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Terrorisme : «Si on se limite à une réponse sécuritaire, on se trompe» – Patrick Calvar, directeur de la DGSI

Depuis l’attaque au camion de Nice, on assiste à droite et à gauche à une incroyable surenchère sécuritaire et politicienne. Le PS prolonge et renforce l’état d’urgence pour six mois ; les Républicains, embourbés dans la logique des primaires, rivalisent en idées stupides, la palme revenant en ce domaine à Henri Guaino qui veut équiper les militaires de lance-roquettes ; le FN met de l’huile sur le feu et propose comme à son habitude une logique de guerre civile et d’opposition des Français les uns contre les autres. Il ne s’est guère trouvé que Jean-Luc Mélenchon pour avoir des propos humains et censés au soir de l’attaque.

Cette logique du tout-sécuritaire ne sert pas l’intérêt général. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le patron de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui ne peut pas être taxé d’angélisme. Auditionné le 10 mai 2016 par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, il explique :

« J’estime que si l’on ne raisonne qu’en termes de sécurité, on va dans le mur. La sécurité est en effet une sorte de SAMU : or un SAMU a pour mission de vous conduire vivant à l’hôpital mais pas de vous soigner. Pour être franc avec vous : je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme. Avec le terrorisme, nous prendrons des coups mais nous saurons faire face – nous avons connu des événements très graves tout au long de l’histoire – ; mais cette radicalisation rampante qui va bouleverser les équilibres profonds de la société est à mes yeux beaucoup plus grave. »

Patrick Calvar a deux immenses avantages par rapport aux politiciens FN, LR et PS qui s’expriment sur le terrorisme : d’une part il y connaît quelque chose, d’autre part, il ne cherche pas à être élu et n’utilise donc pas la langue de bois. Ses propos sont honnêtes et directs. Il ne cache rien ni des menaces que nous encourons, ni des problèmes auxquels nous sommes confrontés pour y faire face, ni des solutions qu’il faut selon lui y apporter. Je vais essayer de relayer ici l’essentiel de ses propos et j’invite quiconque est intéressé par le sujet à consulter le compte rendu de son audition, qui est disponible en ligne.

La France, « clairement le pays le plus menacé »
Qui nous menace ?
— Daech
— Al-Qaïda
— Les autres « sources d’inquiétude »
La forme des menaces et les réponses à y apporter
— « Je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme »
— Le trafic d’armes
— Les départs, les retours, le cas Libyen et l’effet des bombardements
Les limites de la lutte antiterroriste
— L’Europe inefficace
— Le chiffrement des données et leur traitement
Conclusion

La France, « clairement le pays le plus menacé »

Pour affronter la menace à laquelle notre pays est confronté, il est important de commencer par en analyser l’ampleur. Sans se voiler la face. Voici ce que dit Patrick Calvar sur le sujet :

« La France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé. Je vous rappelle qu’un des numéros de la revue francophone de Daech, Dar al Islam, titrait en une : “Qu’Allah maudisse la France”. De leur côté, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en tant qu’organisation héritière du Groupe islamique armé (GIA) des années 1990, considère toujours la France comme l’ennemi numéro un et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) nous stigmatise de la même façon. La menace est par conséquent, j’insiste, très forte ainsi que l’ont montré les attentats de janvier et de novembre 2015. Elle est très forte également hors du pays ainsi que nous avons pu le constater avec les attentats de Bamako, de Ouagadougou et, plus récemment, de Bassam, en Côte d’Ivoire. »

Il précise, deux mois tout juste avant l’attaque de Nice :

« La question relative à la menace n’est pas de savoir “si”, mais “quand” et “où”.

Qui nous menace ?

Au cours de son audition, Patrick Calvar dresse une liste des menaces. Elles sont au nombre de quatre. D’abord « les organisations » (Daech, Al Quaïda, etc.), ensuite les réseaux présents sur notre territoire, puis les individus isolés et velléitaires, et enfin l’ultra-droite.

Daech

Le patron de la DGSI consacre l’essentiel de son propos, on l’imagine, à Daech. Mais il le fait sur un mode inhabituel pour qui ne fait que suivre ce qu’en disent les médias ou les politiciens : il le fait en dressant des constats précis et en en tirant des conclusions objectives.

