Inauguration du local de la France insoumise à Perpignan

Inauguration du local LFI à Perpignan : notre stratégie face au RN

Ce samedi 18 novembre 2023, la France insoumise a officiellement inauguré à Perpignan le premier local départemental dont elle s’est rendue propriétaire. Cet évènement est la première pierre posée d’une campagne nationale du mouvement que j’ai l’honneur de mener aux côtés de ma camarade Anaïs Belouassa Cherifi. Il est aussi et surtout le fruit d’une stratégie politique et d’un patient travail collectif sur lesquels je veux revenir ici. 

Tout commence avec les « Amfis 2022 », c’est à dire les universités d’été de la France insoumise. Lors de cet évènement, qui fait suite à la campagne présidentielle dans laquelle Jean-Luc Mélenchon a rassemblé 8 millions de voix (22%) sur son programme et sur son nom, la question est posée aux militants insoumis sur les moyens matériels dont ils ont besoin pour « Faire mieux » sur le terrain. La demande de pouvoir disposer de locaux revient beaucoup, en particulier dans les départements dits « ruraux », c’est-à-dire où il y a un ou deux pôles urbains et tout autour des villes et villages de taille bien moins importante. 

Cette demande militante faisait écho à un besoin que j’avais moi-même ressenti lors des campagnes que j’avais pu mener à Châteauroux, dans le département rural de l’Indre (217 000 habitants), et que je ressens aujourd’hui pour le Sud de l’Essonne, autour d’Étampes, qui a toute les caractéristiques d’une zone rurale dans un département pourtant très urbain et connecté à la capitale par des réseaux de transports. Comprenant bien cet enjeu, je me suis donc proposé au mouvement insoumis pour prendre en charge cette lourde tâche : doter chaque département d’un local LFI d’ici 2027. Cette campagne a été proposée au mouvement lors de l’assemblée représentative de décembre 2022, et j’ai à ce moment rejoint la coordination des espaces avec la responsabilité de la mener à bien. 

Un an plus tard, à l’approche de l’assemblée représentative de décembre 2023, je crois utile de faire ici un bilan matériel et politique de cette campagne. Je le crois d’autant plus utile qu’elle permet de répondre à des critiques qui étaient formulées il y a un an sur le mouvement insoumis, ou qui le sont parfois encore – avec souvent beaucoup de mauvaise foi et d’ambitions personnelles mal dissimulées. 

Combattre le RN dans la ruralité

L’une des critiques qu’on entendait beaucoup l’année dernière, et qu’on entend moins aujourd’hui, c’est l’idée que la France insoumise aurait « délaissé » les territoires ruraux au profit des quartiers populaires. En cause dans cette remarque : les résultats de LFI à la présidentielle et aux législatives, quoique nous ayons emporté bien des victoires dans ces départements ruraux à commencer par l’élection de ma camarade Catherine Couthurier dans l’un des départements les plus ruraux de France, la Creuse (117 000 habitants, une seule députée), ou encore par celle de mon camarade Léo Walter dans les Alpes-de-Haute-Provence (100 communes dans sa circonscription).

Mais ne nous voilons pas la face : il est vrai que nos résultats dans certaines zones dites « rurales » (pas toutes, loin de là) sont moins bons que dans des territoires plus urbanisés. Et il ne fallait pas être un foudre de guerre pour pouvoir l’anticiper, compte tenu du fait que l’une des constantes sociologiques lourdes des quartiers populaires est d’avoir une population jeune et active tandis que les zones rurales ont une population de plus en plus vieillissante et, souvent, retraitée… et qu’une autre constante de la sociologie politique est que les « jeunes » votent plus à gauche que les « vieux ». Une simple lecture alors de L’Ère du peuple et aujourd’hui de Faites mieux ! est également éclairante sur ce sujet avec ce que développe Jean-Luc Mélenchon dans ces deux ouvrages sur la théorie de la révolution citoyenne et les liens qu’entretiennent les individus avec les réseaux qui leur permettent de produire et reproduire les conditions matérielles de leur existence. 

