souverainete question sociale
Dessin de Bésot

49.3 : La souveraineté du peuple est une question sociale

Plus que jamais, au moment où le gouvernement utilise l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer en force la loi El Khomri, se pose la question de la souveraineté du peuple. Alors que trois Français sur quatre sont opposés à cette loi et alors que plus de la moitié des députés ont déposé ou essayé de déposer une motion de censure contre le gouvernement pour bloquer cette loi, voici qu’elle passe quand même à l’Assemblée en première lecture.

Le problème, c’est la Constitution

D’où vient le problème ? Le plus immédiatement, il vient des députés qui, quoi qu’ils aient essayé de préparer une motion de censure dite « de gauche », n’ont pas voté la motion de censure dite « de droite ». Mais il serait trop facile de s’arrêter là. C’est la Constitution de la 5e République elle-même, parce qu’elle autorise ce passage en force du gouvernement, qui est ici en cause. Pas d’article 49.3, pas de loi El Khomri, parce que pas de majorité à l’Assemblée pour faire passer cette loi. Le problème, c’est donc l’article 49.3 lui-même (et quelques autres), parce qu’il bafoue très directement la souveraineté du peuple.

Qu’est-ce que la souveraineté ? La Constitution de la 5e République en donne une définition. C’est même une question si importante dans la tradition républicaine française que cette notion est définie aux articles 2 à 4, soit juste après l’article 1 qui définit la République. Que dit le texte ? Deux choses essentielles :

  • « [Le] principe [de la République] est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » (Article 2 alinéa 5)
  • « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. / Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » (Article 3 alinéas 1 et 2)

Que se passe-t-il quand le gouvernement utilise l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force une loi dont ni le peuple ni ses représentants ne veulent ? Deux choses : premièrement, il bafoue le principe de la République puisqu’il gouverne sans le peuple et contre lui ; deuxièmement, une section du peuple (son gouvernement) et quelques individus en particulier (le président et le Premier ministre) s’attribuent seuls l’exercice de la souveraineté nationale.

Nous voici dans un paradoxe constitutionnel : un article de la Constitution (le 49.3) est utilisé dans un sens contraire à l’esprit du texte et, surtout, dans un sens qui va contre le principe républicain et contre la souveraineté du peuple. D’ailleurs François Hollande et Manuel Valls en ont nécessairement conscience puisqu’ils ont l’un et l’autre combattu cet article.

Des dénis de démocratie

Ainsi, en 2006, alors que le gouvernement de Villepin utilise le 49.3 pour faire passer en force le CPE, François Hollande déclare : « Le 49.3 est une brutalité. Le 49.3 est un déni de démocratie. Le 49.3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire ». Deux ans plus tard, en 2008, Manuel Valls dépose un amendement pour supprimer le 49.3 avec un exposé des motifs clair : « Seuls des textes très particuliers tels le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la Sécurité sociale doivent pouvoir être adoptés par la voie de l’article 49, alinéa 3. Il est indispensable que tous les autres fassent l’objet d’un vote. »

« Un déni de démocratie ». Arrêtons-nous un instant sur ce point. Ne passons pas dessus trop vite. Un président en exercice utilise un article de la Constitution qu’il considère lui-même comme « un déni de démocratie ».

S’il y a dans la Constitution un article qui permet le passage en force d’une loi contre la volonté du peuple, contre la volonté des représentants du peuple et que le président de la République lui-même considère comme « un déni de démocratie » (quoi qu’il l’utilise), alors c’est que le texte de la Constitution lui-même est un problème. Et il l’est, parce qu’il ne donne aucun moyen au peuple d’affirmer son autorité – sa souveraineté – dès lors que celle-ci est bafouée par un ou plusieurs de ses représentants.

Élargissons la question. En 2007, Nicolas Sarkozy fait passer le traité de Lisbonne par la voie parlementaire. Ce texte reprend l’essentiel des articles du traité constitutionnel européen auquel le peuple français s’est opposé par référendum en 2005. La souveraineté nationale, exprimée par la voie du référendum suivant l’article 3.1 de la Constitution a donc été bafouée par ses représentants suivant l’exact même article 3.1 de la Constitution.

Démocratie représentative et démocratie directe

Une tension apparaît. Elle n’est pas nouvelle. C’est la tension entre deux versions de la démocratie : d’un côté, la démocratie directe (le peuple exerce lui-même les responsabilités en permanence et sans représentant) et la démocratie représentative (les représentants du peuple exercent le pouvoir en son nom et à son service). Tout le problème de la démocratie directe est qu’il favorise les dominants de la société (ceux qui ont du temps, ceux qui ont de l’argent, etc.)[1] ; tout le problème de la démocratie représentative est qu’il ne peut fonctionner de manière démocratique que si les représentants sont vertueux et respectent le mandat qui leur est confié – c’est à dire, par extension, respectent le peuple.