Pour lui, Daech est affaibli car « l’organisation rencontre des difficultés militaires sur le terrain ». Mais cet affaiblissement conduit à une surenchère dans la stratégie de la terreur : « [Daech] va donc vouloir faire diversion et se venger des frappes de la coalition ». Il explique : « Nous savons que Daech planifie de nouvelles attaques » et il détaille :

« Nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant multiplié pour créer un climat de panique. La problématique pour eux est double : il leur faut des artificiers de haut niveau et il faut qu’ils puissent constituer en France des cellules leur permettant de bénéficier de la logistique nécessaire – accueil, armes… Or l’un des problèmes pour nous est précisément leur capacité à se procurer des armes. Un des domaines où l’Europe continentale devrait considérablement progresser est la répression du trafic d’armes. »

La répression du trafic d’armes est peut-être le seul point de son audition où Patrick Calvar propose une réplique qu’on peut qualifier de « sécuritaire ». J’y reviendrai plus bas dans une partie dédiée.

Concernant Daech, le patron de la DGSI dresse un bilan du nombre de Français ayant rejoint la « zone syro-irakienne » : 645 individus. Il soulève un problème que je n’ai jamais entendu évoqué dans un seul média : la question des enfants, de ceux qui sont arrivés avec leurs parents et de ceux qui sont nés sur place. Patrick Calvar explique que Daech instrumentalise ces enfants en les formant et en les mettant en scène (c’est d’ailleurs une logique récurrente chez les organisations totalitaires). Il précise qu’ils poseront des problèmes de sécurité s’ils reviennent sur le territoire français :

« Je vous laisse imaginer les problèmes de légalité que posera leur retour avec leurs parents, s’ils reviennent, sans compter les réels problèmes de sécurité car ces enfants sont entraînés, instrumentalisés par Daech : une vidéo est sortie récemment, en français, qui les met en scène en tenue militaire. Ces enfants sont ainsi conditionnés ; il faut savoir également qu’ils s’entraînent aux armes à feu. Nous disposons de vidéos montrant des enfants qui exécutent des prisonniers ; ainsi, sur l’une, on voit un Français de onze ou douze ans – sans manifester aucune émotion – tirer une balle dans la tête d’un individu que Daech suppose être un agent des services israéliens. Il va donc falloir, j’insiste, s’occuper de ces enfants quand ils reviendront. »

Autre problème, associé, celui des « vétérans » :

« Pour finir avec Daech, nous aurons à nous occuper des vétérans. Nul doute que nous gagnerons le conflit, du moins avec l’organisation telle qu’elle existe, mais le problème – parce que politique – ne sera pas réglé pour autant. Pour assurer notre sécurité, nous devrons nous occuper des vétérans. Nous avons connu le phénomène des vétérans d’Afghanistan qui a donné le GIA en Algérie et les attentats de 1995 en France. Il ne faudra pas perdre de vue que parmi les futurs vétérans il y aura des terroristes très aguerris mais aussi des gens relevant d’ores et déjà de la psychiatrie et dont nous ne savons pas ce qu’ils vont devenir. »

Al-Qaïda

Autre organisation représentant un risque : Al Qaïda. Si pour l’instant elle « se manifeste surtout au Sahel et ailleurs en Afrique », elle a « besoin de redorer son blason » :

« Al-Qaïda a besoin de redorer son blason. Cette organisation a pratiquement disparu de la scène islamiste et voudra, à un moment ou à un autre, tenter une action d’envergure à même de lui redonner une importance telle qu’elle puisse recruter à nouveau. Reste que de nombreux Français se trouvent au sein du Jabhat al-Nosra (Front al-Nosra). Il est difficile de savoir combien ils sont exactement et à quelle organisation ils appartiennent mais il faudra là aussi que nous nous occupions d’eux à leur retour. »

Je m’arrête un instant sur ce point. Car il est intéressant pour analyser la pertinence de la politique internationale du gouvernement. Sachez que le Front al-Nosra est, comme le précise Patrick Calvar, une organisation terroriste affiliée à Al-Quaïda. De cette organisation, Laurent Fabius avait dit en 2012 qu’elle « fait du bon boulot ». Elle a longtemps été considérée comme faisant partie de la fameuse « opposition modérée à Bachar El-Assad » que les médias nous appelaient en boucle à soutenir, en dépit du bon sens et de l’intérêt national.