Mais pour certains analystes, la cause de cette différence de résultats entre les territoires urbains et ruraux était d’abord et avant tout discursive. On aurait, dans cette campagne présidentielle, trop parlé des quartiers et pas assez de la ruralité. À mes yeux, ce n’est pas le cas, et nombre de nos mesures programmatiques sont d’ailleurs directement destinées aux territoires ruraux, à commencer par l’objectif fixé pour l’État que plus personne n’habite à plus de 30 minutes d’un des services publics essentiels. Mais admettons, et partons de l’idée qu’un changement de discours aurait plus de poids qu’une amélioration des méthodes et moyens d’action des militants. 

Changer de discours n’est pas la solution

Changer de discours peut revêtir deux aspects. Un changement sur le fond ou sur la forme. On a compris que, dans l’obsession anti-Mélenchon que véhiculent certains, ce changement de discours revêtait d’abord une dimension de forme. Mélenchon parlerait trop fort, il serait trop ceci ou pas assez cela. Qu’il ait fait 8 millions de voix et que l’essentiel des députés NUPES ait été élus avec sa photo sur leurs tracts et affiches semble avoir été vite oublié. Il fallait pour certains passer à la suite et le plus vite possible puisqu’il avait dit aspirer à « être remplacé ». Et plutôt que d’y voir les paroles sages d’un responsable politique qui appelle à créer les conditions politiques de l’émergence d’un ou d’une remplaçant·e capable d’emporter la victoire, beaucoup ont d’abord vu midi à leur porte et se sont vus, eux, dans le rôle de celui ou celle qui doit porter sur ses épaules le poids immense de l’espoir de tout un camp politique. « Moi, je peux faire mieux et le remplacer » semblent s’être dit un certain nombre de personnes, à gauche, abîmés sans doute par la perversion médiatique des campagnes politique sous la Ve République où l’idée de « l’homme providentiel » est malheureusement indécrottable dans les cerveaux y compris des acteurs qui devraient la combattre jusque dans leurs propres têtes. 

Mais le changement de discours peut aussi revêtir un aspect de fond. Et c’est là que le bât blesse pour un insoumis. Car le programme est ce qui nous fédère et qui fédère la NUPES – au présent, car c’est ce qui la fédère encore malgré tout, indépendamment des forces centrifuges qui l’ont déjà faite exploser pour ce qui concerne les partis politiques qui la composent. Quand on touche au programme, on touche au ciment de la maison insoumise. Et c’est bien la raison pour laquelle c’est toujours d’abord sur des divergences programmatiques que les membres de la NUPES ont d’abord cherché à enfoncer un coin, à commencer – peut-on faire plus stupide ? – par s’en prendre à la retraite à 60 ans à taux plein pour 40 annuités… en pleine bataille des retraites ! Pour d’autres, le problème serait qu’on « parlerait trop des questions sociétales », c’est-à-dire, selon les mêmes personnes, qu’on parlerait trop des discriminations qui existent indépendamment des inégalités économiques. Une vue de l’esprit, bien sûr, car alors il faudrait parler moins d’antiracisme, parler moins des discriminations en raison du genre ou de la sexualité, etc. Hors de question pour un insoumis, bien sûr ! Mais l’idée est la même : pour convaincre, adoucir la forme ne suffirait pas, il faudrait aussi adoucir le fond pour ne pas « faire peur » (à ceux qui, dans le fond, ont un problème avec le sujet). 

Tout peut s’entendre, même si je ne partage pour ma part aucune de ces critiques. Mais ceux qui les portent manquent, je crois, d’esprit matérialiste. Car même un discours, pour être entendu, nécessite des moyens matériels. La voix ne se propage pas sans vibration des cordes vocales, lesquelles font vibrer l’air, lequel fait vibrer les tympans. Un discours politique ne se propage pas sans moyens matériels, c’est à dire sans réseaux sociaux, sans médias, sans tracts, sans livres, et surtout sans des milliers de militants partout en France qui se font les porte-parole dudit discours. « Changer de discours » implique donc – si c’est bien une stratégie pensée de manière globale et non pas juste la propagation d’une idée à la mode – d’avoir pensé les moyens matériels de la propagation du discours ainsi modifié. 

