Pour le magazine hebdomadaire VSD, Emmanuel Macron est un demi-dieu. En effet, dans son numéro du 15 mars 2018, le président de la République est assimilé au héros de la mythologie grecque Hercule, fils de Zeus (le dieu des dieux) et d’Alcmène. En couverture, on trouve le photomontage d’un Macron-Hercule avec une armure, une épée, un biceps musclé, un torse bombé. Un titre s’étale : « Les XII travaux d’Hercule Macron ». Sous-titre : « Le président s’attaque à tous les chantiers. En multipliant les fronts, il neutralise l’opposition et les syndicats ».
À l’intérieur, pas mieux ! On retrouve un Macron-Hercule avec son armure, une dague, torse nu, musclé comme le demi-dieu à qui il emprunte le costume. Le titre de la « une » est reproduit. Le sous-titre change, encore plus laudatif ! « Tel le héros mythologique, le chef de l’État s’attelle à la tâche avec une détermination de gladiateur. Il ne marche pas, il galope. Une course contre la montre pour réaliser une flopée de réformes avant la fin de son quinquennat. Mais au train où il va, il risque fort d’épuiser son programme présidentiel bien avant ». Et d’ailleurs, il a déjà commencé avec les ordonnances sur la SNCF qui n’étaient pas dans son programme. Oups.
L’article dépasse quant à lui tout ce qu’on a pu lire jusqu’alors en matière de presse soumise au pouvoir. Difficile de tout relever tant chaque phrase est une ode au président de la République. « La liste des travaux entrepris par le président s’allonge presque chaque jour » ; « il use comme le héros mythologique de pas mal de culot et d’opiniâtreté pour s’attaquer aux monstres jusqu’alors irréductibles de l’État. N’écoutant que son courage, l’intrépide quadra ouvre des fronts à tout-va, sourd aux menaces, plaintes et autres jérémiades des syndicats » ; « la profusion des attaques déstabilise, semble-t-il, l’ennemi » ; « Vif comme l’éclair, souple et élastique comme un chat, il évite les balles perdues. Et réussit là où d’autres se sont cassés les dents » ; « Ses collaborateurs, eux, peinent. Contrairement au demi-dieu, ils ont besoin de plus de quatre heures de sommeil par nuit. Lui n’a pas le temps. Il dormira plus tard. Après le quinquennat. Celui-ci ou le prochain. » ; « il aime abattre de la besogne ».
Qu’il est beau ! Qu’il est courageux ! Qu’il est fort ! Notre peuple n’imagine pas la chance qu’il a d’avoir un président aussi parfait. Nous, nous sommes mécontents parce que le président gave d’argent les ultrariches mais baisse les APL, frappe les chômeurs, détruit le service public du rail et le service public tout court, supprime des emplois aidés, etc. Mais nous n’avons rien compris parce que nous sommes bêtes. Plus bêtes que les chèvres du Taj Mahal, qui, elles, s’inclinent devant le couple présidentiel.
Seule une toute petite critique pointe dans l’article : peut-être qu’il en fait trop d’un coup (bonjour la critique) : « contrairement à Hercule qui menait à bien ses œuvres les unes après les autres, le président les multiplie avant même d’en avoir achevé une. Et recule parfois, comme sur le nucléaire. Qu’importe (…). » C’est vrai ça : qu’importe, après tout ? Ce n’est pas comme si 17 réacteurs nucléaires arrivaient en fin de vie d’ici la fin du quinquennat après tout, n’est-ce pas ? Ce n’est pas comme si poursuivre avec le nucléaire allait coûter 100 milliards d’euros d’ici 2030, n’est-ce pas ? Qu’importe !
On apprend même que non seulement Hercule Macron ne va pas ralentir mais il qu’il va pousser le management ministériel jusqu’à faire « un projet hebdomadaire à chaque conseil des ministres ». Comme ça, il aura fini de transformer la France en start-up, l’Élysée en entreprise et le conseil des ministres en conseil d’administration. D’ailleurs les dividendes tombent déjà puisque la ministre Muriel Pénicaud va gagner 62 000 euros par ans grâce à la suppression de l’ISF. Ils nous serrent la ceinture pour mieux se gaver. VSD s’inquiète tout de même un peu de ce rythme et indique : « d’ici qu’Hercule doive se transformer en Sisyphe… ». Pour ceux qui ne sont pas adeptes de mythologie, Sisyphe est condamné par les dieux à pousser un rocher en haut d’une montagne, rocher maudit qui tombe inévitablement dans chaque ascension.
Après cette introduction laudative s’ensuit le récit des 12 travaux du demi-dieu. Comme un tract d’En Marche, l’argumentaire s’étale. Sur le côté, on trouve de belles photos du président en chef des armées et d’une réunion ministérielle avec le patron de la CGT Philippe Martinez, tout sourire, comme s’il était content de la politique de Macron. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Seule une légère critique en creux vient assombrir le tableau. Forcément : elle concerne la presse. « Le chef de l’État a décidé de bouter les journalistes hors de l’Élysée. Le nouvel espace de presse dédié aux accrédités à la présidence sera désormais situé au 4, rue de l’Élysée. Une “décision unilatérale sans concertation” a reconnu le service de communication du palais ». Précisons que dans la section sur la SNCF (le 7e des 12 travaux), il n’était pas dit qu’il s’agissait d’une « décision unilatérale sans concertation ». Mais bon…
Finalement, même un lecteur averti hésite. Faut-il lire cet article au premier ou au second degré ? Vu l’énormité de la chose, on serait tenté de dire : « au second degré ». Mais rien, à aucun moment, ne laisse penser que l’intention est ironique. L’introduction multiplie les excès comme pour justifier la couverture, mais ne laisse percevoir aucune mise à distance critique. Et toute la partie sur les « 12 travaux d’Hercule » est une reprise des éléments de langage du gouvernement (sauf, donc, quand il s’agit de la presse). Il y a même une fake news puisqu’il est indiqué que « la disparition de la CSG est venue gonfler nos feuilles de paie ». Or celle-ci a au contraire augmenté, faisant diminuer les pensions de nombreux retraités…
Au total, voici donc un numéro d’un magazine hebdomadaire qui place le président de la République au niveau du demi-dieu Hercule. Du fait de l’affichage dans les kiosques et dans les gares et des partages sur les réseaux sociaux, l’essentiel des gens verront de ce numéro sa seule couverture. Par effet de simple exposition (dont j’ai déjà parlé ici), l’idée que Macron peut être assimilé à un héros mythologique s’instille dans les esprits. Mais après le numéro de Paris Match qui faisait l’apologie du couple présidentiel en Inde, ce numéro de VSD interroge. D’autant plus que VSD fait partie des titres qui bénéficient de l’aide à la presse : 300 000 euros d’aides en 2016, c’est à dire de l’argent public, notre argent. À la lecture de ce numéro, on est en droit de se dire qu’il pourrait être mieux employé ailleurs…