J’ajoute encore que le patron de la DGSI indique : « Les plus gros pourvoyeurs de renseignement sont les services américains. Mais nous coopérons également avec les services russes. Quelque 7 à 8 % des individus concernés par les filières syro-irakiennes étant des Tchétchènes, il est bien évident que nous travaillons avec le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) et que nous cherchons avec lui tous les moyens d’identifier les individus en question, de connaître les actions qu’ils ont l’intention de commettre, et les réseaux auxquels ils sont susceptibles d’appartenir. »

On voit donc que sur le plan pratique, les condamnations stériles portées par le gouvernement contre la Russie ont fait long feu puisque si la France se refuse officiellement à une coopération militaire avec les Russes pour éradiquer Daech, au moins applique-t-elle une coopération en matière de renseignement dont nous n’entendons évidemment jamais parler.

Les autres « sources d’inquiétude »

Après Daech et Al-Quaïda, Patrick Calvar évoque d’autres « sources d’inquiétude » :

« Outre les organisations, nous avons une autre source d’inquiétude : des appels sont lancés depuis la Syrie par des gens à certains de leurs amis qui se trouvent sur notre territoire afin qu’ils y commettent des actions. Nombre des réseaux que nous avons démantelés appartiennent à cette catégorie-là. Nous sommes également confrontés à la présence d’islamistes, sur notre territoire, et qui ne sont liés à aucune organisation. »

Le patron de la DGSI évoque également ce qu’il appelle « les velléitaires » :

« Les velléitaires constituent notre troisième source d’inquiétude, à savoir ceux qui auraient bien aimé partir pour la Syrie et qui, pour diverses raisons, n’ont pu le faire. Dans ce cas, nous sommes confrontés à la propagande massive de Daech et à la capacité de bloquer les messages sur internet. Je classerai dans cette catégorie des gens contre lesquels il est très difficile d’agir : tous ceux qui relèvent de la psychiatrie, des instables psychologiques. »

Enfin, Patrick Calvar pointe du doigt un dernier groupe dangereux : l’ultra-droite. Et on a pu voir depuis l’attaque de Nice et l’explosion de la parole raciste envers les personnes arabes et/ou musulmanes combien ce groupe-ci peut trouver rapidement un terreau favorable chez une partie de la population française :

« Les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. Vous rappeliez que je tenais toujours un langage direct ; eh bien, cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires. »

La forme des menaces et les réponses à y apporter

Au cours son audition, Patrick Calvar liste plusieurs formes de menaces. J’essaye ci-dessous de lister au mieux ces menaces protéiformes ainsi que les réponses qu’il propose d’y apporter[1].

« Je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme »

Pour le patron de la DGSI, le principal risque auquel va être confronté notre pays est la radicalisation d’un nombre croissant d’individus. Et face à cela, les réponses à apporter ne sont pas des réponses sécuritaires. Patrick Calvar prend ainsi totalement à contrepied le Premier ministre Manuel Valls qui indiquait fin 2015 : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé » et qui précisait en janvier 2016 : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». La logique du patron de la DGSI est exactement inverse :

« Il faut tâcher de comprendre à qui nous avons affaire. Nous constatons chez la plupart de ceux que nous arrêtons un profond mal-être ; or la seule idéologie qui leur donne une raison d’exister en ce bas monde est l’extrémisme religieux. Je passe sur le désir d’aventure, de violence, de vivre dans un autre monde. Reste qu’ils détestent notre société : “Nous aimons la mort comme vous aimez la vie”. C’est très frappant. Je l’ai dit en d’autres lieux : je ne m’explique pas comment une fille de quinze ans quitte la France pour se rendre en Syrie vivre dans des conditions abominables ; je ne m’explique pas comment un gamin que rien n’y prédispose, va poignarder un enseignant juif au seul motif, je le répète, de détester cette société. Aussi, si l’on se limite à une réponse sécuritaire, on se trompe ».

Patrick Calvar précise sa pensée (et on constate au passage le changement de pied de Manuel Valls depuis ses premiers propos). L’extrait est long, mais il me semble important de le reproduire ici en entier :

« Sans prévention nous n’y arriverons pas. Cependant, les individus en question sont largement inaccessibles au discours. Les gamins se « shootent » aux vidéos de Daech. J’aurais pu, pour cette audition, apporter et projeter une de ces vidéos, par exemple « Tends ta main pour l’allégeance ». Leur capacité d’attraction est extraordinaire. Face à cela, nous disons à ces gamins d’aller à la mosquée, alors qu’ils ne comprennent pas tout ce qu’ils y entendent, ne connaissant souvent rien à l’islam et au Coran. Le décalage est très grand. Il faut trouver des gens qui soient crédibles auprès d’eux. C’est difficile avec les repentis car, pour eux, un repenti est un traître.