Le système médiatique est une partie du problème

Or, c’est là que réside le problème. Quand on veut toucher des populations rurales et, donc, plus âgées que la moyenne, il faut réfléchir aux moyens matériels qu’elles utilisent pour s’informer. Il s’agit souvent des médias traditionnels. La stratégie du « changement de discours » repose donc sur l’idée que le système médiatique se fasse le relai fidèle d’un discours et non qu’il cherche à le pervertir. Pour le dire de manière claire : cette stratégie repose sur l’idée que le système médiatique traditionnel fasse de l’information et non pas de la propagande. Or je crois que chacun peut constater aujourd’hui combien ce système médiatique en est incapable et qu’il transforme sans vergogne les discours insoumis pour le cessez-le-feu en quasi apologie du terrorisme ou de soutien inconditionnel au Hamas. Hors de toute réalité et, même, de toute once de déontologie. 

Il ne suffit donc pas de théoriser que le système médiatique est la deuxième peau du système et qu’il s’extrême-droitise : il faut avoir la cohérence politique et stratégique d’en tirer les conclusions. Non, jamais il ne sera honnête avec nous. Non, jamais il ne retransmettra fidèlement ce que nous disons. Non, il n’y a rien à gagner à copiner avec lui, encore moins à lui servir la soupe des « divisions internes » dont il se repaît avec délice. Il fait partie des adversaires politiques – j’insiste sur le mot – que nous combattons. Bien sûr, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac ; bien sûr, il y a ici ou là des « médias de gauche », des poches de résistance, ou même tout simplement des gens qui font encore leur travail avec un tant soit peu de déontologie, notamment dans la presse locale. Mais pour l’essentiel, compter sur ce système, c’est se lier les mains. L’utiliser, oui ; y participer pour faire passer notre discours auprès des gens qui le suivent encore, oui ; mais se bercer de l’illusion qu’il pourrait nous aider, non ; espérer ses louanges pour briller dans la bonne société, non. Le système médiatique obéit désormais au fouet de l’extrême droite. Elle parle, les macronistes courent après et les médias font la synthèse des deux pour nous poser des questions. Ils nous jugent et nous jaugent à partir d’un maître-étalon situé quelque part entre Zemmour et Le Pen pour CNews, quelque part entre Le Pen et Macron sur BFMTV, LCI et France Info ou, les meilleurs jours, quelque part entre Gérald Darmanin et Olivier Faure.

Les locaux au service d’une stratégie politique : convaincre pour gagner

Si l’on part de ces éléments matériels, la question de la progression de notre camp politique reste entière. Comment convaincre ? Comment « faire mieux » ? Pour ma part, je réponds que ce n’est pas en changeant de discours, au contraire, car le faire serait prendre le risque de décevoir ceux qu’on avait convaincus. Non, pour convaincre, il faut s’appuyer à mon avis sur deux choses : premièrement, la force grandissante des réseaux sociaux, qui permettent de faire passer un « contre-discours » face au rouleau compresseur médiatique ; deuxièmement, donner aux militants insoumis tous les moyens de faire leur travail de conviction sur le terrain. Je ne reviens pas sur le premier point ; je crois sur le sujet avoir fait ma part et continuer à la faire… au cours des dix dernières années, la France insoumise est devenue un mouvement capable de peser fortement dans la vie politique française, et elle l’a pu dans une certaine mesure grâce à un bon usage des réseaux sociaux. Mais c’est dans le deuxième point que tient toute entière la campagne d’achat des locaux. 

Le système médiatique fait de nous, insoumis, des pestiférés. Pour convaincre quelqu’un qui y croit, il faut aller le voir et discuter. Et le faire inlassablement, un par un. Convaincre ceux qui n’ont pas voté. Convaincre ceux qui ont voté pour quelqu’un d’autre. Convaincre, se battre, lutter. Pas : céder à la mode médiatique du moment. Car à la fin, la pente est certaine : comme on court après ceux qui courent après ceux qui courent après ceux qui courent après l’extrême droite, on finit par abandonner son propre camp. Ça ne se fait pas d’un coup. Ça se fait tout doucement, comme un glissement, comme une musique, comme un film. Et soudain, patatras, on a le résultat devant les yeux et on se demande comment on en est arrivés là. On se demande comment c’est possible un Manuel Valls ou un Julien Dray, mais on les a sous les yeux, on les voit, on sait : petit à petit, ils ont glissé jusqu’à sombrer dans l’abîme dont l’aboutissement est de faire chroniqueur CNews et d’appeler à voter Le Pen au deuxième tour face à Mélenchon ou n’importe quel autre insoumis qui serait face à elle.

