Ce mardi 16 juin 2015, Manuel Valls a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force la loi Macron à l’Assemblée. Cette utilisation relève d’une double arnaque pour le peuple : d’abord parce que ses représentants n’ont pu ni débattre du texte ni voter pour ou contre, ensuite parce que le débat s’est focalisé uniquement sur l’utilisation du 49.3 et non pas sur le contenu de la loi Macron. Accepter en silence une loi du Medef, voilà ce que propose au peuple le gouvernement socialiste élu pour lutter contre la finance.
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– Qu’est-ce que l’article 49.3 ?
– La démocratie bafouée et la farce UMP-PS au grand jour
– L’impossible débat sur la loi Macron
– Conclusion
Qu’est-ce que l’article 49.3 ?
Tout le monde n’étant pas spécialiste de droit constitutionnel, il n’est peut-être pas inutile de faire un petit détour par la Constitution pour savoir précisément de quoi il retourne lorsqu’on parle de « 49.3 ». Voici la manière dont il est actuellement formulé :
« Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent[1]. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
La loi Macron n’étant ni une loi de finance, ni une loi de financement de la sécurité sociale (en fait, c’est une loi de la finance et de destruction de la sécurité sociale), on est ici dans le deuxième cas. C’est à dire l’« autre projet ou proposition de loi »[2].
Qu’est-ce que cet article autorise ? À faire passer en force une loi (« ce projet est considéré comme adopté ») à la condition que l’Assemblée ne vote pas de motion de censure, c’est à dire à condition qu’elle ne renverse pas le gouvernement.
L’article 49.3 est donc un moyen d’accélérer la procédure d’adoption d’un texte. Il empêche le vote d’un texte par les représentants du peuple et peut aussi empêcher le débat (tout dépend en fait du moment où le Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement : si c’est au tout début de l’examen du projet de loi, alors il n’y a même pas de débat). C’est l’un des articles les plus controversés de la 5e République. On voit bien le caractère profondément monarchique de cette pratique : le roi décide (le président Hollande) et l’Assemblée doit se soumettre. Si l’Assemblée se rebelle, elle ne peut pas toucher au roi mais seulement aux ministres qui sont « sous » lui.
C’est pour cela (et pour d’autres raisons) que la Constitution de la 5e République ne peut pas être considérée comme démocratique et qu’elle doit être changée. C’est tout l’objectif du mouvement pour la 6e République, qui appelle d’ailleurs sur son site à dénoncer le 49.3 en partageant un petit article et en signant pour la 6e République. Il est temps que le peuple reprenne la main sur ses propres institutions.
La démocratie bafouée et la farce UMP-PS au grand jour
En utilisant le 49.3 en première lecture à l’Assemblée nationale, Manuel Valls avait déjà forcé les députés à se soumettre face à la volonté de l’exécutif. Pourtant, comme l’a repéré le M6R, il y a de cela quelques années, le Premier ministre lui-même avait déposant un amendement visant à supprimer le 49.3. Il indiquait que « seuls des textes très particuliers tels le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la Sécurité sociale doivent pouvoir être adoptés par la voie de l’article 49 alinéa 3 » et qu’« il est indispensable que tous les autres fassent l’objet d’un vote ». Indispensable.
François Hollande lui-même, en 2006, qualifiait l’utilisation du 49.3 de « brutalité » et même de « déni de démocratie ». Ce ne sont pas des petits mots. Doit-on comprendre que François Hollande n’est pas d’accord avec son Premier ministre ou bien qu’il a changé d’avis ? La réponse est dans la question.
Donc, et Manuel Valls et François Hollande se sont par le passé opposés à l’utilisation et même à l’existence du 49.3. Aujourd’hui, ils l’utilisent pour passer sur le corps des représentants du peuple. Enfin… pas tous !
Pas tous, car les sénateurs ont de leur côté eu le temps de débattre du texte et de l’amender. Et ils ne s’en sont pas privé ! Ils ont largement aggravé les dispositions du texte. Peut-être me faut-il rappeler que le Sénat est majoritairement UMP ? Que l’on juge du cynisme de ce gouvernement : il empêche l’Assemblée de faire son travail alors qu’elle est du même bord que lui mais il laisse le Sénat amender le texte alors qu’il est censé être dirigé par « l’opposition ». Messieurs Hollande, Valls et Macron préfèrent donc les amendements de l’UMP à ceux du PS. Il est vrai que pour faire un texte ultralibéral et pro-Medef, mieux vaut le faire avec ceux qui s’assument comme tels plutôt qu’avec ceux qui le sont mais n’osent pas toujours le dire publiquement.
En utilisant de nouveau le 49.3 pour la deuxième lecture, Manuel Valls a donc littéralement forcé une Assemblée élue par le peuple sur un programme de « lutte contre la finance » à adopter un texte qui est exactement l’inverse de ce pour quoi elle a été élue. Et dans une farce incroyable, l’UMP dépose une motion de censure contre un gouvernement qui force l’Assemblée à adopter le texte amendé par les sénateurs UMP !
On voit comment dans le fond, l’UMP et le PS sont d’accord sur la politique à mener. On voit aussi combien chacun surjoue l’opposition. D’un côté, l’UMP fait comme si ce texte lui déplaisait et dépose une motion de censure contre un gouvernement qui applique en pire la politique libérale de Nicolas Sarkozy. De l’autre, les « frondeurs » du PS font comme d’habitude des grands cris et voteront la confiance au gouvernement, refusant d’éjecter un Premier ministre qui fait exactement l’inverse de ce pour quoi ils ont été élus dans la foulée du président de la République.