Nous participons aux campagnes de déradicalisation. Dans ce cadre, nous observons ce qui a été fait dans des pays qui sont très en avance, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Il faut, comme le Premier ministre l’a fait, réunir autour de la table des gens d’horizons divers, des psychologues, des sociologues, des jeunes, afin de ne pas aborder le problème sous le seul angle sécuritaire. Mais ne nous leurrons pas, la situation ne se réglera pas là-bas – si le problème ne s’appelle plus Daech, il s’appellera autrement –, et nous faisons face à deux cancers : l’un ici, l’autre là-bas. »

Loin des réponses ultra-sécuritaires évoquées par LR, le PS et le FN, on voit que qui veut traiter en profondeur le problème du terrorisme doit d’abord chercher à comprendre. Car si notre société « fabrique » pour l’instant ces personnes qui en viennent à la détester, il faut comprendre ce qui intervient dans le processus. Bien sûr, une partie des réponses est déjà connue, mais encore faut-il vouloir s’y attaquer de front, ce qui impose un changement total d’orientation politique et économique que celui suivi depuis des décennies et que le Front national veut encore accentuer.

Notons un élément au passage. À droite et à l’extrême droite, la surenchère pour enfermer « les individus qui ont des fiche S » est de mise. Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs de nouveau évoqué au 20h de TF1 le 17 juillet dernier. Aussi, il n’est pas anodin que Patrick Calvar sente le besoin de préciser : « je rappelle qu’une fiche S est un moyen d’enquête, ni plus ni moins qu’un indicateur parmi d’autres pour se faire une idée du potentiel et de la personnalité d’un individu que nous souhaitons surveiller ; aussi quand on évoque les fiches S1, S2, S3, S4… on ne renvoie qu’à des conduites à adopter et non à des degrés de dangerosité ».

Le trafic d’armes

La question du trafic d’armes est l’un des points centraux sur lequel le patron de la DGSI intervient. C’est aussi, me semble-t-il, l’unique point sur lequel il propose d’apporter une réponse « sécuritaire », mais dont on peut voir d’emblée quelle utilité elle aurait.

« Le contrôle de la vente d’armes est l’un des moyens les plus efficaces de parvenir à bloquer un certain nombre d’actions. (…) Comment combattre le trafic d’armes ? Comme les Britanniques. Des peines incompressibles très fortes le feront immédiatement chuter. Il faut par ailleurs renforcer le contrôle : vous pouvez quasiment, aujourd’hui, commander une arme démilitarisée sur internet sans que le vendeur sache qui vous êtes. Cette arme vous sera livrée par la poste et il ne sera parfois pas très compliqué de la remilitariser. On peut trouver une kalachnikov entre 1 000 et 2 000 euros, ce qui n’est pas grand-chose pour des voyous. »

Des « peines incompressibles très fortes » pour faire chuter la vente d’armes. Voilà une proposition « sécuritaire » qui semble plus sérieuse que la mise en circulation de lance-roquettes. Qui vend une arme vend potentiellement avec elle la mort. Il est donc logique, à mon avis, de réprimer durement ce trafic, et d’autant plus s’il a été prouvé ailleurs que cette méthode était efficace.

J’ajoute que Patrick Calvar explique que « c’est la petite délinquance qui permet de financer le trafic de tous ceux auxquels nous sommes confrontés ». Il serait donc judicieux de réfléchir aux moyens de tarir les financements par des mesures radicales et pas pour autant « sécuritaire » (la légalisation du cannabis est ici une piste parmi d’autres). J’ajoute enfin que le patron de la DGSI explique que « La plupart de ceux qui partent [en Syrie ou ailleurs] font des crédits à la consommation qu’ils ne rembourseront évidemment jamais ». Peut-être serait-il également judicieux de s’intéresser aussi à cet aspect-là du problème en contrôlant davantage ces microcrédits et en s’interrogeant plus largement sur leur utilité sociale et environnementale.

Les départs, les retours, le cas Libyen et l’effet des bombardements

L’un des points importants évoqués par Patrick Calvar concerne la question des déplacements des terroristes, c’est à dire non seulement de ceux qui veulent partir depuis la France vers des zones de conflits, principalement en Syrie et en Irak, mais aussi ceux qui en reviennent. Au passage, le patron de la DGSI nous apprend que la Lybie est une nouvelle zone prisée des candidats au départ et qu’elle pourrait être une nouvelle base arrière pour ceux qui quitteront la Syrie à la fin du conflit :

