syriza est donc de ceux qui disent que ces partis n’ont pas d’avenir et qu’au final, c’est l’extrême droite (renommée ici « droite radicale ») qui va gagner : « Avec l’atténuation de la crise et de l’austérité, le mouvement refluera. La droite radicale a, elle, un ancrage plus structurel lié au malaise identitaire ». Évidemment, « l’atténuation de la crise et de l’austérité » viendra comme par magie.
Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême… droite
Dernier « expert » interrogé : Jean-Yves Camus. Le seul qui ne parle pas en tant que directeur de fondation machin-chose mais qui parle en tant que spécialiste d’une question donnée. Problème : son domaine de spécialisation, c’est l’extrême droite. Pourquoi, donc, être aller chercher un spécialiste de l’extrême droite pour parler de mouvements comme Syriza et Podemos ?
La réponse est assez simple : Jean-Yves Camus est de l’un de ceux qui mettent plusieurs choses différentes sur le même plan. Pour preuve son livre, publié en 2006 : « Extrémismes en France : faut-il en avoir peur », qui affiche sur sa couverture plusieurs post-it : « extrême gauche », « communautarisme », « islamisme », « intégrisme », « extrême droite »… Difficile de faire plus gloubi-boulga. Pour preuve aussi, son interview dans Metronews à l’occasion de notre marche pour une révolution fiscale du 1er décembre 2013.
Je ne connais pas bien l’auteur, n’ayant rien lu de lui. Il m’est donc difficile de me faire une opinion objective sur ses orientations politiques. Toutefois, on peut quand même s’interroger sur les raisons qui ont poussé la journaliste du Monde à interroger un spécialiste de l’extrême droite française pour parler de mouvements politiques de la gauche radicale grecque et espagnole…
Conclusion
Une nouvelle fois, Le Monde réalise un travail consciencieux de sape de mouvements de la gauche radicale. Nous en avons fait les frais à plusieurs reprises, notamment avec une diabolisation en règle de Jean-Luc Mélenchon la veille de notre marche du 5 mai 2013 pour la 6e République. Comme toujours, ce sont de vieilles techniques qui sont utilisées : d’abord, la diabolisation de mouvement qui sont « inquiétants » et « extrêmes » ; ensuite, une ridiculisation des électeurs de ces mouvements, qui agissent par « colère », par « ras-le-bol », par « épuisement », mais jamais par logique et réflexion ; enfin, une mise sur le même plan avec l’extrême droite, pour dire qu’au final, l’extrême droite est ce qu’il y a de plus dangereux pour le système.
Pour valider tout ça, est utilisé à la fois la parole « d’experts » qui soit sont des opposants politiques objectifs (on ne va pas me dire qu’un libéral eurobéat porte dans son cœur un Pablo Iglesias, un Alexis Tsipras ou un Jean-Luc Mélenchon), soit ne sont pas des spécialistes de la question, soit sont partie-prenante de la question mais voient alors leurs propos sont détournés. Christian Salmon, l’un des tout premiers signataires de l’appel pour la 6e République, en avait fait les frais dans un numéro où Libération titrait « Mélenchon pour la purification éthique ». À tel point qu’il avait dû publier un droit de réponse sur son blog pour préciser son propos, tant il avait été dévoyé par Libération.
Qu’on me comprenne bien : le problème, dans le fond, n’est pas que Le Monde développe un discours politique sur des formations de la gauche radicale. La liberté de la presse doit être absolue, dans les limites prévues par la loi et je suis l’un des plus fervent partisan du journalisme engagé, où l’auteur d’un article dit ce qu’il pense de tel ou tel phénomène et explique pourquoi. Le problème est que Le Monde développe un discours politique en conservant toujours l’apparence de la neutralité, ou de l’objectivité et qu’il apparaisse comme un journal de référence, qui impose plus ou moins directement sa ligne éditoriale aux autres qui l’imitent. On a vu, déjà, la puissance déflagratrice de quatre ans de dédiabolisation du Front national après l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti.
En 1920, deux ans avant l’arrivée au pouvoir de Mussolini, Antonio Gramsci écrit : « La phase actuelle de la lutte des classe en Italie est celle qui précède soit la conquête du pouvoir par le prolétariat révolutionnaire (…) ; soit une terrible réaction de la part de la classe possédante et de la caste gouvernementale ». Pour l’Espagne et pour la Grèce, Le Monde a, semble-t-il, déjà choisi son camp.