Pour régler cette tension, il faut que le texte de la Constitution, qui définit l’organisation des pouvoirs, donne au peuple souverain à la fois les moyens de choisir ses représentants pour appliquer un programme et en même temps permette au peuple de contrôler ses représentants dans le cas où ceux-ci s’éloigneraient du mandat qui leur est confié. Un tel système existe (et est d’ailleurs appliqué dans certains États des États-Unis) : il s’agit du référendum révocatoire, qui permet à un certain nombre de citoyens de convoquer un référendum pour destituer un élu ou un membre du gouvernement. Dans le cas présent, nous aurions pu par exemple proposer la destitution de François Hollande ou de Manuel Valls. Libre à chacun de voter pour ou contre.

Mais il faut également, pour que le respect de la souveraineté populaire soit total, que le peuple puisse s’emparer de certaines questions par lui-même dès lors qu’un certain nombre de citoyens le souhaitent. Ce système aussi existe : c’est le référendum d’initiative populaire, qui permet au peuple de voter sur une question dès lors que celle-ci est soulevée par un nombre suffisant de citoyen. Par exemple, alors que plus d’un million de citoyens ont signé une pétition contre la loi El Khomri, on pourrait se dire que faire un référendum sur le sujet pourrait avoir du sens. Il faudrait alors garantir que dès lors que les citoyens veulent convoquer un référendum, les pouvoirs publics doivent immédiatement tout faire pour le mettre en œuvre.

La souveraineté est une question sociale

Puisque la Constitution de la 5e République ne permet pas d’assurer à chaque instant que la souveraineté du peuple s’exerce de manière pleine et entière et ne soit pas bafouée par ses représentants, alors il faut changer de Constitution. Et il faut le faire sérieusement, efficacement, par une Assemblée constituante placée sous le contrôle direct du peuple lui-même, capable de proposer des droits nouveaux et de veiller à ce que l’Assemblée mette en débat ses propositions et les adopte si c’est l’opinion majoritaire.

Cette question n’est pas qu’une question institutionnelle : c’est aussi une question sociale. Ces dix dernières années, le 49.3 a été utilisé trois fois. À chaque fois, il s’est agit de faire passer en force une loi antisociale à laquelle le peuple était opposé : le CPE en 2006 (finalement retiré devant la contestation populaire qui s’est maintenue), la loi Macron en 2015 et la loi El Khomri en 2016. La même logique s’est appliquée en 2007 et en 2012, sans 49.3, lorsque Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont fait passer des traités européens aliénant une partie de la souveraineté nationale au profit des marchés ; le premier alors que le peuple avait voté contre en 2005, le second alors que le candidat Hollande s’était engagé à le renégocier, ce qu’il n’a finalement pas fait.

La logique est toujours la même : c’est dès lors qu’il s’agit de faire passer des mesures antisociales ou, dit autrement, qui favorisent les puissants et les riches au détriment du grand nombre, que la souveraineté populaire est bafouée. C’est parfaitement logique : si la souveraineté populaire pouvait s’exprimer sur ces sujets, le peuple s’en saisirait pour défendre ses droits et bloquer les volontés rapaces de l’oligarchie pour prendre toujours plus à ceux qui ont peu et donner toujours plus à ceux qui ont tant.

La question de la souveraineté du peuple, qu’il s’agisse de l’exercer à l’échelle nationale ou d’être en capacité de s’opposer au diktats européens en affirmant notre indépendance est donc une question sociale. Pour la résoudre, il faut changer la Constitution. Un objectif qui peut rassembler le peuple français tout entier, au-delà des clivages traditionnels dont l’épisode qui vient de se dérouler à l’Assemblée nationale (plusieurs députés « de gauche » votant une censure « de droite » contre un gouvernement « de gauche » appliquant une politique « de droite ») a montré la relativité et le manque de pertinence.

Loi El Khomri : ne nous laissons pas faire !

Reste que dans l’immédiat, il faut lutter contre la loi El Khomri, car elle va réellement nous pourrir la vie si elle passe. Plus personne n’en veut. La contestation est forte. Il reste une chance que nos représentants fassent tomber le gouvernement et bloquent la loi lorsqu’elle reviendra à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, dans le courant du mois de juin. Dans l’attente, il ne nous reste qu’une chose à faire, puisque l’épisode du CPE a montré que la méthode était efficace pour faire reculer un gouvernement obstiné : nous mobiliser dans la rue, massivement, régulièrement, pacifiquement. Plusieurs rendez-vous sont déjà donnés par les organisations des travailleurs : mardi 17 mai et jeudi 19 mai. Des rendez-vous importants alors que les chauffeurs routiers ont annoncé qu’ils allaient se joindre à la lutte, signe que la mobilisation s’amplifie. Ne nous laissons pas faire.


[1] Il en était ainsi de la démocratie athénienne qui, quoi qu’elle fut une forme de démocratie directe, s’appuyait pour exister sur l’exploitation des esclaves et des femmes. Seule une minorité de la population athénienne participait ainsi à la vie de la cité.


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