« Ils ont aujourd’hui un intérêt particulier à s’installer en Libye. Sachez qu’il y a quelques semaines, pour la première fois, nous avons interpellé trois individus qui partaient pour la Libye, ce qui signifie que des filières pourraient se mettre en place puisque pour cela il suffit qu’une personne s’y rende et fasse ensuite appel à ses amis. Actuellement, quelques Français se trouvent dans la zone libyenne. Un mouvement s’amorce, et il faudra compter avec ceux qui quitteront la Syrie pour la Libye plutôt que pour l’Europe. »

J’ai appris au passage un élément. Je pensais les bombardements globalement inefficaces et riches en meurtres de civils qu’on appelle pudiquement « bavure » dans les journaux même lorsqu’il s’agit de dizaines de morts. Pourtant, il semble qu’ils aient au moins un effet dissuasif pour les candidats au départ :

« Nous (…) constatons (…) une stagnation des départs : il est plus compliqué de se rendre dans la zone concernée et l’on compte beaucoup moins de volontaires car les bombardements ont un effet dissuasif. On assiste à l’inverse à davantage d’intentions de retour sur notre sol mais qui sont entravées par la politique de Daech qui, dès lors qu’ils souhaitent quitter la Syrie, considère les intéressés comme des traîtres à exécuter immédiatement ».

Enfin, et c’est un point important pour ne pas se payer de mots et sombrer dans un sans-frontiérisme angélique et dangereux : la filière des migrants est utilisée pour permettre aux terroristes formés sur les zones de combat de remonter en Europe. D’après Patrick Calvar, c’est elle notamment qui a été utilisée par Abaaoud et les organisateurs des attentats du 13 novembre qui ont bénéficié d’une logistique importante. Par conséquent, il faut traiter la question migratoire de la manière la plus efficace qui soit, c’est à dire en accueillant ceux qui arrivent afin de les enregistrer dûment et de ne pas laisser se balader en liberté des terroristes frappés d’un mandat d’arrêt international. Une fois encore, la réponse sécuritaire du « on vire tout le monde » n’est pas nécessairement la plus efficace. Mieux vaut un terroriste arrêté qu’en liberté.

Les limites de la lutte antiterroriste

Au cours de son audition, Patrick Calvar évoque non seulement les menaces et leur origine, mais aussi les problèmes concrets auxquels la DGSI est confrontée. Elles sont au nombre de deux : l’inefficacité de l’Europe dans ce domaine et l’incapacité technique à déchiffrer puis à traiter les données obtenues.

L’Europe inefficace

Le patron de la DGSI ne mâche pas ses mots pour décrire l’inefficacité du système européen du fait de l’absence d’harmonisation des pratiques et des moyens :

« Il convient de mentionner l’échelon européen : on a beaucoup parlé du système d’information Schengen (SIS), évoqué les frontières qui n’étaient pas contrôlées, les filières migratoires… bref, on s’aperçoit que l’Europe marche sur un pied et que tout le monde ne fonctionne pas de la même façon, indépendamment des coopérations qui existent bel et bien – je m’inscris d’ailleurs en faux contre de nombreuses allégations : la coopération est en effet totale entre les services de sécurité et les services de renseignement et les informations circulent entre eux de façon très fluide malgré, j’insiste, des systèmes législatifs complètement différents. Le SIS est un fichier de signalisation dans lequel la DGSI a inscrit quelque 9 000 noms alors que certains de nos partenaires ne l’enrichissent pas faute de pouvoir le faire pour la plupart ».

Fait intéressant : interrogé sur la question de savoir ce qu’il faudrait faire pour améliorer les choses au niveau européen, Patrick Calvar répond avec fermeté :

« Europol est une agence de coopération policière et non de renseignement. Nous sommes aujourd’hui polarisés sur la lutte antiterroriste et nous ne voyons plus les dégâts causés par l’espionnage. Certains viennent de les redécouvrir, avec stupéfaction, à la suite des révélations de M. Snowden, qui nous a appris l’existence de nouveaux outils. Il en va de notre souveraineté, de notre capacité industrielle et économique, de notre recherche. (…) Il est hors de question de partager notre souveraineté, sauf à mettre en place une gouvernance politique de l’Europe. L’organisation du système français me paraît cohérente. Il faut arrêter les bouleversements et ne pas voir non plus que la seule dimension terroriste, car les dimensions de souveraineté restent à mon avis extrêmement importantes. »

La référence est relativement claire pour qui connaît le dossier. La France a été espionnée par l’agence américaine NSA et l’on a appris également que les services secrets allemands avaient parfois agi en « sous-traitant » des États-Unis en la matière. Avant d’établir de nouveaux transferts de souveraineté, encore faudrait-il que la confiance soit rétablie au niveau européen en matière de renseignement…

Le chiffrement des données et leur traitement

L’une des limites importantes auxquels semblent être confrontés les services de renseignement est le chiffrement des données. Désormais, de nombreuses personnes utilisent des applications qui chiffrent les communications, et leur efficacité est réelle puisque le patron de la DGSI indique que cela pose une difficulté. Il propose également un moyen de résoudre cette difficulté en contraignant les opérateurs à apporter des solutions.