Voici donc à quoi sert un local de la France insoumise : donner la force aux militants locaux de se battre, pied à pied, pour convaincre. Et les choix stratégiques que nous avons faits donnent je crois toute la mesure de l’enjeu. Nous voulons conquérir le pouvoir, et nous installons les locaux en priorité dans les départements où nous n’avons pas de députés insoumis mais où des victoires sont possibles aux élections législatives parce qu’on a manqué soit l’accès à un deuxième tour qui était gagnable, soit la victoire à un deuxième tour auquel on avait accédé. Car un local, c’est la possibilité de se réunir quand on veut, de stocker et distribuer le matériel, de recevoir les gens « en physique », de faire des réunions publiques, de faire des collectes et des distributions alimentaires, d’accueillir des associations, des syndicats et des partis politiques amis… bref : c’est un renforcement de l’organisation de terrain et des moyens d’action. 

J’ai tenu, personnellement, à ce que nous ouvrions le premier local dans les Pyrénées-orientales parce que c’est un symbole : le RN a fait élire quatre députés sur les quatre circonscriptions du département ; Perpignan est la plus grande ville conquise par le RN avec ses 120 000 habitants. Il y a tout à faire et tout à gagner là bas : aux européennes, aux municipales, à la présidentielle, aux législatives et après. J’espère que le local que nous avons implanté dans la ville y contribuera. Je pense en tout cas qu’il sera un point d’appui. Et à en juger par l’engouement des militants sur place et par le succès populaire de l’inauguration qui a réuni très largement et au-delà des seuls insoumis, je sais aussi que l’Union populaire est quelque chose qui se forge non pas dans les accords de coins de table entre directions politiques, mais dans l’énergie de l’action et dans l’espoir intact de la victoire collective. 

Je suis fier, vraiment, de tout ce que nous avons accompli avec Anaïs Belouassa-Cherifi et les militants locaux des Pyrénées-orientales. Je sais que tout le pays insoumis regarde avec envie ce qui s’est passé hier soir et espère que ça passe vite au département suivant… jusqu’à arriver au sien. Et j’assure ceux qui me lisent qu’on va faire aussi vite que possible. Les deux principales limites sont le temps contraint de mon agenda – mais ça, j’en fait mon affaire, ne vous inquiétez pas – et la contrainte financière car sans dons, nous n’avancerons pas. Je précise que c’est volontairement un financement national et non pas par département : on n’avance pas en priorité pour ceux qui sont les plus nombreux et les plus riches, mais pour ceux qui en ont le besoin le plus pressant (même si je ne doute pas que chacun pense être en haut de la liste pour cela). Sinon, les Franciliens auraient eu en premier un local parce qu’ils étaient les plus nombreux pour le financer ! Ce que j’espère au contraire, c’est que tous ceux qui disent, à raison, qu’il faut progresser dans la ruralité, participent à la campagne de financement afin d’accélérer, autant que faire se peut l’implantation de ces locaux sur tout le territoire. Si vous avez un ou deux euros à donner (c’est ici !), croyez-moi, ça aide. Si les 8 millions de votants pour Jean-Luc Mélenchon donnaient chacun un euro, on aurait couvert le pays de locaux en un an ! 

Voilà en tout cas ce qui m’anime dans cette campagne : je sais qu’on avance, qu’on construit le mouvement dans la durée et dans un maillage territorial qui s’affine. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, quand on achète un local, on n’est pas en train de construire un mouvement pour la prochaine élection mais pour le siècle à venir. Je sais aussi que les militants locaux, qui ont vu comment se déroule d’un bout à l’autre l’achat d’un local, ont compris que bien des critiques qui peuvent exister dans la sphère médiatique sur notre mouvement n’ont aucune réalité concrète et que ce que certains appellent avec dédain « la direction », ce sont juste des militants comme eux, à un poste de combat particulier, mais avec l’objectif de servir l’intérêt collectif et non des ambitions individuelles. Je dis tout ceci sans rancoeur et sans haine contre ceux qui peuvent porter ces critiques car je pense qu’ils pensent bien faire mais qu’ils ont le seul tort de faire une erreur d’analyse. J’espère finir par les en convaincre ! Quoi qu’il en soit, pour ce qui me concerne, je continuerai cette tâche tant que j’en aurai l’énergie. Je pense qu’elle est utile au mouvement, je pense qu’elle est utile aux insoumis, je pense qu’elle est une des voies les plus efficaces pour mener le combat. 

Et pour gagner.

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