L’impossible débat sur la loi Macron
Si l’utilisation du 49.3 est une arnaque démocratique, elle est aussi une arnaque communicationnelle. En effet, le débat public se focalise – et c’est bien normal – sur ce que représente ce nouveau passage en force et sur ce que cela dit de l’état de notre démocratie. Évidemment, tout le petit monde de la médiacratie nous fait le blabla habituel et débat pendant des heures de tout ça sans jamais rappeler à personne qu’il existe un mouvement pour la 6e République qui essaie justement d’attirer l’attention sur les excès de la 5e République. Mais passons : quand on affronte le système tout entier, il est logique qu’il nous rejette. C’est même plutôt bon signe.
Cette focalisation sur la méthode empêche qu’un débat de fond ait lieu sur les dispositions de la loi Macron. En quelque sorte, on regarde avec inquiétude l’utilisation d’un char d’assaut constitutionnel alors que le gouvernement est en train de préparer une bombe atomique qui va faire voler en éclat beaucoup de choses, à commencer par le code du travail.
Il est difficile de parler en détail de la loi Macron tant celle-ci est complexe. Ramenée à un document « standard », elle fait 240 pages. Parmi les différents articles qui la composent, beaucoup renvoient à d’autres codes comme le code de l’artisanat, le code du commerce, ou encore le code du travail. Pour la comprendre pleinement, il faut donc pouvoir et regarder les dispositions « propres » à cette loi et regarder ce qu’elle modifie dans d’autres textes.
Évidemment, tout ceci est voulu : plus une loi contestée est compliquée à comprendre, moins elle peut rassembler de contestataires contre elle. D’autre part, faire passer beaucoup de choses affreuses dans un même texte empêche que la contestation se fasse sur un mot d’ordre déterminé : quand il y a trop d’éléments contre lesquels il faut se battre, la lutte se divise en sous-secteurs qui ne prennent pas conscience de la force qu’ils auraient s’ils luttaient ensemble. Cette force, c’est celle qu’avait par exemple la grande et belle manifestation du 9 avril 2015 contre la loi Macron. Mais les médias n’en ont pas dit un mot. Et comme elle est restée sans suite, l’énergie s’est dissipée de nouveau.
Pourtant, la loi Macron contient de nombreuses abominations pour le peuple. Dans un dossier très complet disponible en ligne, le Monde diplomatique en a listé quelques unes. Je vous renvoie donc à cet article d’avril 2015, qui n’intègre cependant pas encore les aggravations des abominations introduites par le Sénat. En résumé, voici quelques uns des principaux problèmes : l’augmentation du rapport de force pour le patronat au détriment des salariés, la diminution des condamnations pour les patrons qui ne respecteraient pas le code du travail, l’extension du travail du dimanche et de nuit avec des contreparties non définies, la multiplication des privatisations dans des secteurs aussi stratégiques que l’armement ou les aéroports, l’accentuation d’une santé à deux vitesses pour les ultra-riches, les investissements de la SNCF effectués au regard de la rentabilité et non de l’utilité publique, la libéralisation des cars et donc l’augmentation de la pollution, de nouveaux cadeaux fiscaux pour les ultra-riches, l’augmentation du pouvoir laissé au gouvernement pour prendre des décisions par ordonnances (notamment pour modifier le code du travail)…
Ce ne sont là que quelques points, peut-être ceux qui sont les plus saillants. J’ajoute à l’attention des béni-oui-oui de « L’Europe-qui-nous-protège » et de « L’Allemagne-qu’il-ne-faut-pas-critiquer-parce-qu’elle-est-un-partenaire » que et Jean-Claude Juncker (président de la Commission européenne) et Angela Merkel (chancelière allemande) ont pris position sur la loi Macron. Le premier pour « saluer » la démarche tout en indiquant qu’il fallait « [aller] plus loin » ; la seconde pour dire qu’il était « une bonne chose que cette loi ait été adoptée » et que c’était la « preuve d’une bonne capacité d’action ». Une bonne capacité d’action à « forcer le Parlement », en quelque sorte, comme le déclarait le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble.
Conclusion
L’utilisation du 49.3 sur la loi Macron est donc une double arnaque. Elle l’est une première fois parce qu’elle empêche l’Assemblée nationale de débattre et de voter sur un texte (du) capital et elle l’est une seconde fois parce qu’elle empêche le débat public d’avoir lieu sur les tenants et les aboutissants de ce texte. C’est la technique Valls-Hollande-Macron : tout écraser, tout piétiner, de la démocratie au débat public, pour faire passer en force, et pourtant discrètement, les vœux les plus chers (et les plus coûteux pour le peuple) du Medef.
Voilà ce que permet la 5e République. Écraser le peuple. Nous qui sommes si prompts à donner des leçons de démocratie aux autres peuples de la planète ne semblons pas voir ce qui se passe ici chez nous. Nous vivons dans un système monarchique qui se donne l’apparence de la démocratie parce qu’une fois de temps en temps, on nous envoie aux urnes. Las, beaucoup d’entre nous choisissent d’ignorer la farce et de rester chez eux le dimanche du vote. Pourtant, ce pouvoir existe, même s’il est bafoué et piétiné. Et nous pouvons en servir pour refonder notre démocratie en convoquant une assemblée constituante qui travaillera à la rédaction d’une nouvelle Constitution. Comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon à juste titre, 2017 sera une insurrection. Une insurrection civique dans laquelle le peuple aura à se prononcer sur une question majeure : pour ou contre la 6e République ? Ceux qui voteront contre seront ceux qui veulent continuer avec le vieux système. Les autres ouvriront la voie de la révolution citoyenne, c’est à dire du retour du peuple en politique et de sa victoire contre l’oligarchie.
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[1] « L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire »
[2] En l’occurrence, le projet de loi puisque le texte émane du gouvernement et non de l’Assemblée (en France, le « projet » de loi émane du gouvernement et la « proposition » de loi émane de l’Assemblée)