« En matière d’interceptions, nous sommes confrontés à une énorme masse de données et à la problématique du chiffrement. Demain, les iPhones auront un chiffrement aléatoire. Je crois que la seule façon de résoudre ce problème est de contraindre les opérateurs. »

Autre question, liée, celle du traitement des données obtenues. Et il est assez difficile de constater que tout n’a pas été fait par les pouvoirs publics pour assurer la souveraineté de la France dans ce domaine et que nous serons donc contraint d’utiliser du matériel israélien ou américain[2] :

« Nous ne manquons pas de données ni de métadonnées, mais nous manquons de systèmes pour les analyser. Nous ne sommes pas frileux vis-à-vis des nouvelles techniques ; nous les déployons progressivement. (…) Les entreprises françaises qui développent des systèmes ne sont pas encore capables de répondre à nos besoins, alors que nous devons acquérir ce big data immédiatement. Nos camarades européens sont dans la même situation. Le choix n’a pas encore été fait mais, en tout état de cause, la solution sera temporaire. (…) La moindre perquisition nous permet de récupérer des milliers de données. Nous avons donc besoin d’outils de big data pour répondre immédiatement à nos besoins. »

Conclusion

On le voit assez bien à la lecture des propos du patron de la DGSI : la réponse sécuritaire n’est pas la meilleure à adopter si l’on veut pouvoir traiter en profondeur la question du terrorisme. Je retiens ces mots simples et imagés : « J’estime que si l’on ne raisonne qu’en termes de sécurité, on va dans le mur. La sécurité est en effet une sorte de SAMU : or un SAMU a pour mission de vous conduire vivant à l’hôpital mais pas de vous soigner ».

Il faut donc traiter le problème en profondeur, en comprenant ce qui fait qu’un individu en vient à détester notre société à tel point qu’il est prêt à mourir pour essayer de la détruire ou au minimum de la blesser.

Il faut également donner aux services de renseignement les moyens d’effectuer leur travail. Il s’agit des moyens techniques permettant le déchiffrement des données et leur traitement, mais aussi les moyens humains pour assurer ses missions. Toutes ses missions. Pas seulement celles qui engagent la sécurité de la France mais aussi celles qui engagent sa souveraineté. Patrick Calvar indique que les trois quarts des capacités de la DGSI sont affectées à la lutte antiterroriste. Il indique également que les personnels vont passer de 3200 à 4400 entre 2013 et 2018, soit une forte augmentation qui sera à l’évidence bienvenue pour assurer notre sécurité.

Il faut enfin être pleinement lucides sur la menace pour être capable d’y résister. Il y aura encore des attentats, de plus en plus multiformes et qui pourront être le fait de fous isolés relevant des services de psychiatrie. Il faut y répondre non pas en créant une nouvelle menace et en sombrant dans la logique de « confrontation » de l’extrême droite pointée par Patrice Calvar mais en renforçant toujours davantage la cohésion de notre société autour de ses principes républicains : liberté, égalité, fraternité.

J’espère avoir rendu compte aussi fidèlement que possible de cette audition et qu’elle vous aura apporté des éléments de compréhension et de réflexion sur le terrorisme qui soit plus abouti que la surenchère sécuritaire qui s’est emparée de l’espace politique français. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à consulter le compte rendu de cet entretien. Il s’agit d’un document intéressant et, je crois, utile, pour faire autre chose que de brasser de l’air comme le font les politiciens LR, PS et FN qu’on voit s’agiter à la télé depuis le 14 juillet.[divider]

[1] La question du matériel explosif étant évoquée comme spécifiquement liée à Daech, je l’ai traitée plus haut et vous invite à vous y référer ou à vous reporter directement à l’audition de Patrick Calvar pour plus d’informations.

[2] De manière « temporaire », précise le patron de la DGSI, mais on peut se demander jusqu’à quand nous laisserons le marché décider seul de la fabrication des outils nécessaires à notre souveraineté…[divider]

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